Revue
DossierMichel Fournier : « Une des principales causes de démission est liée au changement de configuration des collectivités »
Nous avons demandé à Michel Fournier, président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) de réagir à notre dossier sur les démissions des maires : mythe ou réalité ? Maire depuis 1989, Michel Fournier dévoile les raisons pour lesquelles selon lui les démissions dans les communes rurales, qui représentent 88 % des communes françaises et abritent 33 % de la population française, sont nombreuses.
À la suite de la Convention nationale de la démocratie locale organisée le 7 novembre 2023 par la ministre chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, il apparaît que le mouvement de démissions des maires s’explique par différents motifs : les relations avec des citoyens de plus en plus exigeants (13,6 %), les relations de plus en plus complexes avec les services de l’État (12,3 %), la difficile conciliation du mandat avec une vie personnelle (11,7 %) et professionnelle (10,1 %), et la montée des violences (10,8 %). Parallèlement, de nombreuses études démontrent que ce sont les maires des plus petites communes qui démissionnent le plus. En tant que président de l’AMRF, pouvez-vous nous donner votre sentiment sur cette « vague » de démissions ? Les édiles des communes rurales rencontrent-ils des difficultés spécifiques ?
Dans les communes rurales, les causes de démission sont également multiples, c’est d’ailleurs sans doute le principal problème, car s’il n’en existait qu’une, il serait plus facile de la régler. Aujourd’hui, les médias, principalement les journalistes des chaînes d’information en continue, mettent en avant les agressions physiques dont sont victimes les élus. Si on ne peut mettre cet aspect de côté, et que les agressions verbales se multiplient, c’est un phénomène qui reste tout de même à la marge au sein des communes rurales. En réalité, ce n’est pas propre à la fonction de maire, c’est la société qui devient de plus en plus violente et tout ce qui représente une autorité – comme les enseignants, les forces de police et donc les maires – subit cette violence, qui apparaît aujourd’hui quelque peu banalisée. Aujourd’hui, lorsque la violence intervient, c’est plutôt une finalité. Il faut alors la concevoir comme un échec et une goutte d’eau qui fait déborder le vase. C’est loin d’être la réalité principale dans les communes rurales où les causes de démission sont multiples et principalement dues à l’évolution de la fonction et des charges de maire.
Michel Fournier
Président depuis le 14 novembre 2020 de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Il est également président de l’Association des maires ruraux des Vosges et maire des Voivres (88).
En réalité, ce n’est pas propre à la fonction de maire, c’est la société qui devient de plus en plus violente et tout ce qui représente une autorité – comme les enseignants, les forces de police et donc les maires – subit cette violence, qui apparaît aujourd’hui quelque peu banalisée.
Quelles sont ces évolutions ? Comment pèsent-elles sur les maires ?
Je suis maire depuis 1989. Dans les premiers temps du mandat, la fonction était essentiellement basée dans les communes rurales sur des aspects basiques, très techniques avec des domaines de compétences bien identifiés : les forêts, l’éclairage public, la voirie, l’eau, etc. Les demandes des citoyens restaient également très élémentaires. Les enjeux d’aujourd’hui ont beaucoup évolué, tout comme les exigences des citoyens. À présent, un élu d’une petite commune est dans l’obligation de répondre à de nouveaux services, de nouveaux besoins, pour de nouvelles populations avec des revendications « urbaines », mais auxquelles les maires ne peuvent pleinement répondre en milieu rural essentiellement pour des raisons liées à des contraintes budgétaires. Les maires ruraux sont aussi confrontés à d’autres problématiques. Par exemple, si un médecin quitte une commune parce qu’il disposera de plus de moyens dans une autre, la population lui demandera des comptes. De même, pour une entreprise, alors que le maire n’a aucune compétence sur la gestion de l’entreprise. On considère que les élus doivent être responsables de tout avec des moyens qui sont extrêmement modestes. Cette impossibilité de répondre aux attentes de nos concitoyens crée des crispations, et, malgré nos efforts, certains se disent « lassé » et préfèrent quitter leur mandat, devenu trop pesant. C’est une des raisons, mais d’autres existent et elles sont plus structurelles. À mon sens, une des principales causes de démission est liée au changement de configuration des collectivités et notamment à la création nécessaire, mais discutable dans leur fonctionnement de l’intercommunalité.
Pouvez-vous nous préciser les liens entre l’intercommunalité et les démissions des maires ?
Pour les maires ruraux, l’intercommunalité a de nombreuses conséquences sur la gestion quotidienne du mandat et principalement pour trois raisons : le transfert obligatoire de certaines compétences, le fonctionnement peu démocratique des conseils communautaires et, enfin, la déconnexion avec le territoire local. En réalité, les maires ruraux ne sont pas défavorables au regroupement, mais plutôt à son mode de fonctionnement. Une des principales causes réside dans ce que l’on pourrait qualifier « d’erreur historique » qui correspond à l’obligation d’adhérer à des intercommunalités, mais surtout à l’obligation d’abandonner certaines compétences. La loi NOTRe1 a provoqué de multiples démissions d’élus parce qu’ils ne se retrouvent plus dans la fonction de maire. Aujourd’hui, je suis vice-président d’une communauté d’agglomération regroupant 78 communes et 116 000 habitants. Avant la loi NOTRe, j’étais président d’une intercommunalité de 5 000 habitants avec 12 maires où les pratiques étaient complètement différentes. S’il est essentiel de nuancer puisque certaines intercommunalités fonctionnent très bien, il n’en demeure pas moins vrai que les maires ruraux souffrent d’un sentiment d’abandon dans la potentialité de s’exprimer ou de faussement s’exprimer au sein des intercommunalités qui fonctionnent de manière très pyramidale. Les conseils communautaires ne sont aujourd’hui que des chambres d’enregistrement où les élus votent en moyenne 50 délibérations en trois heures. Aussi, un élu n’osera pas provoquer la discussion ou simplement poser une question de peur de faire perdre du temps aux autres. Si bien que l’absentéisme est très important. Avec la création des intercommunalités XXL, on s’aperçoit que le fonctionnement a beaucoup évolué, notamment lorsqu’il existe une centralité forte. Autrement dit, les maires des petites communes s’aperçoivent que les regards et les priorités se concentrent sur cette centralité, conduisant à un désintérêt, et c’est certainement une cause de démission bien plus importante que les violences à l’égard des élus.
Vous avez parlé d’un sentiment de déconnexion ? Ce sentiment est-il lié aux compétences transférées à l’intercommunalité ou concerne-t-il plus précisément la fonction de maire dans ses relations avec ses administrés ?
Ce sentiment est d’abord lié à la perte de compétences. Par exemple, la compétence économique ne peut plus s’exercer dans une petite commune en raison de défaut de moyens et parce que les communes rurales n’ont pas la capacité de répondre à des défis économiques. D’où l’intérêt de l’intercommunalité. Toutefois, aujourd’hui nous nous apercevons d’une lourdeur importante, tellement excessive que les maires – mais aussi de potentiels chefs d’entreprise – se lassent. En d’autres termes, le maire doit être l’interlocuteur, mais en réalité il ne l’est plus. D’ailleurs, les administrés ne sont pas suffisamment informés, ils ne savent pas qui fait quoi, ils sont démunis parce qu’ils vont voir le maire ou le secrétaire de mairie, qui restent les premières autorités de proximité, mais on ne peut leur répondre puisque la commune n’exerce plus la compétence, conduisant à un sentiment de frustration aussi bien de la part de la population que des élus.
On peut regretter que la « valeur ajoutée des maires » ne soit pas davantage prise en compte. Les maires des petites communes sont obligés d’être pluri-compétents avec une vue à 360 degrés. Ce qui manque ce sont les moyens et le temps.
Quelles sont, à votre avis, les pistes à envisager pour enrayer les démissions des maires dans les communes rurales ?
On peut regretter que la « valeur ajoutée des maires » ne soit pas davantage prise en compte. Les maires des petites communes sont obligés d’être pluri-compétents avec une vue à 360 degrés. Ce qui manque ce sont les moyens et le temps. En revanche, la solution n’est pas dans la suppression des petites communes et leur fusion, le problème n’est que reporté. Pour que notre pays soit dynamique et mobilise le maximum d’engagement dans l’intérêt des citoyens, il est nécessaire de conserver la proximité. Cette proximité est source de beaucoup plus de bénéfices que d’inconvénients. C’est précisément pour cette raison que les élus ruraux sont très actifs dans l’adoption d’un statut de l’élu local. Il faut, par ailleurs, ajouter qu’exercer de nos jours un métier en plus de la fonction est plus que difficile. Le mandat de maire reste très chronophage et si certains concilient, avec plus ou moins de réussite, leur vie professionnelle avec leur mandat, d’autres parfois ne peuvent pas, et donc doivent, faire des choix. Or, il très rare que la question soit abordée, mais il existe des situations d’élus très précaires. Pourtant, quand il nous est demandé de réfléchir au statut de l’élu local, la question des répercussions financières ne doit pas être abordée.
La réponse du Gouvernement sur cette question de la revalorisation pourrait être que les indemnités ont déjà été revalorisées en tout cas pour les plus petites communes en 2019 par la loi Engagement et proximité2 ?
Il est vrai que cette revalorisation a eu lieu, mais elle s’est effectuée sur les budgets communaux. Or, dans certaines communes aux faibles moyens, cela n’a pas été possible. C’est pourquoi l’AMF propose, et ce pour l’ensemble des maires, qu’ils soient ruraux ou non, un socle nécessaire et obligatoire indemnisé par l’État qui est estimé entre 500 et 600 euros sans exclure des regards différents par rapport à chaque collectivité et la possibilité d’aller plus loin sur son budget propre. Ce socle « étatique » permettrait enfin de donner corps à un des rôles fondamentaux des maires au sein de la République, celui d’être des représentants de l’État.
- L. no 2015-991, 7 août 2015, portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe ».
- L. no 2019-1461, 27 déc. 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite « loi Engagement et proximité ».