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Ce qui se cache derrière les démissions des maires

Le 27 septembre 2024

Dans une enquête menée avant l’été 2024 dans quatre départements (Nord, Aisne, Jura, Côte-d’Or), les conflits internes au conseil municipal ressortent comme la principale cause des démissions des maires. Cette enquête – qu’Horizons publics vous dévoile dans ce numéro – confirme que les démissions de maire ont souvent lieu dans des petites communes, parfois très petites. L’analyse permet aussi de montrer la diversité des causes de démission et de mieux comprendre quels maires démissionnent et dans quel contexte.

À l’approche des échéances municipales ou à l’occasion de bilans intermédiaires, la presse ou diverses enquêtes se font régulièrement l’écho du nombre important de démissions de maire. En 2018, par exemple, le journal Le Monde avançait que le nombre de maires ayant démissionné depuis les élections municipales de 2014 était en hausse de 55 % par rapport à la mandature précédente et que ces démissions avaient augmenté au fil du mandat : 65 en 2014, 212 en 2015, 229 en 2016 pour cumuler à 296 en 20171. Plus récemment, une enquête de l’Association des maires de France (AMF) et du CEVIPOF2 fait état d’environ 1 300 démissions de maire depuis le mois de juin 2020, soit un rythme de 450 démissions par an (contre 350 par an au cours de la précédente mandature). Cette vague de démissions, présentée comme inquiétante, a justifié le lancement de réflexions devant nourrir des réformes. La ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, Dominique Faure, s’est ainsi exprimée en faveur d’un travail sur « un statut de l’élu en partenariat avec l’AMF pour résoudre tous les irritants » au 105Congrès des maires de France fin novembre 2023. Les parlementaires se sont également emparés de la question dans les deux hémicycles. La délégation aux collectivités territoriales du Sénat a rendu public, mi-novembre, un rapport sur le régime indemnitaire des élus municipaux, assorti de huit recommandations visant à « garantir une meilleure protection matérielle des élus afin de faciliter et sécuriser l’exercice du mandat d’élu local », suivi de deux autres, l’un portant sur l’engagement dans le mandat local et l’amélioration des conditions de son exercice, l’autre sur la réussite de l’après-mandat3. À l’Assemblée nationale, une mission d’information sur le statut de l’élu, créée au sein de la délégation aux collectivités et pilotée par les députés Violette Spillebout et Sébastien Jumel, a rendu ses conclusions en décembre 20234.

Une enquête de l’Association des maires de France (AMF) et du CEVIPOF2 fait état d’environ 1 300 démissions de maire depuis le mois de juin 2020, soit un rythme de 450 démissions par an (contre 350 par an au cours de la précédente mandature).

Les chiffres sur les démissions alimentent ainsi des propositions d’amélioration de la condition mayorale au nom d’un supposé « blues des maires » 5. Les enquêtes évoquées ci-dessus mettent en effet l’accent sur les conditions d’exercice du mandat comme facteurs explicatifs des démissions. Ainsi, dans l’enquête précitée de l’AMF et du CEVIPOF, les questionnaires adressés aux élus mettent en avant les exigences trop fortes des citoyens (14 %) et la complexité des relations avec les services de l’État (12 %). La conciliation du mandat avec la vie personnelle (12 %) et avec la vie professionnelle (10 %) suivent, ainsi que les raisons de santé (6 %). Les motifs qui conduisent un maire à démissionner sont potentiellement plus diversifiés. En examinant de près un nombre limité de démissions et procédant à des entretiens plutôt qu’à des enquêtes par questionnaire, il est possible de mieux appréhender les circonstances dans lesquelles les maires démissionnent. C’est dans cette perspective que ces démissions ont été passées à la loupe dans quatre départements – Nord, Aisne, Jura, Côte-d’Or – , en mobilisant les données du Répertoire national des élus (RNE, 30 nov. 2023) et les informations disponibles dans la presse locale, mais aussi en réalisant une vingtaine d’entretiens avec des maires démissionnaires de ces départements entre avril et juin 2024.

L’enquête confirme que les démissions de maire ont souvent lieu dans des petites communes, parfois même très petites : dans les quatre départements de l’étude, les démissions entre les élections municipales de 2020 et fin novembre 2023 concernent des communes de 20 à 19 500 habitants et une majorité à moins de 500 habitants. L’analyse permet de montrer la diversité des causes de démission, et de mieux comprendre quels maires démissionnent et dans quel contexte. De cette étude, il ressort que les chiffres avancés par les médias ou les associations d’élus sont parfois gonflés par les décès, qui restent une cause importante de cessation de mandat ; en regardant de près décès et démissions, apparaissent d’ailleurs autant les effets de la difficulté du mandat que l’attachement à la fonction. Un autre facteur est que les charges de la fonction pèsent effectivement sur certains maires qui démissionnent du fait de la difficulté à concilier le mandat de maire avec l’activité professionnelle et/ou la vie familiale, mais elles agissent surtout sur les maires âgés ayant enchaîné plusieurs mandats, qui finissent par ressentir une certaine lassitude. Enfin, si les démissions sont fréquentes au cours du premier mandat, il apparaît que c’est très largement du fait de conflits internes au conseil municipal, qui apparaissent comme la principale cause de démission dans les quatre départements étudiés.

Décès, maladies et démissions : poids du mandat et attachement à la fonction

Si certaines enquêtes rapides les incluent et font ainsi gonfler le nombre de démissions sans distinguer les causes de cessation d’un mandat6, les décès ne sont évidemment pas des démissions. Or, les décès en cours de mandat ne sont pas rares : le panorama général réalisé à l’échelle des quatre départements souligne ainsi l’importance relative des décès au regard des démissions. Dans l’Aisne, le nombre de décès n’est même que légèrement inférieur au nombre de démissions (13 décès pour 15 démissions, une commune ayant connu deux décès sur la période).

Les décès interviennent souvent chez des élus qui ont réalisé plusieurs mandats et qui sont plutôt âgés.

Ces décès « en fonction » interrogent l’impact du mandat et des conditions d’exercice sur la santé des élus, dans la mesure où l’âge moyen des décès constatés est inférieur à l’espérance de vie des hommes en France11. Il faudrait cependant rapporter l’âge de décès aux professions exercées et à l’espérance de vie locale. Il existe d’ailleurs plusieurs cas de démissions pour maladie (voir p. 39). Si les données recueillies ne permettent pas de donner une réponse définitive, certains cas révèlent le lien entre la maladie et les tensions liées à l’exercice du mandat. Le maire d’une commune de 1 800 habitants, élu en 2020 après avoir été premier adjoint, démissionne ainsi en janvier 2023 en mettant en avant dans la presse un « état d’épuisement physique et mental incompatible avec la fonction » après s’être mis en retrait dès octobre 2022 « pour des raisons de santé ». L’entretien réalisé avec ce maire démissionnaire met en évidence que ce sont les attaques dont il fait l’objet de la part d’un opposant mais aussi le surinvestissement dans la fonction qui finissent par atteindre sa santé. Les sollicitations multiples dont il fait l’objet finissent par prendre toute la place : en plus des réunions et du travail administratif, tout déplacement dans sa commune donne lieu à des demandes, tandis que les conflits au sein du conseil l’empêchent de dormir, si bien qu’il se relève la nuit pour travailler. Il ne s’autorise que quinze jours de vacances et laisse son téléphone portable toujours branché en cas d’urgence. Il finira par se mettre en retrait, puis par démissionner, dans un état qu’il rapproche lui-même du burn out. Il suivra une psychothérapie après sa démission. Dans un autre département, dans une commune d’environ 1 200 habitants, le maire élu en 2020 explique sa démission fin 2021 dans le bulletin municipal et la presse par des raisons personnelles et de santé, tandis qu’un entretien réalisé en mai 2024 met au jour divers conflits internes, la relation difficile avec un administré mais aussi une surcharge de travail renforcée par une difficile conciliation avec son activité professionnelle (qu’il a réduite au cours du mandat) ; le stress engendré finit par lui causer des malaises. Cette situation l’a également conduit à un suivi psychologique.

Les décès en fonction témoignent cependant aussi de l’attachement fort à la fonction de maire. Dans le département du Nord, sur les 12 décès de maire advenus entre septembre 2020 et fin novembre 2023, 7 concernent des maires qui entamaient au moins leur deuxième mandat et qui ont entre 57 et 82 ans (l’élu de 82 ans en était à son 4e mandat de maire, celui de 57 ans à son 2e), 5 sur les 7 ayant plus de 70 ans. Dans l’Aisne, sur les 13 maires décédés sur la période, seuls 2 en étaient à leur premier mandat, l’un des deux ayant succédé à un premier maire mort en juillet 2020 ; les 11 autres avaient entre 62 et 90 ans, et en étaient entre leur deuxième et douzième mandat. Dans le département de la Côte-d’Or, sur les 11 décès advenus au cours de la même période, 10 concernent des maires qui entament au moins leur deuxième mandat et qui ont entre 61 et 89 ans (l’élu de 89 ans en est à son 9e mandat et celui de 61 ans à son 2e) ; seul un est décédé au cours de son premier mandat, à l’âge de 47 ans, des suites d’une « longue maladie ». Dans le Jura, 2 des 3 élus décédés entamaient leur second mandat, le troisième en était à son quatrième mandat ; ils avaient entre 63 et 74 ans. Ces cas illustrent donc plutôt des « carrières à vie » où l’attachement au mandat conduit à une mort en fonction.

C’est un virus pour lequel on n’a pas de vaccin, l’intérêt pour la vie locale.

Certaines démissions qui n’en sont pas vraiment témoignent aussi d’une certaine difficulté à quitter la fonction mayorale. En effet, démissionner ne veut pas toujours dire se retirer de la vie politique locale ni même cesser de participer au gouvernement de la commune, comme le reconnaît en entretien l’ancien maire d’une commune de 1 600 habitants : « Moi, ce n’est pas une démission. C’est un changement. » Ce maire démissionnaire exprime très explicitement son souci de rester très présent et très actif dans le conseil municipal, ce qui se matérialise par l’échange de fonction avec le premier adjoint. Les propos ne sont pas toujours aussi explicites, mais il n’est pas rare qu’un maire démissionnaire devienne premier adjoint et encore moins qu’il reste conseiller municipal, voire conseiller communautaire. Si ces maires démissionnent sans vraiment partir, d’autres configurations montrent que le retrait de la fonction de maire est parfois difficile à accepter. C’est ce qu’a révélé l’entretien avec l’ancien maire d’une commune d’un peu plus de 600 habitants, poussé à la démission trois ans après son élection par l’incapacité du maire précédent, resté adjoint, à lui laisser la place ; ce qui se traduit par des critiques et des interventions permanentes. Dans un autre cas, la démission du maire réélu en 2020 permet à celui qui avait laissé le poste en 2017, suite à son élection comme député, de retrouver le fauteuil de maire après sa défaite aux législatives en 2022. Les maires ainsi poussés à la démission le font à regret car, comme ceux qui ne parviennent pas à se retirer de la vie municipale, ils sont attachés à leur mandat. Comme le dit encore un autre élu, qui a démissionné de son mandat de maire au cours de son cinquième mandat : « C’est un virus pour lequel on n’a pas de vaccin, l’intérêt pour la vie locale. »

Certains décès en fonction comme certaines démissions – celles qui n’en sont pas vraiment comme celles qui révèlent le souci de certains de reprendre un poste perdu – montrent ainsi en creux la permanence d’un attachement durable au mandat de maire malgré les charges de la fonction.

Lourdeur de la charge et effet d’âge

De nombreux rapports et études soulignent qu’il est très difficile pour un maire de concilier son mandat avec une activité professionnelle mais également avec sa vie familiale. Les maires qui conservent leur activité professionnelle mettent particulièrement en exergue le caractère chronophage du mandat. Selon une enquête de l’Association des maires ruraux (AMR) de Loire-Atlantique, plus de la moitié des adhérents (51 %) n’ont « pas assez de temps » pour remplir leurs missions et 21 % de ceux qui ont conservé une activité professionnelle signalent avoir rencontré des difficultés avec leur employeur. Un des maires démissionnaires de l’étude a ainsi réduit son activité professionnelle à 60 % parce qu’il lui était devenu impossible de concilier les deux malgré les dispositifs existants. La taille de la commune n’apparaît pas comme un élément déterminant du temps consacré à l’exercice du mandat. Ainsi, le maire de Détain-et-Bruant (160 hab.) déclare consacrer à son mandat quarante heures par semaine, comme celui d’une commune de 1 200 habitants, Longecourt-en-Plaine dans le département de la Côte-d’Or. Pour autant, la difficulté à concilier le mandat avec son activité professionnelle, ou même plus largement la difficulté à exercer la fonction du fait de la charge de travail, n’apparaît que rarement comme la cause de la démission dans l’échantillon, d’après les informations tirées de la presse locale et des entretiens (moins de 5 cas dans chaque département). De même, si le poids des réglementations et la lourdeur de certaines démarches sont soulignés, cela n’apparaît pas comme l’origine des démissions. Quant aux effets sur la vie familiale, plusieurs des maires rencontrés soulignent à quel point elle est affectée par le mandat. L’un d’eux regrette ainsi d’« avoir raté des moments importants avec [ses] enfants ». Comme d’autres, il souligne aussi à quel point son épouse a dû être compréhensive. Pourtant, il ne démissionne qu’au cours de son cinquième mandat et après quarante ans de vie municipale.

Nombre de démissions interviennent en effet après plusieurs mandats : l’âge et le cumul des mandats dans le temps sont des facteurs à prendre en compte dans l’analyse des démissions. Comme le montrent les tableaux ci-dessous, si beaucoup de maires démissionnent au cours du premier mandat, ils sont aussi un certain nombre à le faire après plusieurs mandats et à un âge avancé.

Dans le Nord, un maire démissionne ainsi au cours de son cinquième mandat, un autre au cours de son huitième mandat. Dans le Jura, deux maires démissionnent après leur sixième mandat et un après son cinquième. En Côte-d’Or, deux maires démissionnent après leur quatrième mandat, le premier âgé de 71 ans et le second de 74 ans.

La démission peut alors s’expliquer par une forme de lassitude. C’est d’ailleurs ce que mettent en avant deux maires de l’Aisne : le premier, 73 ans et en cours de deuxième mandat dans une commune de 210 habitants, explique en décembre 2022 : « Je crois que j’en avais assez de devoir faire la police, d’intervenir, par exemple, auprès de voisins qui se disputent ou de gens qui ont du mal à vivre en communauté. » Le second, 76 ans et en cours de troisième mandat dans une commune de 350 habitants, met en avant « le besoin de prendre sa retraite électorale » (L’Union 21 oct. 2022). Dans le Jura, un maire en cours de troisième mandat évoque en entretien « une sorte de ras-le-bol » : « Il y a toujours une réglementation nouvelle pour retarder les décisions. Les interpellations sont journalières de la part de la population. J’ai l’impression que nous n’avons plus aucun pouvoir de décision tant l’empilement des structures (direction départementale des territoires [DDT], direction régionale des affaires culturelles [Drac], plan local d’urbanisme intercommunal [PLUi], communauté de communes [com’com]) est encore plus restrictif que celles de l’État et freine le développement de nos villages. » Cette forme de lassitude se manifeste également à l’égard de l’intercommunalité, notamment depuis qu’elle est devenue « XXL ». Ainsi le maire d’une commune de Côte-d’Or explique en entretien qu’avant la fusion des intercommunalités, il siégeait au sein d’une « petite » intercommunalité de 22 élus, alors qu’après la fusion ce nombre est passé à plus de 80, ne permettant plus selon lui de prendre en compte l’avis des petites communes, l’intercommunalité devenant « une grosse machine ». Cela a aussi des incidences sur le temps de travail, comme le relate le maire d’une commune de 120 habitants en Côte-d’Or : la première réunion de sa nouvelle intercommunalité regroupant 77 communes et dans laquelle siègent 104 membres a duré plus de onze heures.

Il y a toujours une réglementation nouvelle pour retarder les décisions. Les interpellations sont journalières de la part de la population.

Certains maires ne semblent cependant pas se lasser. Leur démission après plusieurs mandats s’explique par le souci de ralentir le rythme à un moment où ils se sentent devenir âgés mais ils tiennent à préparer la suite. Ils font alors le choix de se représenter pour démissionner quelques années plus tard, le temps de former leur successeur (« Le devoir d’un élu, c’est de préparer son successeur », dit l’un d’eux en entretien) ou repartent pour un dernier mandat pour éviter qu’un adversaire ne remporte l’élection avant de laisser la main. Les maires démissionnaires ayant ce profil quittent souvent la fonction à regret, comme l’avoue en entretien le maire d’une commune de 150 habitants en Côte-d’Or : « Je m’étais engagé à laisser ma place à la fin de travaux, je ne pouvais plus reculer, mais finalement c’est difficile d’arrêter. »

Dans le département du Nord, sur 35 démissions, les dissensions internes au conseil apparaissent comme un facteur important (10 cas), et dans 9 cas sur 10 il s’agit de tensions internes à la majorité.

Des causes rarement abordées : les conflits internes au conseil municipal

L’existence de dissensions au sein du conseil municipal est rarement soulignée par les médias ou les associations d’élus. Le rapport d’information sur le statut de l’élu local de l’Assemblée nationale évoque néanmoins ce motif de démission : « Il peut arriver que la démission d’un maire s’explique par des désaccords politiques persistants avec des membres de sa municipalité. Ainsi, Frédéric Besème, ancien maire de Chiroubles (69), qui a démissionné en octobre 2023, a expliqué sa décision aux rapporteurs par l’existence d’un différend avec cinq membres de son équipe à propos de l’opportunité d’un projet coûteux de nouvelles cantine et de garderie. » 12 L’étude de la presse locale et les entretiens menés dans les quatre départements font ressortir que les tensions au sein des assemblées délibérantes constituent la principale cause de démission. Ainsi, dans le département du Nord, sur 35 démissions, les dissensions internes au conseil apparaissent comme un facteur important (10 cas), et dans 9 cas sur 10 il s’agit de tensions internes à la majorité.

Le tableau des motifs de démission en Côte-d’Or ci-dessous montre aussi que les conflits sont nombreux dans la vie démocratique locale, y compris dans les communes de petite taille où l’apolitisme et le consensus sont mis en avant. Une commune de 40 habitants voit ainsi son maire démissionner suite à une opposition forte des conseillers municipaux.

Ce sont les maires qui exercent leur premier mandat qui sont le plus concernés par les démissions pour cause de tensions internes.

Dans le Jura, 6 démissions (sur 24) s’expliquent par des dissensions ou conflits internes au sein du conseil municipal. Alors qu’elle était élue depuis 2002, la maire de Montholier (376 hab.) démissionne très rapidement de son quatrième mandat (août 2020), expliquant dans la presse : « Il y a eu des coups dans le dos, je n’ai plus confiance en mon équipe municipale, je ne veux plus travailler avec eux. » Le maire de Rouffange (118 hab., 2nd mandat) met en avant des raisons similaires : « Je pensais avoir une équipe soudée autour de moi, mais je suis très déçu et c’est avec de sincères regrets que je quitte le conseil municipal. » Les entretiens font également ressortir des cas où les maires démissionnaires ont mis en avant des « raisons personnelles » ou des raisons de santé dans la presse alors que le véritable motif de leur départ anticipé relève de fortes dissensions au sein du conseil municipal. Ainsi en est-il de l’ancien maire d’une commune de 152 habitants, premier mandat, élu avec 100 % des voix mais qui explique avoir été victime « d’un complot de conseillers pour qu’[il] démissionne ». L’ancien maire d’une commune de 1 300 habitants a également dû faire face à ce qu’il nomme des « adjoints félons ». Le maire d’une commune en Côte-d’Or, 1 200 habitants, qui exerce son premier mandat de maire après avoir été longtemps adjoint, a également été mis en minorité par ses adjoints sur sa « méthode de gestion du conseil municipal ».

Les démissions de maire ne sauraient donc être vues comme le seul produit de conditions d’exercice de plus en plus difficiles.

Il explique, lors de l’entretien, qu’une réunion de l’ensemble du conseil municipal a eu lieu sans lui et qu’au regard de multiples reproches qui lui ont été destinés, il a préféré démissionner. Il note, à regret, que s’il connaissait la charge de maire (il a été auparavant adjoint), il n’imaginait pas que les relations avec les élus pouvaient être si délétères. Comme lui, ce sont les maires qui exercent leur premier mandat qui sont le plus concernés par les démissions pour cause de tensions internes.

Les motifs de démission apparaissent ainsi multiples ; ils s’articulent par ailleurs à un ensemble d’éléments contextuels qui permettent de distinguer différents profils : des maires âgés qui démissionnent après plusieurs mandats en prenant le temps de former un successeur, des maires qui démissionnent au cours de leur premier mandat suite à des tensions internes au conseil municipal, des maires qui ne parviennent pas à concilier le mandat et leur activité professionnelle. Les démissions de maire ne sauraient donc être vues comme le seul produit de conditions d’exercice de plus en plus difficiles. Les maires démissionnaires rencontrés disent d’ailleurs souvent avoir quitté leur mandat à regret, parfois après de nombreuses années à la tête de leur commune. Un certain nombre restent en poste jusqu’à leur mort. L’attachement à la fonction mayorale ne semble donc pas avoir disparu.

  1. Faussabry T., « De plus en plus de maires français démissionnent depuis dix ans », Le Monde 30 août 2018.
  2. Foucault M., Des maires engagés mais empêchés, Cinquième enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité, nov. 2023, AMF-CEVIPOF/ Sciences Po.
  3. Sénat, Statut de l’élu, rapp. inf. no 121, 16 nov. 2023 ; Faciliter l’exercice du mandat, rapp. inf. no 215 ; « Comment être après avoir été ? » : les enjeux de la fin de mandat d’un élu local, rapp. inf. no 216.
  4. Jumel S. et Spillebout V., Statut de l’élu local, rapp. inf. no 2019, 20 déc. 2023, Assemblée nationale.
  5. Kerrouche E., Le blues des maires et des conseillers municipaux, 20 nov. 2018, Fondation Jean-Jaurès (www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/drupal_fjj/publication-print/maires_kerrouche.pdf).
  6. En 2018, les préfets sollicités par les services du Premier ministre soulignent ainsi que les démissions de maire sont souvent surestimées en ne se concentrant pas sur les démissions volontaires mais en balayant l’ensemble des motifs de cessation de fonction (Roger P., « Les préfets contestent l’ampleur des démissions des édiles », Le Monde 3 oct. 2018).
  7. Élections annulées, nouvelles élections suite à de nombreuses démissions de conseillères et conseillers municipaux, fusions de communes, dissolution du conseil municipal ou raisons inconnues.
  8. Deux communes ont connu deux changements de maire, 58 communes sont donc concernées.
  9. 34 communes concernées, car une même commune a connu deux démissions sur la période.
  10. En fait 13, car une même commune a connu deux décès entre juin 2020 et juin 2023.
  11. Les hommes sont très majoritaires dans l’échantillon ; leur espérance de vie est de 79,2 ans en 2020.
  12. Jumel S. et Spillebout V., Statut de l’élu local, op. cit., p. 75.
  13. Voir supra sur la préparation des successions.
  14. La préfecture a reçu une lettre de démission qui proviendrait du maire, mais ce dernier remet en cause ce courrier (Valloire G., « Lettre de démission et démenti : y a-t-il toujours un maire dans le village de Bézouotte ? », Le Bien public 24 oct. 2022).
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