Les acteurs de la « Govtech » à l’assaut du marché français

Sommet international des Govtech 2019
Ouverture du deuxième sommet mondial sur la Govtech par Emmanuel Grégoire, le premier adjoint au maire de la Ville de Paris, au Palais Brongniard, à Paris.
©Public France
Le 14 novembre 2019

Après un premier sommet organisé dans les salons de l’Hôtel de ville de Paris en 2018, l’écosystème français et européen des « Govtech » – ces acteurs qui inventent des solutions technologiques pour le secteur public – se retrouve pour une seconde édition au Palais Brongniart, à la Bourse de Paris.

 

Plus de 160 intervenants, dont des personnalités politiques de premier plan (Kersti Kaljulaid, le président estonien ; Cédric O, le secrétaire d’État au numérique ; Matt Hancock, Secrétaire d'État anglais à la santé et aux services sociaux ; Nikolai Astrup, le ministre de la digitalisation de Norvège ; George Freeman, le ministre des Transports de Grande-Bretagne et son homologue français Jean-Baptiste Djebbari ; Florence Parly, la ministre de la Défense…), font le déplacement pour promouvoir la transformation numérique et la digitalisation des services publics.

 

L’objectif de cet évènement est de rapprocher les acteurs technologiques de la sphère publique pour moderniser l’action publique grâce au numérique. « La France dispose de tous les atouts pour créer l’écosystème Govtech le plus innovant au monde », estime Alex Margot-Duclot, le directeur France de l’agence « Public », organisateur du deuxième sommet parisien sur les Govtech. Cependant, il existe encore de nombreux freins juridiques, financiers et culturels pour faciliter l'accès aux marchés publics aux startups et accélérer la modernisation de l'action publique.

 

En toile de fond de cet évènement, c’est aussi l’occasion pour les start-ups et entreprises de se faire connaître auprès des décideurs publics pour décrocher de nouveaux marchés. En effet, c’est un marché qui représente 16 milliards d’euros par an en 2019, dont 1,9 milliards d'euros pour les collectivités locales, selon une étude publiée par Public à l'occasion de cet évènement et pilotée par le cabinet Roland Berger, intitulée « Govtech en France, état des lieux et perspectives. Amener l’innovation au cœur de la sphère publique » (Marie-Barbe Girard, Gabriel Foniladosa). Une filière en pleine croissance qui pourrait atteindre 20 milliards d’euros en 2024.

 

Dans une enquête publiée en début d’année sur l’évolution de l’innovation publique « Innovation : de la consultocratie à la transformation plus agile », nous évoquions l’apparition d’une nouvelle forme d’expertise privée avec l’irruption de ces acteurs désignés sous le terme large de « Govtech ». Ce deuxième sommet international confirme la place de ces différents acteurs pour accélérer la transformation numérique de l’État mais dans un contexte de remise en cause de la fabrique des politiques publiques en mode « start-up nation » ou « État plateforme »  (forte demande de participation citoyenne et de co-décision, crainte de la disparition progressive des services publics dans les territoires isolés, mouvement social sans précédent des "gilets jaunes", fracture numérique d'une partie de la population...).

 

Ce deuxième sommet international des entrepreneurs de la Govtech a pour objectif de rassembler les entreprises, les startups, les PME, les services de l'État et tous les praticiens de l’innovation publique pour explorer le potentiel de la technologie numérique. Il va permettre d'explorer de nombreuses thématiques liées à la transformation numérique comme l'impact de l'intelligence artificielle sur les organisations et les gouvernements, avec des exemples de toute l’Europe (Royaume-Uni, Allemagne, Grèce Norvège, Espagne, Danemark), la digitalisation dans le secteur la défense, avec l'intervention de Florence Parly, ministre des Armées (comment les armées françaises peuvent s’appuyer et organiser un système d’acteurs innovants pour bénéficier des technologies), la transformation numérique des villes, avec les exemples de Barcelone, Paris et Varsovie, le futur de la mobilité (régulation et innovation), les enjeux de l'identité numérique, l'importance de l'inclusion numérique, la "Civic tech" à la française, la transformation du système de santé ou encore les entrepreneurs d'État.

La transformation numérique change les organisations, la culture des entreprises et demande de nouvelles compétences. Elle continue de gagner du terrain chaque jour, le secteur public n'est pas épargné par ces changements. Les agents publics ne vivent pas dans un monde à part, ils sont eux aussi impactés dans leur vie quotidienne par les effets du numérique et très conscients de ces enjeux, confie Alex Margot-Duclot, le chef d'orchestre de ce deuxième sommet parisien sur les Govtech.

La Govtech, un marché en plein essor

Comment amener l’innovation au cœur de la sphère publique ? Comment favoriser les échanges entre le monde très innovant des technologies numériques et celui du secteur public qui poursuit l’intérêt général ? C’est toute l’ambition de la Govtech. Par Govtech, on entend l’utilisation et l’achat de solutions technologiques innovantes par un acteur public, dans tous les secteurs (éducation, santé, défense, mobilité, police, défense…) afin d’améliorer son organisation interne, soit les services qu’il fournit", peut-on lire en introduction de l'étude sur la Govtech en France, état des lieux et perspectives.

Selon les auteurs de cette étude, la Govtech représente aujourd'hui un marché potentiel de 16 milliards d'euros, avec une croissance de l'ordre de 2 à 4% pour les années à venir. Un marché qui pourrait ainsi atteindre 20 milliards à horizon 2024. Dans cette étude qui explore les contours de la filière française, 8 verticales ont été analysées, couvrant 90% du marché potentiel (soit 14 milliards d'euros) : éducation, ville intelligente (volet énergie), mobilité, santé, sécurité, civic tech, défense, ressources humaines. Sur ces verticales, les perspectives de croissance sont favorables : il s'agit de secteurs qui suscitent l'intérêt des pouvoirs publics et qui s'ouvrent lentement mais progressivement aux startups pour gagner en agilité et en rapidité.

Doctolib, Talentsoft et OpenClassrooms, des exemples à suivre

Doctolib, spécialisée dans la prise de rendez-vous médical, a signé en juillet 2016 un accord avec l’AP-HP pour organiser la prise de rendez-vous dans l’hôpital public. Le service est aujourd’hui disponible dans 30 hôpitaux de l’AP-HP (sur 32 éligibles), avec 20 000 rendez-vous réservés chaque mois. Avec un effet positif : une réduction de 8% du nombre de rendez-vous auxquels les patients ne se présentent pas. Talentsoft, une autre pépite française, est derrière la plateforme de la place de l’emploi public (PEP), le site d’emploi commun aux trois versants de la fonction publique lancée le 22 février 2019 par la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). OpenClassrooms permet aux demandeurs d’emploi de se former en ligne sur les métiers en demande grâce à un partenariat avec Pôle Emploi.

Lever les freins juridiques, culturels et financiers

Appels d'offre longs et complexes, enjeux technologiques insuffisamment appréhendés, différence culturelle, manque de temps, complexité de l'organisation de l'État, changement de direction suite à des nominations politiques... Les startups Govtech ont besoin de clés à la fois pour naviguer dans l'univers complexe de l'administration française et pour identifier les acteurs les plus importants de la Govtech. "La dépriorisation de l'innovation, le manque d'expérimentations, la complexité des appels d'offre publics, parmi d'autres freins, sont les écueils auxquels se heurtent les startups qui se tournent vers la sphère publique. De leur côté les acheteurs publics encourent des risques réels et ont du mal à intégrer l'innovation dans leurs cahiers des charges et leurs missions", selon les auteurs de l'étude.

L'écosystème des GOvtech en France
Etude sur l'état des lieux et perspectives de la Gov Tech en France
©Public France - Roland Berger

Améliorer la gouvernance, impliquer davantage les directions interministérielles de l'Etat (DITP, DINUM), valoriser le rôle des acheteurs publics sur l'achat innovant, pérenniser le décret Achats innovants et le seuil de 100 000 euros pour les achats innovants sans appels d'offres, donner un nouvel élan aux startups d'Etat, créer un groupe de travail commun aux deux assemblées parlementaires sur l'achat innovant... Les auteurs préconisent 15 recommandations pour favoriser le rapprochement entre startups innovantes et acteurs publics.

Le potentiel est énorme, mais encore fortement sous-exploité. Dans ce rapport, nous proposons 15 mesures phares pour réaliser tout le potentiel de la GovTech, en donnant aux acheteurs publics le désir d'innover, et aux start-ups l'envie de se lancer dans l'aventure publique, explique Marie-Barbe Girard, Policy Fellow chez Public, qui signe l'étude avec Roland Berger.

Le numérique n'est qu'un outil de la transformation publique

Ce deuxième sommet Govtech se tient dans un contexte bien différent du premier : impact du mouvement des "Gilets jaunes" sur les politiques publiques, exclusion numérique d'une partie de la population, demande de participation citoyenne et de co-décision plus forte, crainte de la disparition progressive des services publics dans les territoires isolés... Comment la Govtech peut-elle répondre à ces problématiques de fond ?

"Il y a beaucoup d’innovateurs qui mettent leurs compétences au service des citoyens et de la collectivité. L’objectif n’est pas de devenir le nouveau Marc Zuckerberg de la Govtech. Beaucoup d’entrepreneurs ont une autre vision, celle de résoudre l’accès aux services publics" confie Alex Margot-Duclot.

Et de citer en exemples Cap Collectif, qui développe des plateformes participatives pour recueillir et traiter les avis des citoyens, et qui a notamment travaillé sur l’organisation des plateformes du grand débat national en début d'année ou encore Make.org, la plateforme de pétitions en ligne, permettant aux citoyens de lancer des pétitions pour interpeller les décideurs politiques. La révolution numérique a permis l'émergence de nouveaux outils de participation citoyenne, la civitech est devenu un fleuron français, peut on d'ailleurs lire dans l'étude. "Le numérique offre de nouveaux outils, l'imagination est la seule limite", confie l'organisateur du sommet. Cependant, il ne faut pas oublier que le numérique n'est qu'un outil au service de la transformation publique et que 13 millions de nos concitoyens sont encore éloignés des services numériques.

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