Chronique Liberté, j’écris ton nom, pour te retrouver…

Le 17 décembre 2020

Cette année, à l’approche d’Halloween, pour faire plaisir à mon neveu d’un an et demi, je m’apprêtais à ressortir la vieille boîte hermétique du grenier remplie de décorations et de déguisements effrayants. Bien sûr – covid oblige – on savait qu’on ne ferait pas le tour du quartier pour quémander des sucreries, mais peu importe, pour une fois, j’étais quand même bien content d’enfiler un masque !

Mais ça, c’était sans compter sur la deuxième saison de la mesure à succès du printemps dernier. Nous y voilà : confinement, le retour.

Bien que les quelques jours qui précèdent une allocution du président de la République laissent toujours planer un léger suspense, je ne m’aventurerais pas à qualifier ce reconfinement de « coup de théâtre ». Ça n’est pas comme si l’information n’avait pas déjà été annoncée, en détail, plusieurs jours auparavant dans les médias…

Mais dans un tel cas, peut-on encore parler de « fuites d’information » alors que ces épisodes sont devenus si habituels ?

Remontons en 2017. Alors que le Gouvernement construisait son projet de réforme du Code du travail, les médias en avaient rapidement révélé les grandes lignes à la suite d’une « fuite ». Déjà à cette époque, certains professionnels de la communication n’hésitaient pas à dire que la divulgation de ces documents pourrait constituer « un ballon d’essai, voulu par Emmanuel Macron et son équipe, pour mieux tester la réaction des Français, de leurs électeurs et des partenaires sociaux » 1.

S’agissant de la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19, on peine à trouver une seule information qui n’ait pas été divulguée avant l’annonce officielle… Alors, à votre avis, vraie fuite ou prise de température (sans mauvais jeu de mots) ?

Pour les curieux désireux de mieux comprendre les rouages de la communication politique (ou « com’po » pour les intimes), pensez à vous faire offrir les ouvrages de Jacques Gerstlé et Christophe Piar2 ou de Pierre-Emmanuel Guigo3, des auteurs qui font autorité en la matière.

Pour poursuivre sur la communication, dans le cadre de la crise sanitaire, force est de constater que celle-ci n’a pas seulement été politique, mais également législative… Hein ? Quoi ?

Pour comprendre : se référer à un article très éclairant de Clément Cousin4, maître de conférences en droit privé. Il y explique que si c’est bien un décret qui a posé les grandes lignes du cadre juridique du confinement, « celles-ci ont fait, de la part de l’exécutif, l’objet de pages de site Internet et de messages via les réseaux sociaux qui, sous couvert d’en expliquer la teneur, ont en fait ajouté au texte ».

Qu’il s’agisse de la possibilité de dépasser le fameux rayon du 1 kilomètre pour faire ses courses ou d’excéder le délai d’une heure pour les déplacements professionnels, toutes les précisions ont été apportées soit par des publications sur une page de site Internet soit au travers d’un communiqué de presse. Cette nouvelle méthode de production de normes interroge, voire inquiète, les professionnels du droit (malgré quelques contrôles du Conseil d’État rappelés dans l’article) et interroge a minima quant à la validité et à l’opposabilité des règles ainsi édictées.

Pour finir sur la question de la communication politique, on remarquera, dans le Figaro5, la tribune intéressante de Chloé Morin, ancienne conseillère en charge de l’opinion publique du Premier ministre de 2012 à 2016 et qui vient de publier un livre choc au titre évocateur : Les inamovibles de la République. Vous ne les verrez jamais mais ils gouvernent6. L’auteure part du constat qu’aujourd’hui, l’instantanéité de l’information et les réseaux sociaux ont amené les politiques à justifier leurs actions en permanence à l’aide du partage d’images, notamment sur Twitter ou Facebook, de visites par-ci, de réunions par-là, etc.

Or, avec les règles de distanciation sociale, le télétravail et le confinement, l’auteure prédit que « l’appauvrissement de l’illustration de l’action publique ne sera pas sans conséquences, et les pouvoirs publics devraient d’ores et déjà les anticiper ». Chloé Morin met notammenten avant un risque majeur encouru : car si « l’espace libéré par l’image laisse libre cours à l’écrit, à la parole, et surtout à l’imagination », cela peut aussi laisser la porte ouverte à « des fausses informations auxquelles notre inquiétude accrue nous rend particulièrement vulnérables ».

Des propos qui datent du premier confinement et qui résonnent aujourd’hui alors que Internet s’affole de la mise en ligne et de l’énorme succès d’une « bombe atomique complotiste » 7 : le « film documentaire » intitulé Hold Up.

Vous en avez forcément entendu parler… On ne compte plus le nombre des indignés face à ce « documentaire » qui a été massivement partagé sur les réseaux sociaux. Disponible gratuitement et en intégralité sur Internet, cette vidéo est franchement bluffante (surement pour le pire…).

Construit selon les codes bien connus du journalisme documentaire, ce film de 2 h 43 semble traiter, avec rigueur et sérieux, de la gestion de la crise sanitaire… pour finalement dériver sur la mise en lumière d’une conspiration mondiale affolante : le déclenchement volontaire de la pandémie par la CIA afin de soumettre les populations les plus pauvres à l’aide de nanoparticules inoculées par un vaccin inventé par Bill Gates… (bon, OK, je fais un peu le raccourci, mais c’est l’idée !).

Le véritable problème est que, contrairement aux vidéos complotistes classiques qui sont en général facilement reconnaissables (méthodes de montage, musiques de fond inquiétantes, etc.), ce film quant à lui interroge de vrais médecins, de vrais personnels soignants, de vrais directeurs d’hôpitaux, un vrai ancien ministre, de vrais sociologues… Il a donc a priori tout d’un vrai documentaire.

Dès lors, doit-on qualifier ce film de manifeste d’une opinion dissidente ou de véritable vecteur de désinformation ? La frontière entre fake news et « avis qui dérange » (formulation chère aux complotistes) a rarement été aussi floue… Tentative d’explication (non sans mal, il faut le reconnaître) dans une interview de Francis Chateauraynaud, sociologue, directeur d’études à l’EHESS, par Yann Lagarde, pour France Culture8.

À la fin de cet entretien, Francis Chateauraynaud invite au visionnage du long-métrage semi-documentaire Vérités et mensonges (titre original : F for Fake) réalisé par Orson Welles en 1973, qui montre comment on fabrique de la fiction totalement réaliste. Plus qu’à faire éclater le popcorn.

Finalement, alors que de nombreux politiques appellent à l’interdiction de la diffusion de ce film, on revient toujours à la même question : où s’arrête la liberté d’expression ? Et alors là, on s’attaque à un gros morceau parce que, dernièrement, on en mange à toutes les sauces de cette liberté !

En premier lieu, comment ne pas parler du king de la fake news ? Pendant une petite semaine, l’élection présidentielle aux États-Unis a monopolisé l’attention des médias français et internationaux. Majoritairement en faveur du candidat démocrate, Joe Biden, les sondages annonçaient néanmoins une course très serrée.

En bonne connaissance du système électoral nord-américain, il était attendu que les votes physiques soient plutôt républicains tandis que les votes par correspondance, dépouillés plus tardivement, étaient présumés majoritairement démocrates. Cette particularité du scrutin avait fait naître quelques inquiétudes, notamment chez Bernie Sanders9 qui prédisait (avec beaucoup de pédagogie) que Donald Trump serait susceptible d’accuser les démocrates de fraude aux bulletins par correspondance pour « voler » l’élection.

Bingo ! C’est exactement ce qui s’est passé. Le soir de l’« election day », Donald Trump annonçait alors sa victoire en conférence de presse et sur les réseaux sociaux alors même que le dépouillement des bulletins par correspondance se poursuivait. La réaction de Twitter n’a pas tardé et plusieurs tweets du candidat à sa réélection ont été accompagnés d’un message très clair : « Une partie ou la totalité du contenu partagé dans ce tweet est contestée et susceptible d’être trompeuse quant au mode de participation à une élection ou à un autre processus civique ». De quoi relancer le débat sur le rôle de modération des réseaux sociaux sur les contenus qu’ils hébergent.

Retour dans l’Hexagone, alors que s’ouvrait le procès des attentats de janvier 2015, la France entière s’est émue de l’assassinat barbare de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie dans un collège des Yvelines, ayant présenté en classe des caricatures du prophète lors d’un cours sur la liberté d’expression. Certains parents d’élèves, offusqués par sa démarche, avaient exprimé, sur les réseaux sociaux, leur désaccord. Pour cette raison, un père d’élève a été mis en examen mercredi 25 novembre 2020 pour complicité d’assassinat terroriste pour avoir posté deux vidéos appelant à la mobilisation contre l’enseignant. Coup de gueule ou infraction pénale ?

En réaction, le Parlement a relancé le débat autour de la loi contre les contenus haineux sur Internet (dite « loi Avia » 10 du nom de la députée LREM, rapporteure du texte). Cette loi cherchait initialement à renforcer, là encore, la contribution des opérateurs numériques à la lutte contre certains contenus manifestement haineux en ligne en les obligeant à retirer ces contenus (tels que les incitations à la haine, les injures à caractère raciste ou antireligieux) dans un délai de vingt-quatre heures (pour les contenus terroristes ou pédopornographiques, le délai de retrait était réduit à une heure).

À l’époque, c’est justement sur le fondement d’une trop grande atteinte à la liberté d’expression (liberté fondamentale garantie par la Constitution) que le Conseil constitutionnel avait censuré la quasi-totalité du texte11.

Même liberté, autre loi : à nouveau, les regards se porteront bientôt sur le Conseil constitutionnel qui sera saisi à coup sûr alors que le Parlement est en passe de voter le fameux article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale12. Pour rappel, en l’état actuel du texte, cet article prévoit une sanction pénale d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende pour « le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale, lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police ». Les débats sont évidemment houleux. Quid de la mise en lumière des violences policières ? Quid d’une « accréditation préalable des journalistes » pendant des manifestations (qui a d’ailleurs fait réagir l’Union européenne)13 ? Affaire à suivre…

Toujours est-il que cette loi, objectivement sécuritaire, intervient au cours d’un quinquennat qui aura connu plus de période d’état d’urgence que de période de droit commun, à tel point qu’on en oublierait presque ce qu’est l’État de droit. On remercie Patrice Spinosi, avocat aux Conseils, de nous le rappeler au micro de France Inter14.

Et une dernière loi pour la route, pour Stéphane Foucart, journaliste, « la recherche n’échappe pas à la dérive liberticide du gouvernement » 15. Il fait ici référence au récent dépôt du projet de loi de programmation de la recherche. Pour lui, ce texte fait peser d’importants risques « sur les libertés académiques, l’autonomie de la recherche et la sécurité de l’emploi scientifique » qui constituent les fondations de notre recherche sans qui « nous ne saurions pas aujourd’hui que le changement climatique est une réalité […] » ou que « l’intensification agricole est un facteur majeur d’érosion de la biodiversité […] ».

Si l’ensemble du projet de loi semble déranger, un article a été particulièrement décrié en ce qu’il prévoyait initialement que « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but d’entraver la tenue d’un débat organisé dans les locaux de celui‑ci, est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende » 16. De quoi hérisser les poils des étudiants du supérieur et même étonnamment, de certains présidents d’université.

De toute façon, la question de l’occupation des universités ne risque pas de se poser avant un moment puisque selon les plus récentes annonces de l’exécutif, les universités rouvriront leurs portes aux étudiants après les commerces non essentiels, après les bars et restaurants, après les cinémas et les salles de sport ; ce qui nous amène probablement à la mi-février 2021 : soit pile pour les vacances d’hiver… Un ordre des priorités qui se passe de commentaire.

Pour finir sur une touche plus optimiste, selon le Conseil d’État, « les librairies […] contribuent à l’exercice effectif de la liberté d’expression ainsi que de la libre communication des idées et des opinions, qui constituent des libertés fondamentales, en permettant un accès ouvert et diversifié à un grand nombre d’ouvrages, même peu connus, que les espaces de la librairie permettent de présenter ou de découvrir et que le libraire peut contribuer à faire connaître » 17. Dommage que ça n’ait pas été suffisant pour ordonner la réouverture des librairies considérées comme commerces non essentiels malgré le caractère essentiel des livres ; allez comprendre…

Alors en attendant justement la réouverture, je me suis rabattu sur quelques classiques qui étaient déjà dans la bibliothèque et qui ont un écho particulier pendant cette période de crise sanitaire/confinement, je vous conseille :

  • La Peste18 d’Albert Camus pour la pandémie ;
  • 1984 de Georges Orwell pour la liberté (d’expression entre autres) ;
  • Fahrenheit 451 de Ray Bradbury pour les livres (et pas pour la fièvre) ;
  • Le joueur d’échecs de Stefan Zweig pour le confinement.

Bonne lecture, à bientôt !

  1. Voir les propos tenus par Florian Silnicki, expert en communication de crise, dans « Fuites sur la réforme du Code du travail : un levier de communication ? », Public Sénat juin 2017 ; https://www.publicsenat.fr/article/politique/fuites-sur-la-reforme-du-code-du-travail-un-levier-de-communication-61574
  2. Gerstlé J., Piar C., La communication politique, 4éd., 2020, Armand Colin.
  3. Guigo P.-E., Com’ et politique : les liaisons dangereuses, 10 questions pour comprendre la communication politique, 2017, Arkhé.
  4. Cousin C., « De la législation par les lois à la législation par la com’ », Dalloz Actu nov. 2020.
  5. Morin C., « Coronavirus : “La communication politique se relèvera-t-elle de son sevrage d’images ?” », Figaro 23 mars 2020.
  6. Morin C., Les inamovibles de la République. Vous ne les verrez jamais mais ils gouvernent, oct. 2020, Fondation Jean-Jaurès, L’aube.
  7. Selon les termes de Ilana Cicurel, eurodéputée LREM.
  8. « En quoi “Hold-up” est-il un documentaire complotiste ? », France Culture nov. 2020, https://www.franceculture.fr/emissions/les-idees-claires-le-podcast/en-quoi-hold-est-il-un-documentaire-complotiste
  9. 9. Retrouver l’interview de Bernie Sanders par Jimmy Fallon sur la chaîne Youtube The Tonight Show Starring Jimmy Fallon : “Sen. Bernie Sanders Predicts How Trump Will React On Election Night”.
  10. L. n2020-766, 24 juin 2020, visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet.
  11. Cons. const., 18 juin 2020, n2020-801 DC.
  12. Pour suivre les débats, voir le dossier législatif sur le site de l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/securite_globale1
  13. Le Parisien avec AFP, « Loi Sécurité globale : l’UE rappelle à la France que la presse doit pouvoir travailler “librement” », Le Parisien nov. 2020.
  14. « Patrice Spinosi, avocat : “Le grand danger de notre siècle est que l’on oublie ce qu’est l’État de droit” », « L’invité de 8h20 : le grand entretien », France Inter nov. 2020.
  15. C’est d’ailleurs le titre de sa chronique parue dans Le Monde (21 nov. 2020).
  16. Cette disposition a été modifiée au cours des débats parlementaires ; dans le texte issu de la Commission mixte paritaire, on lit : « Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est passible des sanctions définies dans la section 5 du chapitre Ier du titre III du livre IV du Code pénal. »
  17. CE, 13 nov. 2020, nos 445883 et s.
  18. Kada N., « De La Peste au covid-19 : Albert Camus au cœur de l’anticipation », Horizons publics mai-juin 2020, n15.
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