La faillite de la pensée managériale

François Dupuy
Le 6 novembre 2018

François Dupuy, sociologue des organisations, dresse un portrait sans concession du management dans les entreprises françaises. Il pointe la responsabilité des business school et des grands cabinets de conseil dans la reproduction de modèles inopérants, et espère susciter une prise de conscience des dirigeants pour entrer dans une nouvelle ère. Une source d’inspiration pour les décideurs publics.

Paresse intellectuelle, inculture généralisée, déconnexion avec la réalité, simplification à l’extrême… Vous utilisez des mots forts pour décrire la pensée managériale...

Les sciences sociales permettent de comprendre le fonctionnement approfondi des organisations. Le raisonnement n’étant pas aisé, il requiert un effort. Or les entreprises préfèrent la facilité consistant à recourir à des grands cabinets de conseil qui appliquent des recettes. Si j’avais à caricaturer ce phénomène je dirais que faire appel à un grand cabinet de conseil, c’est financièrement onéreux et intellectuellement peu exigeant ; faire appel aux sciences sociales, c’est financièrement peu onéreux et intellectuellement très exigeant. Les entreprises n’arrivent pas à faire la distinction entre structure et organisation. Elles associent réorganisation et changement de structure. Or changer une organisation consiste à changer la façon dont les gens travaillent. De la même façon les entreprises ne comprennent pas ce qu’est le pouvoir, elles l’assimilent à la hiérarchie. C’est ainsi que de nombreux chefs de projets se voient privés du pouvoir de conduire des projets comme ils le souhaiteraient.

Votre ouvrage La faillite de la pensée managériale est centré sur le monde de l’entreprise. Quel est le constat dans les administrations et les grandes institutions de l’État ?

Le management dans l’administration publique est plus complexe que dans le secteur marchand. Il se caractérise par des règles générales et impersonnelles, par des process… Curieusement le secteur marchand s’est tourné vers cette logique-là en multipliant les outils de contrôle, les indicateurs de performance, les systèmes de reporting. C’est la logique du management par la règle.

S’il y avait une lueur d’espoir pour l’avenir vous la placeriez dans la confiance. Quelles sont les conditions de la confiance et les gains à attendre pour l’entreprise ?

Les gains pour l’entreprise sont évidents. Plus on gouverne par la règle, par la procédure, plus on envoie aux gens un message de défiance. Le résultat c’est le désengagement massif des salariés que l’on constate dans l’ensemble des pays développés. En introduisant de la confiance dans le travail, les salariés sont plus engagés et donc plus efficaces. Quant aux clés de la confiance, j’en citerais deux. La première dépend de la prévisibilité du manager. Lorsqu’un manager souhaite capter la confiance des salariés il doit renoncer à toute ou partie de l’incertitude de son comportement. C’est ce que l’on appelle un comportement éthique. Toute la difficulté réside dans le fait qu’une grande partie de son pouvoir tient à l’incertitude de son comportement. Chaque manager doit donc faire un arbitrage intime entre la part d’incertitude qu’il doit garder pour conserver du pouvoir et celle à laquelle il doit renoncer pour capter la confiance des salariés. La seconde clé réside dans la définition, par les collaborateurs, des règles du jeu du travail collectif.

À lire

La Faillite de la pensée managériale

Dupuy F., La faillite de la pensée managériale, Lost in management 2, 2015, Éd. Points, 8,30 €.

Dupuy F., La faillite de la pensée managériale, Lost in management 2, 2015, Éd. Points, 8,30 €.

 

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