L’impact des évaluations : comment aboutir à une amélioration des pratiques ?

Le 19 juin 2023

Démocratie ouverte1 organisait le 16 mars 2023 au Conseil économique, social et environnemental (CESE) un séminaire, intitulé « Comment évaluer la démocratie locale ? Nouvelles pratiques, défis et perspectives », à destination des agents et décideurs publics consacré à l’évaluation de la démocratie locale. L’un des ateliers portait sur l’amélioration des pratiques d’évaluation, en analysant trois outils : la Boussole de la participation du centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA)2, le Participomètre né à Grenoble à l’initiative d’un collectif de citoyens et le Démomètre créé par Démocratie ouverte. Il a aussi été question d’une expérience, Active citizens, menée dans le cadre d’Urbact, un programme européen d’échanges pour un développement urbain durable.

Une série d’outils d’évaluation des pratiques démocratiques existent ; ils comprennent des indicateurs comme la qualité démocratique, la transparence, la coopération, la participation, la confiance dans la vie politique ou le niveau de participation dans les collectivités : tel est le constat partagé par l’ensemble des participants. D’autres outils plus spécifiques portent, par exemple, sur l’équité de l’allocation des ressources aux associations locales ou le degré de partage du pouvoir. Une fois ces critères interprétés, comment passe-t-on concrètement au changement ? Comment ces évolutions peuvent-elles s’intégrer pleinement dans les processus démocratiques pour avoir un impact ? Ce sont les questions auxquelles les participants à cet atelier ont tenté de répondre via trois outils différents et une expérience de design urbain.

La Boussole de la participation du CEREMA, un outil d’auto-évaluation pour mesurer la participation du public

Issue de la charte de la participation du public élaborée en 2016 par le ministère de l’Écologie, la Boussole de la participation du CEREMA fixe un certain nombre de principes et valeurs pour guider un processus vertueux de participation du public. Cet outil d’auto-évaluation, gratuit, permet aux collectivités de mesurer l’effort participatif et le respect des vingt principes et valeurs de la charte. Il prend en compte des critères tels que la clarté du cadre, la co-production des règles avec les participants, l’information du public, l’inclusion, la diversité des publics, etc. Cette check-list de bonnes questions à se poser quand on veut se lancer dans une démarche participative peut être utilisée à différentes phases d’un projet : en amont, pour définir son ambition ; pendant, pour savoir si l’on respecte la charte de la participation ; après, pour tirer les enseignements de la démarche et des pistes de progrès.

Une démarche participative nécessite des changements de posture : pour l’élu cela signifie de sortir de son « piédestal », pour l’agent de sa posture technique et pour le citoyen de se former.

« Il s’agit d’une photo à un instant t, une sorte de radar de la performance de la démarche participative, pouvant servir de support au débat, explique Karine Lancement, cheffe de projet participation citoyenne au CEREMA. L’outil n’est pas fait pour être rempli seul dans un bureau, mais pour susciter le débat collectif entre agents, élus et citoyens, pour croiser les regards. » Un constat émaille ces rencontres, le besoin de partager un vocabulaire commun. Les parties prenantes n’ont pas toutes les mêmes définitions de l’inclusion ou de la rémission des comptes, cela nécessite donc un travail d’acculturation. L’objectif de cette boussole est d’enclencher une dynamique pour trouver des pistes d’amélioration dans la durée en effectuant des mesures régulières à des moments clés de la vie de la collectivité.

Karine Lancement affirme que la demande d’accompagnement à la mise en place d’outils est croissante et surtout la participation d’un tiers extérieur qui puisse « mettre les pieds dans le plat » sur les sujets tabou afin de sortir de l’entre-soi de la collectivité. Une démarche participative nécessite des changements de posture : pour l’élu cela signifie de sortir de son « piédestal », pour l’agent de sa posture technique et pour le citoyen de se former.

Le Participomètre, un moyen d’évaluer les programmes électoraux municipaux

Le Participomètre est né en 2020 à Grenoble à l’initiative d’un collectif de citoyens. Ils reprochaient à Éric Piolle de ne pas avoir tenu ses promesses électorales de 2014 concernant notamment la démocratie participative. Ils ont contacté deux chercheurs, Raul Magni-Berton, professeur à Science Po Grenoble et Camille Morio, maîtresse de conférences en droit public pour développer un outil d’évaluation des promesses électorales et de leur réalité tangible. Grâce au Participomètre, le citoyen peut apprécier la valeur d’une promesse électorale ; quant au décideur, il dispose d’un outil pour améliorer la pertinence, l’efficacité, la cohérence et les impacts potentiels de ses propositions. Le Participomètre mesure cinq grands critères : l’inclusion des habitants ; la capacité délibérative des dispositifs ; les chances de déboucher sur une décision ; l’étendue du domaine de compétences des citoyens ; leur capacité à penser des initiatives, à être à l’origine d’une politique publique.

Disponible gratuitement, il permet de remplir une grille d’évaluation (un questionnaire à choix multiples [QCM] basé sur 108 critères) des programmes électoraux : « Dans un premier temps, il visait à distinguer les programmes proposant des dispositifs applicables et clairement établis et ceux aux propositions peu précises, défectueuses ou illégales. On identifiait les promesses électorales, remplissait le questionnaire, ensuite les scores étaient calculés par des algorithmes », explique Alya Hafsaoui, doctorante en droit public, co-conceptrice du Participomètre.

Issu de la recherche scientifique, le Participomètre a aussi un rôle militant puisqu’il entend avoir un impact sur les politiques développées par la ville. Utilisé dans un moment particulier de la vie politique, pendant la campagne électorale, il visait à modifier les comportements des acteurs institutionnels. Dans les faits, la liste élue avec un important programme participatif (celle d’Éric Piolle en 2014) a entraîné les autres acteurs à s’inscrire résolument dans cette démarche, les candidats souhaitant répondre aux attentes de la population. D’ailleurs, à l’aune des résultats obtenus grâce au Participomètre, la liste PS « Grenoble est à nous », a reprécisé ses propositions par mail ce qui lui a permis d’augmenter son score : « L’impact a surtout été communicationnel : les listes ayant obtenu de bons scores les ont valorisés sur leurs réseaux sociaux, celles qui ont eu de mauvais scores les ont questionnés », raconte Alya Hafsaoui.

Le Démomètre, un dispositif pour mesurer la démocratie à l’échelle territoriale

Lancé par Démocratie ouverte en 2021, co-construit avec un large cercle d’acteurs, le Démomètre vise à accompagner les démarches participatives en proposant un outil d’évaluation de la démocratie sur un territoire. Il mesure quatre grands thèmes : la représentation, la transparence, la participation, la coopération. Chaque grand thème comprend entre quatre et cinq marqueurs tels que la confiance dans la démocratie participative, la transparence de la gestion de la collectivité, l’inclusion ou la collaboration entre les acteurs.

Le Démomètre se base sur des critères les plus utilisés qui ont permis de réaliser une cartographie : « Nous avons été dans les territoires pilotes rencontrer 150 élus, agents, citoyens, habitants, associations, pour savoir quels objectifs ils voulaient donner à la démarche d’évaluation, pour voir s’il manquait des thématiques à mesurer, évaluer les thématiques moins pertinentes, reformuler les questions de façon intelligible et claire », raconte Anne-Charlotte Jacquin-Antony, doctorante en convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE), travaillant sur le projet Démomètre avec Démocratie ouverte. L’enjeu est de rendre la démarche accessible à tous.

Agents, élus, citoyens, habitants ou associations, tous peuvent répondre au questionnaire, à cette évaluation à 360 degrés de la démocratie locale. Elle s’effectue en trois temps : une évaluation collective ; un diagnostic partagé entre toutes les parties prenantes sur les résultats de l’évaluation et l’identification des priorités communes.

Conçu comme un « couteau suisse », cet outil a été imaginé pour être à la fois pédagogique et ludique. La plateforme réunit des ressources notamment juridiques, une partie sur les enjeux, le cadre et des fiches pratiques abordant divers sujets tels que la manière de s’impliquer dans une démarche participative, ce qui existe dans chaque collectivité, etc. À cela s’ajoutent des ateliers dans les collectivités, des formations pour favoriser l’autonomie dans l’utilisation du Démomètre : « Nous sommes aujourd’hui dans une phase pionnière où l’on teste différents outils de démocratie participative à l’échelle locale pour améliorer l’outil. Les collectivités pionnières et pilotes ont voulu utiliser le Démomètre pour faire de l’acculturation au sein de leurs services ou avec leurs agents. On s’est rendu compte qu’on pouvait ainsi avoir un diagnostic partagé, échanger sur des définitions communes de la participation citoyenne, les attentes, les objectifs », explique Anne-Charlotte Jacquin-Antony.

Le Démomètre peut servir de base pour changer les perspectives sur la démocratie participative, favoriser l’acculturation aux pratiques à l’échelle de la collectivité, renforcer le pouvoir d’agir et encourager les changements de pratiques.

Selon l’impact que l’on cherche à avoir, le Démomètre peut servir de base pour changer les perspectives sur la démocratie participative, favoriser l’acculturation aux pratiques à l’échelle de la collectivité, renforcer le pouvoir d’agir et encourager les changements de pratiques.

L’expérience Active citizens

Designer de politiques publiques, Christophe Gouache a accompagné pendant deux ans et demi huit villes européennes dans sept pays différents dans le développement de leur stratégie de démocratie locale participative. L’intuition de départ : les élus ne sont pas tous engagés de la même manière dans ces processus. Cela aboutit à la création d’un jeu de cartes appelé « La participation citoyenne, pitié non ! » réunissant les 42 bonnes raisons de ne pas faire de participation citoyenne lorsque l’on est un acteur public. En général, les territoires cumulaient entre 25 et 30 de ces raisons : « Ce jeu permet de parler de façon franche, directe, ni technocratique, ni scientifique. Il offre un espace aux perceptions, aux ressentis et permet aux élus, agents, citoyens d’aborder les sujets préoccupants », affirme Christophe Gouache. Grâce à cet outil, l’on dresse un état des lieux préalable.

Dans chaque ville participant au programme, pendant deux jours, élus, agents et habitants ont été interrogés pour établir un diagnostic transversal. À Agen, ville porteuse du réseau, l’évaluation a été doublée d’une re-conception avec un objectif : l’action. Une fois l’évaluation réalisée, 150 citoyens ont été réunis pour la partager et réagir aux 40 citations clés retenues. Assez innovants, les conseils de quartier citoyens d’Agen, donneurs d’ordres, de certaines décisions d’urbanisme, entre autres, n’avaient jamais été formés. L’expérimentation a consisté à former les 230 conseillers de quartiers afin de les outiller : « Nous avons besoin de territoires osant expérimenter et innover avec la participation citoyenne, insiste Christophe Gouache, l’évaluation des politiques publiques ne fait pas partie des compétences classiques des collectivités. Il faut former les agents, les élus, les futures générations et les citoyens. » Le designer se prononce en faveur de dispositifs légers, « pop-up », créatifs en matière de participation citoyenne et de formations-actions.

Christophe Gouache cite aussi une expérimentation menée à Marcoussis (91), commune de 8 000 habitants comprenant 1/3 de champs, 1/3 de forêts et 1/3 de bâti. Une démarche participative a été menée pour construire la stratégie locale de développement durable ; 600 habitants, engagés dans le processus sous forme de réunions publiques, workshops, ateliers, débats philosophiques ou théâtre-forum, soit une multitude d’outils. Le maire de la commune a souhaité associer d’autres habitants, habituellement éloignés de la participation, à la réflexion. Pour ce faire, pendant la fête du blé, les habitants se sont vu remettre une monnaie imaginaire locale à dépenser sur le marché parmi 107 idées pour le futur : « Les habitants devaient juger les différentes idées, ils se sont retrouvés dans la même posture que les élus à devoir faire des choix. Grâce à ce dispositif, environ 200 habitants se sont approprié un objet paraissant abscons, une stratégie de territoire durable de manière légère puisque la moyenne du temps d’achat se situait aux alentours des quinze minutes », conclut Christophe Gouache.

  1. Démocratie ouverte est une association d’intérêt général, indépendante et non partisane qui, depuis plus de dix ans, teste des outils, des méthodes et fait des propositions aux décideurs publics pour rendre notre société plus transparente, plus coopérative et plus participative.
  2. Établissement public sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires qui accompagne l’État et les collectivités territoriales pour l’élaboration, le déploiement et l’évaluation de politiques publiques d’aménagement et de transport.
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