L'intelligence collective, le moteur des innovations démocratiques

Démocratie, une mise à jour est disponible !
Le 15 septembre 2022, à l’occasion de la Journée internationale de la démocratie se tenait à la Recyclerie une conférence organisée par le collectif Démocratie Ouverte intitulée « Démocratie, une mise à jour est disponible ».
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Le 7 novembre 2022

Le 15 septembre, à l’occasion de la Journée internationale de la démocratie se tenait à la Recyclerie une conférence organisée par le collectif Démocratie Ouverte intitulée « Démocratie, une mise à jour est disponible ». Il s’agissait de faire un bilan des années du pouvoir d’Emmanuel Macron mais aussi des expériences démocratiques comme la Convention Citoyenne pour le Climat ou encore le Grand Débat national, et d’identifier les perspectives démocratiques.

Dans son introduction, Pauline Véron, co-présidente de Démocratie Ouverte, rappelle la vocation de ce collectif trans partisan, fédérant des acteurs différents, visant à porter un regard critique sur les différentes innovations démocratiques menées. Elle rappelle le travail mené sur le « démomètre », un référentiel destiné à évaluer et renforcer la vitalité démocratique des territoires. Il doit permettre aux citoyens qui s’en saisissent de solliciter leurs élus pour faire évoluer la situation directement dans leur ville.

La France ne part pas d’une page blanche

Pour Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), en matière d’innovation démocratique la France ne part pas d’une page blanche. Elle a une grande histoire de participation et un droit solide en la matière. La CNDP a été créée il y a 25 ans. Le principe: sur les grands projets la population doit être informée et surtout pouvoir débattre de leur opportunité. A l’origine de la CNDP il y a eu un groupe d’habitants auto-organisé pour débattre des grands questions publiques. La CNDP s’est enrichie au fur et à mesure des débats, des enseignements, des erreurs. Selon Chantal Jouanno le premier constat porte sur la volonté de ne pas regarder le passé, la démocratie sexpérimente et saméliore en permanence. Il s’agit d’identifier les erreurs, d’aller plus loin mais non de tenter de reproduire ce qui a déjà été fait. Le CNDP organise 150 débats publics et concertations, locaux ou nationaux, à travers la France. Sur le terrain l’on constate que la démocratie est extrêmement vivante. Au niveau national on rencontre des blocages, comme s’il n’y avait pas de dialogue entre les deux échelons.

Le CNDP a refusé de participer au Grand Débat national pour une raison simple, la relecture des conclusions par le gouvernement avant leur publication. Pour l’organisme le décideur ne pouvait se poser en juge et partie, cela a engendré un défaut de confiance majeur et créée une véritable défiance.

Chantal Jouanno reconnait que le Grand Débat a été un moment important avec une effervescence de la parole mais l’absence d’engagement préalable sur la réponse à donner aux propositions ou leur transcription dans la loi, est problématique.

Concernant la Convention citoyenne pour le climat (CCC), l’étonnement de la présidente du CNDP porte sur la surprise suscitée par la réussite des débats. Là encore, la CCC a été victime de deux écueils, le premier concernait la place du décideur, le second, la séparation entre le grand public et les personnes tirées au sort. Les personnes tirées au sort ont assisté à des formations, plus informées, elles ont donc dialogué probablement avec moins d’émotions, ce qui a pu créer une incompréhension avec le grand public. Selon Chantal Jouanno, pour la Convention citoyenne sur la fin de vie, une question délicate, on ne peut mettre totalement les émotions de côté. On ne peut confier le débat à une assemblée de citoyens sans avoir un dialogue avec l’ensemble de la société et notamment les communautés religieuses. Il ne convient pas de se laisser séduire par les effets de mode et d’estimer que la convention citoyenne est la seule et unique réponse.

Il n’y a pas de méthode parfaite, plutôt des méthodes à combiner ainsi qu’un droit, celui de toute personne à être informée et à pouvoir participer à l’élaboration de ces conventions. On se doit de multiplier les voies de participation.

Interrogée sur cette tendance française à privilégier la parole des experts à celle des citoyens, Chantal Jouanno reconnait l’extrême centralisation de la décision politique et l’importance donnée à cette parole des experts. Selon elle la réticence ne provient pas tant des élus que des experts.

Des innovations démocratiques proches du "bazar"

Pour Antoine Brachet, directeur associé chez Bluenove, la démocratie est un espace vivant. Il l’assimile à cette image de « la cathédrale et le bazar », nom de l’ouvrage d’Eric Raymond.  Dans ce livre l’auteur décrit le développement du logiciel Linux et le compare au « bazar ». En effet, cette manière de développer des logiciels s’appuie sur la coopération entre une multitude de développeurs, elle se caractérise par une adaptabilité et une flexibilité impossibles dans une hiérarchie de « statut ». L’organisation hiérarchique traditionnelle, comparée à une cathédrale, se caractérise par un «style vertical ». Tous les exemples d’innovations démocratiques des deux dernières années sont plus proches du bazar, du fourmillement d’idées. La démocratie commence par la conversation et il convient de jeter des ponts entre le « bazar » et la « cathédrale" pour que les expériences puissent changer d’échelle.

Bluenove a participé au Grand Débat National, la méthodologie initiale n’a été retenue qu’en partie. L’appel à l’expression libre (pas de question semi-fermées) a permis de dresser un cahier de doléances et une liste de plusieurs niveaux de verbatims. Parmi les enseignements, Antoine Brachet souligne la capacité à traiter de l’expression libre dans des délais très courts, tout en offrant la possibilité de retracer le propos initial. A cela s’ajoute la capacité non pas à dresser une liste des sujets de préoccupation majeurs mais de représenter les accords et désaccords des Français.

Enfin cette expérience a confirmé qu’au sein du débat se cachaient « des pépites » mais le taux d’exploitation de ces productions a été très faible.

Pour le deuxième sujet du Grand débat, « habiter la France de demain », le projet proposé par le gouvernement consistait à faire une consultation en ligne. Bluenove a formulé une autre proposition consistant à réexaminer tout ce qui avait été dit sur le sujet, identifié une douzaine de consultations menées sur ce thème, réalisé une synthèse puis fait émerger quatre controverses clé. L’une d’entre elles portait sur l’étalement versus la densification urbaine. Pour dépasser la controverse et travailler sur la question du renoncement, l’agence d’innovation a lancé une consultation puis a proposé des solutions avec les cabinets ministériels ainsi qu’un garant méthodologique indépendant.

Antoine Brachet donne un exemple de la capacité à trouver un consensus. Dans le cadre des états généraux de la justice, Bluenove a proposé la création de chambres de convergence avec une méthodologie consistant, après avoir interrogé des collèges de magistrats, citoyens, détenus, à identifier les points de controverses et à aller vers les compromis. Autre exemple, lors d’une convention organisée par la Direction interdépartemental des routes, 700 agents se sont retrouvés. Leurs craintes, doutes, interrogations, leur parole ont été recueillis. Derrière une carapace de peurs se cachait un gisement d’enthousiasme, d’envies et de dynamisme.

Selon Antoine Brachet la proximité avec le terrain est aujourd’hui cruciale même si elle n‘est pas toujours simple. Il estime qu’il y a encore une marge de progression en matière de méthodologie pour représenter l’ensemble des territoires.

Quel bilan pour la Convention citoyenne pour le climat ?

Selon Mathilde Imer, l’une des initiatrices de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), sans la crise des gilets jaunes, la CCC n’aurait jamais existé. Elle présente cette initiative réunissant des gilets jaunes, militants écologistes, des citoyens comme une manière de sortir « par le haut » de la crise en proposant une assemblée citoyenne inspirée du modèle irlandais et d’expériences latino-américaines. Elle revient sur le cheminement par lequel sont passés les 150 citoyens tirés au sort. La première session baptisée « la claque » ou « l’éléctrochoc" par les citoyens, au cours de laquelle Valérie Masson Delmotte du GIEC, a présenté les constats et prévisions des scientifiques internationaux. Ils ont constaté, pris conscience ou confirmé l’intuition que les décisions politiques n’étaient pas au niveau de l’urgence climatique.

Cette première session a démontré l’importance des émotions et leur nécessaire prise en compte dans de futures expériences démocratiques.

La deuxième session s’est déroulée autour de la mise à disposition d’un grand nombre de données dans le cadre d’un débat contradictoire. Les 150 ont été répartis dans 5 groupes de travail dans lesquels ils ont entendu des acteurs aux points de vue extrêmement divers (FNSEA, Carrefour ou Greenpeace par exemple). L’objectif était de comprendre les points de blocage, les freins et les opportunités pour construire des propositions. Ce débat contradictoire s’est poursuivi lors des séances suivantes, les délibérations se sont surtout déroulées entre les 150 dont les vécus et points de vue étaient extrêmement divers ont provoqué des débats houleux, en présence de facilitateurs professionnels.

Pour Mathilde Imer, la CCC est la preuve que le tirage au sort fonctionne. Sollicités pour noter l’exercice et la réponse du gouvernement, ils ont attribués respectivement la note de 9 et de 3 sur 10. Cela s’explique par la déception de ne pas voir les propositions reprises par le gouvernement alors qu’il s’agissait d’un engagement du président de la République.

L’autre utilité du tirage au sort réside dans sa capacité à mieux représenter toutes les catégories de la population et notamment les moins représentées, les jeunes, les ouvriers. Ensuite, se pose la question de la  temporalité. Un élu souhaite présenter un bilan à la fin de son mandat avec le désir d’être réélu.

En ce sens se projeter sur du long terme n’a pas de réel intérêt contrairement aux citoyens composant l’assemblée. Autre avantage de la CCC, elle ne dépend d’aucun parti politique et n’a donc pas une ligne politique à suivre. A cela s’ajoute l’effet de groupe, lorsque certains participants faisaient face à une baisse de moral, ressentant cette responsabilité sociale et démocratique, ils pouvaient compter sur le soutien des autres. Ce qui a aussi très bien fonctionné, c’est l’intelligence collective de ces groupes très divers. Le lien, la confiance qui se sont créés au fur et à mesure ont permis l’écoute et l’empathie au sein du groupe.

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