Datacenters de proximité : la clé de la souveraineté des territoires en matière de données numériques

data center de proximité
Les volumes de données ne pourront pas continuer à être traités uniquement dans des grands datacenters ou sur les plateformes des Gafam. D'où la nécessité de réfléchir à la création d'un datacenter de proximité, comme le préconise le guide lancé par Infranum ce jeudi 2 juin.
©Infranum
Le 2 juin 2021

Souveraineté, relocalisations, proximité : cette "Sainte Trinité" de l'économie des années 2020 dans les pays occidentaux s'applique parfaitement au domaine du numérique et notamment celui du datacenter (ou centre d’hébergement de données) qui fait l'objet d'un tout nouveau guide pratique intitulé « Le datacenter de proximité ». Lancé le 2 juin 2021 par la Fédération InfraNum, ce document, destiné aux collectivités territoriales, aborde dans sa première partie, la question du "Pourquoi ?" réfléchir à un tel projet tandis que la seconde partie tente de répondre à la question "Comment ?" le réaliser en prenant en compte les aspects techniques, juridiques, économiques et financiers.

 

En effet, si durant une décennie les territoires se sont mobilisés autour du développement des réseaux avec le déploiement de la fibre, l'actuelle décennie pourrait bien les voir se mobiliser autour du contrôle des données qu'elles vont produire en nombre toujours croissant. La prise de conscience du "coup d'État numérique" réalisé par les géants de la tech, Gafam en tête, et du danger que représente le contrôle d'Internet pour la démocratie, les citoyens et les entreprises, commence ainsi à faire son chemin dans les esprits. Si les datacenters sont devenus un véritable enjeu de souveraineté c'est parce que dans le paysage des infrastructures numériques, ils y jouent un rôle majeur : il sont, avec les réseaux, le socle de tous les services numériques que nous utilisons aujourd’hui, rappelle Infranum. Ce sont donc des éléments essentiels à l'hébergement et au traitement de nos données.

Après avoir décrit ce qu'est techniquement un datacenter, à savoir une infrastructure physique composée de matériels informatique, d'équipements de réseaux et de ceux liés au bon fonctionnement de bâtiments de tailles très variables (de quelques centaines de m² à plusieurs centaines de milliers de m²), et passé en revue différents enjeux notamment écologiques (les datacenters sont des infrastructures industrielles comme les autres qui émettent du CO2), Infranum énumère les raisons pour lesquelles une collectivité peut être amenée à réfléchir au déploiement d'un datacenter sur son territoire.

Certes des structures de proximité existent déjà dans les collectivités : il en existe au moins une dans chaque région mais 70% sont concentrées dans 6 régions et 31 départements en sont totalement dépourvus selon l'Observatoire annuel du très haut débit publié le 11 mai 2021 par Infranum.

Selon cette dernière, vu la croissance des volumes de données principalement portée par l'augmentation du nombre de périphériques connectés de tous types (smartphones, capteurs...), les volumes de données ne pourront pas continuer à être traités uniquement dans des grands datacenters ou sur les plateformes des Gafam : "La principale raison est la latence, le délai entre le moment où une information est envoyée et celui où elle est reçue, goulot d’étranglement pouvant limiter sensiblement l’intérêt des dernières technologies qui nécessitent des débits toujours plus rapides", explique le Guide d'Infranum.

les services des datacenters

Un datacenter (« centre d’hébergement de données ») est un élément essentiel à l’hébergement des données, mais aussi à leur traitement. Il est indispensable au fonctionnement d’internet car chaque donnée échangée sur internet transite via un ou plusieurs datacenters.

Cependant, au-delà des explications techniques, c'est l'avènement de la dématérialisation des relations administratives entre les usagers et les collectivités territoriales, la multiplication des applications lancées par les autorités locales pour faciliter la vie du citoyen, l'importance de disposer d'infrastructures numériques capables d'héberger des données de santé en toute confidentialité, les projets de ville ou territoires intelligents et la nécessité de développer l'attractivité des territoires vis-à-vis des entreprises susceptibles par exemple d'avoir des besoins en stockage ou en calcul/intelligence mutualisée afin d'accroître leur productivité, qui crééent de nouveaux besoins publics nécessitant de traiter des données localement. À ces phénomènes, il convient d'ajouter -surtout depuis la pandémie- la dynamique du télétravail et l'attrait nouveau que constituent les villes médianes à condition qu'elles soient en mesure d'offrir à d'éventuels nouveaux arrivants qui quitteraient les grands centres urbains, des conditions de travail équivalentes notamment en matière d'infrastructures numériques. Infranum aborde également l'épineuse question de la gouvernance et de la souveraineté des données.

"La présence d’un datacenter local permet aux collectivités de garder davantage la main sur la gouvernance des données produites sur leurs territoires. Disposer et contrôler les données produites permet de définir les règles qui encadrent leur accès et leur destruction mais aussi de s’assurer du respect de leur intégrité", souligne Infranum qui poursuit : "La maîtrise du lieu et de la propriété des datacenters hébergeant et traitant les données publiques représente un enjeu stratégique pour la collectivité. Elle permet en effet une plus grande neutralité de traitement et de sécurité des données, conférant de meilleures garanties que si elle stockait ses données à l’étranger." En clair cela permet d'éviter de tomber sous le coup du Cloud Act qui autorise la justice américaine à saisir des données stockées hors de son territoire national, à partir du moment où le fournisseur est de nationalité américaine...

L'indépendance numérique à Nevers

"La souveraineté sur nos données est précisément l'élément déterminant qui nous a amené à développer notre propre datacenter qui doit par ailleurs devenir une réalité économique positive. Il y va de l'intégrité du territoire, raison pour laquelle nous prônons une indépendance totale en matière numérique. D'où le choix de détenir et d'opérer nous-mêmes nos données", explique Alain Bourcier vice président de Nevers Agglomération en charge de ce projet pour lequel 700 000 euros ont été débloqués.

Une indépendance qui ne s'exprime pas seulement face aux Gafam mais plus largement vis-à-vis de grandes organisations tels que les SSII et les opérateurs de réseaux (télécoms, eau, énergie...) qui prennent fatalement le lead sur le management des données qu'une collectivité leur confie, observe Alain Bourcier.

Le datacenter de Nevers -actuellement entre les mains des architectes- sera opérationnel en septembre 2022. L'agglomération sera propriétaire des murs tandis que la gestion technique sera confiée à un sous-traitant privé et que l'exploitation du centre (gestion des baies informatiques) s'effectuera en binôme privé/public (avec la Région, le Département et l'hôpital de Nevers). Un choix justifié par l'aspect compétences, l'Agglomération ne pouvant pas couvrir tous les besoins requis par le datacenter. Quant à la forme juridique que prendra le datacenter elle n'est à ce jour pas encore arrêtée.

Innovant techniquement puisque piloté par une intelligence artificielle, ce datacenter d'environ 200 m² -avec extension possible- sera bâti sur un terrain communal situé en plein coeur de la ville et permettra notamment aux entreprises du campus numérique, vitrine de la ville, de disposer d'une infrastructure numérique adaptée à leurs besoins.

Le datacenter de Nevers sera également hébergeur de santé pour l'hôpital de Nevers. Il hébergera aussi les données internes de l'Agglomération et notamment les applications de la collectivité destinées à faciliter la vie des citoyens tel que "Nevers Agglo dans ma poche" sorte de couteau suisse très utilisé par les habitants et appelé à monter en puissance.

Mais le projet ne s'arrête pas là puisqu'une école de formation de data scientist sera créée dans la foulée du datacenter dont elle utilisera les ressources numériques. Enfin l'équipe d'Alain Bourcier -composée de 5 personnes à temps plein- travaille également sur une dimension plus surprenante du projet : en faire un lieu de tourisme en personnalisant le bâtiment pour qu'il puisse recevoir le grand public !

"C'est un projet complexe qui demande du temps pour sa maturation, 3 à 4 ans dans notre cas, car il faut non seulement étudier les besoins de la collectivité mais aussi réflechir au choix d'une structure publique de type régie ou pourquoi pas coopérative ou un partenariat public/privé, respecter un certain nombre de contraintes juridiques, convaincre les élus de l'agglomération en faisant preuve de pédagogie, ou encore suivre le projet de construction du bâtiment avec des choix techniques particuliers par exemple en récupération de chaleur", détaille Alain Bourcier qui conclut : "Acheter des légumes en circuit court c'est avoir confiance dans celui qui les produit parce qu'on le connaît ainsi que le terrain de sa production. C'est la même chose pour les données "en circuit court" : on sait par qui et où elles sont exploitées. Les datacenters de proximité pourraient bien avoir un aussi bel avenir que le maraîchage en circuit court car ils sont fait de la même matière : la confiance".

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