Nicolas Pernot, Directeur général des services de la région Grand Est

Nicolas Pernod
Nicolas Pernod
©DR
Le 3 mai 2022

Nicolas Pernot se confie à Horizons publics sur la politique data de son territoire. La stratégie data et le pilotage des politiques deviennent incontournables aujourd’hui. Comment se saisir des données disponibles pour rendre un service public plus efficace, sans jamais oublier le fait que beaucoup de nos concitoyens sont exclus de l’écosystème numérique ou ont décidé de n’y accorder qu’une importance relative ?

Comment la région Grand Est utilise-t-elle les données pour améliorer ses services publics ?

Une précision s’impose d’abord : les données ont toujours existé. Depuis de nombreuses années, nous sommes abreuvés de statistiques dans les territoires. Ce qui change aujourd’hui, c’est la masse et la capacité de traitement dont nous disposons pour améliorer les choses. Ces données constituent à mes yeux un vivier pour faciliter l’aide à la décision. Elles permettent d’avoir une connaissance plus approfondie de ce que vivent nos citoyens sur le terrain. Elles apparaissent donc de fait comme des éléments de clarification et d’explicitation des politiques que nous menons.

Désormais, dans la fabrique des politiques publiques, nous avons la capacité de modéliser un certain nombre de nos actions. De la carte scolaire en passant par les transports, de l’organisation de l’écosystème touristique à la projection en matière d’aménagement ou encore d’attractivité du territoire, ces données peuvent orienter la manière de faire en mesurant mieux les effets de certaines actions publiques.

C’est aussi une manière d’agir en toute transparence, en partant de ce qu’ils vivent pour mieux adapter nos politiques. Bref, c’est un champ très vaste.

Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Pour intégrer les données dans le fonctionnement de la collectivité, nous avons créé une délégation à la modernisation de l’action publique au sein de la région dont l’une des missions est de travailler sur ce sujet. L’un des objectifs est d’avoir un repérage de l’ensemble des sources de données disponibles, ce qui nous permettra ensuite d’être les acteurs de l’animation de ces données. Nous devons veiller à la meilleure appropriation en interne de la démarche. Plusieurs rendez-vous sont fixés auprès des agents, comme les cafés de la data qui permettent à n’importe lequel d’entre eux de venir exposer un projet ou d’échanger. Nous devons disposer d’un lieu de compétences et de savoir-faire sur le sujet, bien repéré par les agents.

Au cœur de la crise sanitaire et dans le cadre du plan de relance que nous avons lancé, les données ont permis de mieux réagir aux besoins des territoires.

Ce qui change est donc fondamental, à savoir la possibilité quasi-simultanée de disposer de tableaux de bord de la situation, presque au jour le jour, et donc, pour nous, de réagir en fonction. Cette disponibilité immédiate nous permet de mieux accompagner les évolutions de nos politiques.

Quelles sont les données accessibles ? Toutes les données peuvent-elles donner lieu à des modélisations ?

Certaines données sont facilement accessibles, d’autres beaucoup moins. Comme vous le savez, la région est la collectivité organisatrice des transports et, à ce titre, elle pourrait tirer le meilleur profit des données que lui fournirait la SNCF. Or, cet échange n’est pas simple à organiser. La SNCF rechigne à les fournir et parfois pour des raisons de confidentialité, tout à fait compréhensibles. De plus, ces données ne se présentent pas toujours sous la forme que nous souhaiterions. Il y a enfin des raisons commerciales qui en limitent le transfert. On peut aussi évoquer le domaine de la santé, où les données sont verrouillées et leur accès très restrictif.

Un autre sujet me paraît tout aussi important : la compétence de nos propres équipes. Il s’agit d’un domaine nouveau et il faut que nous apprenions à nager. Nous faisons donc appel à des structures extérieures qui nous permettent de monter en puissance en termes de formation. C’est de cette manière que l’utilisation des datas nous permettra de placer les dossiers au-dessus de la pile, en sensibilisant tout le monde à cet impératif. Le fait de nommer une personne en charge au sein de la collectivité ne suffira pas. L’appropriation doit être collective ou ne se fera pas.

La plateforme Data Grand Est a été officiellement lancée en novembre 2021 à Metz dans les locaux du tiers-lieu Bliiida1. Financée principalement par la région et par l’État, elle vise à mutualiser les données des collectivités locales et des entreprises pour les rendre accessibles à la population. Pour quels usages ? Qu’est-ce que cette plateforme va rendre possible en termes d’actions publiques ?

Il s’agit d’une collaboration étroite entre la région et l’État, ce qui n’est pas assez courant. Cette plateforme est le fruit d’un mouvement commun que nous avons lancé et qui se concrétise aujourd’hui. Car, face aux datas, le pire serait de penser que l’on peut agir seul. Dans les faits, il faut mener ce projet avec les autres, l’État, mais aussi les départements, les intercommunalités et les communes. Nous devons aussi apprendre à collaborer les uns les autres et entrer dans une phase d’entraide parce qu’une grande majorité des agents sont favorables à l’utilisation des données, mais peu d’entre nous savons le faire ! Cette plateforme va permettre d’enrichir les données.

Nous avons, par exemple, un grand enjeu à la région autour du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET). Les données vont nous permettre de mieux développer cette stratégie, mais nous devons élargir ce spectre aux données des autres acteurs, pour être le mieux à même, notamment, de faire face aux exigences du zéro artificialisation nette (ZAN).

Les datas doivent nous rendre tous plus intelligents sur les enjeux à venir et pour ce faire, nous ne devons pas tous devenir de grands spécialistes, mais des utilisateurs éclairés.

Il s’agit donc, en quelque sorte, de démystifier la data…

Nous aurons à nous poser chaque fois la question de savoir à quoi peut être utile l’utilisation des données pour améliorer le service public. Et cette mise à niveau implique tout le monde, il s’agit d’observer de près le cycle de la donnée. Le point de départ est la plupart des agents d’accueil, dont le métier est en train de se transformer radicalement. Il faut donc accentuer leur formation. Sans parler du métier de directeur des systèmes d’information (DSI), dont le changement de paradigme est tout aussi radical. Pendant des années, on leur a demandé de traiter le contenant, de faire en sorte, si vous me permettez l’expression, que « les tuyaux fonctionnent bien ».

Désormais, ils doivent traiter aussi du contenu et nous devons recruter des jeunes agiles sur les réseaux, pour donner du sens à cette révolution. Sans oublier le « top management » : les élus doivent encourager cette pratique.

Autre sujet, un peu tabou, le lien avec le privé et les start-up. Nous devons les intégrer dans le giron public et celles qui sont le plus souvent géographiquement proches de nous ont du mal à pénétrer dans la sphère publique. Travailler avec une start-up sur l’optimisation du ramassage des poubelles est sans aucun doute très bénéfique pour l’optimisation des services publics.

Quel avenir pour le modèle français de territoire intelligent ?

territoires connectés études

En octobre 2021, le ministère de l’Économie et des Finances a dévoilé une étude sur les smart cities et territoires intelligents en France, intitulée De la smart city à la réalité des territoires connectés, l’émergence d’un modèle français ? 2. L’idée étant de produire une étude sur la réalité du déploiement des outils et des méthodes de territoire intelligent en France. Conduite par un consortium d’experts3, cette étude, qui a nécessité huit mois de travail et mobilisée plus de 150 acteurs des territoires intelligents (collectivités, élus, entreprises, filières, associations, experts, etc.), est selon Jacques Priol, directeur et coordonnateur de la mission, inédite à plusieurs titres.

Elle couvre une large variété de champs relatifs aux territoires connectés : priorités politiques et usages réellement déployés des smart cities, choix technologiques, écueils techniques, financiers ou juridiques, échec des tentatives de mutualisation, fuite en avant dans le recours aux proof of concept (POC), prototypes et autres expérimentations. Cette étude, qui fait aujourd’hui référence sur les sujets de (big) data dans les territoires, permet de comprendre comment les territoires se saisissent vraiment (ou non) des outils numériques et de la gestion des données pour piloter leurs politiques publiques. Et de comprendre pourquoi la smart city reste aujourd’hui très loin des promesses d’hier, y compris au sortir de la crise sanitaire prétendument favorable à la généralisation d’un « tout numérique ».

L’étude présente aussi 46 recommandations pour un modèle « innovant, sobre, protecteur et démocratique » du territoire connecté. Un modèle en partie inspiré d’initiatives étrangères, notamment canadiennes, qui sont largement décrites. Un modèle hybride, c’est-à-dire un modèle qui anticipe les risques de fracture numérique plutôt que de courir après en mettant en place ses propres correctifs.

  1. https://www.bliiida.fr/
  2. https://www.entreprises.gouv.fr/fr/etudes-et-statistiques/dossiers-de-la-dge/de-la-smart-city-la-realite-des-territoires-connectes
  3. Étude réalisée par Civiteo, Datactivist, Innopublica, KPMG et Parme Avocats pour le compte de la DGE, la FFTélécoms, Sycabel, InfraNum et AFNUM.
×

A lire aussi