Métropole européenne de Lille : l’innovation passe aussi par les sciences comportementales

Opération Vasymoll’eau.
Le 20 mars 2024

La complexité du fonctionnement humain reste peu prise en compte dans la conception des politiques publiques. C’est pourtant tout l’intérêt de faire appel aux sciences comportementales, bien compris par la métropole européenne de Lille (MEL) depuis 2021. À la manœuvre, sa direction recherche et développement (R&D). Plusieurs projets émergent dont certains avec déjà des résultats concrets au rendez-vous.

Dès sa création en 2015, la MEL adopte une posture tournée résolument vers l’innovation publique et la transformation de son administration1. Est alors mise en place une direction R&D qui se définit comme un pôle d’observation, d’exploration et d’expérimentation de méthodes innovantes pour concevoir un service public de qualité. Parmi les outils utilisés : le design des politiques publiques, l’intelligence collective ou la data. Soutenues par le directeur général des services (DGS), Marc Pons de Vincent, « les sciences comportementales ont été identifiées et expérimentées une première fois, en 2021, comme une nouvelle méthode à ajouter dans la boîte à outils de la conception de l’action publique », explique Nolwenn Anier, recrutée peu après comme chargée de mission R&D à la MEL, dans la direction éponyme dirigée par Myriam Limpens.

Recherche d’un service public plus efficient

Mais de quoi parle-t-on précisément ? 2 L’approche comportementale constitue un ensemble de connaissances et de méthodes issues de différents champs de recherches scientifiques, essentiellement les sciences humaines et sociales, les neurosciences ou les sciences cognitives. S’inspirant de la méthodologie scientifique, avec le respect de certains fondamentaux, elle permet de comprendre de façon fiable et factuelle ce qui détermine, dans un contexte donné, le comportement humain : « Les sciences comportementales sont donc la mise en application de ces connaissances et de ces méthodes au profit d’un service public plus efficient grâce à un changement de comportement, souligne Nolwenn Anier. Cette démarche n’est pas hors sol en ayant un pied dans le théorique et un pied dans le concret. » En clair, pour éviter de produire des services publics désincarnés ou en décalage avec les demandes de la société, l’entrée par le facteur humain donne une clé de lecture et d’action complémentaire à la conception et à l’amélioration des politiques publiques.

La direction R&D lance, en 2023, « une expédition apprenante », constituée d’un groupe de volontaires porteurs de projets ayant dans leurs feuilles de route des enjeux de changements de comportements.

« Une expédition apprenante »

La direction R&D lance, en 2023, « une expédition apprenante », constituée d’un groupe de volontaires porteurs de projets ayant dans leurs feuilles de route des enjeux de changements de comportements. Situés au cœur des compétences de la MEL, les projets sont souvent liés à la transition écologique. Ils visent des effets à long terme avec la mesure et l’évaluation à échéances régulières des actions mises en place : « Le processus de changement chez une personne continue bien après les premiers passages à l’acte. Tout l’enjeu est ainsi d’accompagner les citoyens sur la durée afin de lutter contre les effets d’usure et de perte de dynamique », insiste la chargée de mission R&D.

La première expérimentation, la plus aboutie, a été mise en place avec la direction de l’eau de la MEL dès 2021, très intéressée par la démarche comportementale jugée complémentaire de son approche technique. Baptisée « Vasymoll’eau », elle incite des ménages volontaires à consommer moins d’eau, en combinant design des politiques publiques et sciences comportementales.

Des résultats concrets

Loin d’une approche conceptuelle, le projet s’est employé à agir au plus près du quotidien des familles afin de bien identifier les freins, mais aussi les pratiques par lesquelles le dispositif pouvait s’activer concrètement : groupe de discussion entre familles, évaluation des consommations par usage, ludification, etc. La démarche s’est en outre appuyée sur un accompagnement important de professionnels avec une posture humble pour ne pas stigmatiser les pratiques des personnes, mais comprendre leurs usages et leurs contraintes.

Au terme de sa saison 1, achevée début 2022, Vasymoll’eau avait atteint son objectif de réduction de 30 % des consommations d’eau en moyenne. Pour y parvenir, une trentaine de ménages ont été engagés durant plusieurs mois sur l’autoanalyse de leur consommation et le test d’artefacts pour la réduire, avec des points d’étape réguliers. Le parti pris a été de s’appuyer sur l’échange de pair-à-pair pour créer une dynamique de groupe favorisant les changements de pratiques et d’usages de l’eau à l’échelle du foyer. Pour passer à la vitesse supérieure, une saison 2 sera lancée prochainement sur un échantillon plus important (500 ménages) avec également un volet évaluation musclé. Si elle s’avère concluante, une saison 3 mobilisera encore plus de monde.

Un portage indispensable

Autre illustration : le projet des communes dites « gardiennes de l’eau », démarré en octobre 2023 pour s’achever en avril 2024, concerne 26 communes de la MEL, où se situent les champs captants de l’importante nappe phréatique qui alimente la métropole. La démarche comportementale permet d’identifier et qualifier les représentations des élus et des habitants de ces communes sur la préservation de la ressource en eau ou la désimperméabilisation. Face à un ressenti de contraintes, il s’agit de concevoir des dispositifs de sensibilisation, à partir d’une enquête de terrain, d’entretiens et de phases d’observation dans les communes concernées.

« Un soutien fort à notre action du DGS de la MEL, Marc Pons de Vincent, et des directions générales adjointes, a permis un bon accueil et à l’ensemble des services de s’inscrire dans la démarche de l’expédition apprenante », se réjouit Nolwenn Anier. Un levier essentiel qui explique qu’autant de projets aient pu voir le jour. Nombre d’entre eux seront engagés d’ici peu avec toujours la même méthodologie de prendre le temps nécessaire en amont, de bien les cadrer et de retenir les plus pertinents pour ancrer l’approche dans les habitudes de l’administration.

Projets sur les mobilités ou les déchets

Une étude sera lancée, d’ici avril 2024, avec la direction mobilité. S’inscrivant dans le cadre du projet d’écomobilité scolaire, déployé sur le territoire de la MEL, le dispositif mis en place sur une période de six mois à un an visera à inciter les parents à utiliser davantage les modes de déplacement doux, en particulier la marche, pour les trajets domicile/école de leurs enfants. L’idée est d’inciter dès le plus jeune âge à ces modes de déplacement afin de réduire le nombre d’accidents. Ce projet s’inscrit dans le cadre du plan de mobilité de la MEL, adopté fin 2023 et ayant trois cibles prioritaires en faveur des mobilités douces : les personnes âgées, les enfants et les jeunes, les personnes effectuant des déplacements de moins d’un kilomètre. La démarche va concerner ces deux dernières cibles. Si cela fonctionne, le public visé sera élargi.

Toujours dans le cadre des compétences de la MEL, une autre initiative, cette fois avec la direction des déchets ménagers, concernera le tri des biodéchets, obligatoire depuis le 1er janvier 2024. Dans un contexte de changements importants des pratiques, les sciences comportementales identifieront les craintes et les croyances sur le tri des biodéchets chez soi (domaine du domicile et donc de l’intime), perçus comme sales et rebutants. Objectif : lever les freins pour augmenter le tri et positiver ses bienfaits environnementaux.

Démarche exploratoire sur le management

Parmi les autres thématiques identifiées par la direction R&D figure le management. Un collectif d’une dizaine de managers, du profil de chef d’équipe au directeur, a été embarqué sur un projet de recherche, mené en partenariat avec la chaire Innovation publique3. Le chercheur en psychologie sociale Nicolas Fieulaine pilote ce projet pour la chaire : « C’est une démarche très exploratoire, qui à notre connaissance n’a jamais été faite », souligne Nolwenn Anier. Le collectif s’apprête à tester différents outils issus des sciences comportementales pour aborder plusieurs problématiques avec pour finalité d’améliorer les pratiques managériales : création d’un collectif et maintien d’une dynamique collective dans le temps, motivation et engagement, sentiment de sécurité psychologique, etc.

Nolwenn Anier

Nolwenn Anier est docteure en psychologie sociale, en poste à la MEL depuis 2022, elle a connu au départ un parcours de recherche à l’université de Clermont-Ferrand. Ayant « envie de concret et de mise en application » des sciences comportementales, elle travaille ensuite dans une entreprise sur les questions de santé et de bien-être au travail. Suivra un statut de consultante en R&D sur les sciences humaines et sociales. Cette spécialiste des déterminants du comportement humain travaille alors autant avec des entreprises privées que des acteurs publics sur des sujets comme l’innovation managériale ou la santé au travail : « Voyant que des collectivités commençaient à se saisir des sciences humaines et sociales, j’ai eu envie de m’investir au niveau territorial et le poste à MEL était justement ouvert à ce moment-là », explique-t-elle.

Le DGS de la métropole suit l’expérimentation avec beaucoup d’intérêt. À la revue de littérature, réalisée par la chaire Innovation publique pour trouver des hypothèses de recherche, suivra une phase de recueil de données, entre mars et juillet 2024, avec le test en situation réelle de différents outils, le tout accompagné de séminaires réguliers. Au second semestre, les résultats seront analysés puis synthétisés par la chaire, avant une restitution prévue en décembre 2024 ou janvier 2025.

Convaincue, la MEL veut poursuivre sur le chemin nouveau et prometteur de l’innovation en matière comportementale. Pour preuve, les projets en gestation ne manquent pas.

L’intérêt croissant des collectivités

Si l’approche comportementale reste surtout mobilisée par les métropoles comme Lyon, Grenoble ou Lille, le sujet intéresse au-delà. Aujourd’hui, de plus en plus d’acteurs publics recrutent des chargés de mission innovation et transformation qui se saisissent de ces nouvelles méthodes. La MEL a été contacté par les métropoles de Rennes et de Nantes, mais aussi les départements du Rhône, de l’Isère ou le centre de gestion du Nord, intéressés par ces démarches. C’est en ce sens que « l’expédition sciences comportementales » de la MEL est actuellement documentée. L’objectif : outiller d’autres acteurs, notamment les communes, et leur faire bénéficier de retours d’expérience aboutis. À la MEL, la démarche se déploie auprès des 26 communes « gardiennes de l’eau » ou via la direction de l’agriculture et de l’environnement pour accompagner les communes dans la proposition d’une alimentation plus durable dans leurs écoles.

Opération Vasymoll’eau.

  1. Nessi J., « La Métropole européenne de Lille en mode innovation », Horizons publics janv.-févr. 2018, no 1, p. 26-31.
  2. Giraud S. et Lakhlifi C., « L’approche comportementale dans tous ses états », Horizons publics mars-avr. 2020, no 14, p. 88-93.
  3. La MEL a signé une convention de partenariat sur plusieurs projets avec la chaire Innovation publique qui réunit l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI), l’Institut national du service public (INSP), Sciences Po et l’École polytechnique.
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