Pauline Colin : « La définition des valeurs participe à humaniser l’organisation »

Le 24 mai 2024

Docteure en sciences de gestion de l’Université de Lorraine et enseignante-chercheuse contractuelle, Pauline Colin s’intéresse aux problématiques de management Public et de gestion des ressources humaines en comportement organisationnel. Ses recherches portent notamment sur la motivation, l’implication mais également le rôle des valeurs chez les agents publics. Elle a publié en septembre 2023 une thèse en sciences de gestion intitulée « Eléments sur la Motivation en Service Public – Une analyse mixte de la Motivation de Service Public chez les Directeurs Généraux des Services dans les institutions du Bloc Local. »

 

Elle a pour particularité d’importer le concept de Motivations de Service Public (MSP) en France, et plus particulièrement sur les agents publics et DGS. Ce concept a émergé aux États-Unis dans les années 90 pour souligner les motivations spécifiques qui animent les cadres du secteur public par rapport à ceux du secteur privé.

 

Selon cette jeune chercheuse, face aux mutations du monde du travail et au manque d’attractivité des métiers de la fonction publique, on gagnerait à développer les travaux de recherche sur l’évolution des motivations de service public et l’importance des valeurs. La définition des valeurs participe en effet à humaniser l’organisation.

Les agents des trois fonctions publiques, tout comme leurs divers syndicats, clament régulièrement leur attachement aux valeurs du service public, et de leur côté les citoyens sont attachés aux différents services publics, quitte à en critiquer sévèrement le fonctionnement de certains. D’où vient cet attachement ?

Il s’agit d’un sentiment historique issu de la tradition administrative napoléonienne avec le développement des grands corps de l’État, tels que les préfets, le Conseil d’État, la Cour de cassation, la Cour des comptes... ou encore, en matière d’éducation, l’instauration des lycées, des proviseurs et du baccalauréat. Or, toutes ces institutions sont parvenues jusqu’à nous ! Dans les années 20 le Conseil d’État et la doctrine, à l’exemple du professeur Louis Rolland et ses lois éponymes de 1928, vont poser le régime juridique commun aux activités de service public avec les grands principes que sont l’égalité d’accès, la continuité et l’adaptabilité. D’autres évolutions apparaîtront au gré des lois et des missions assurées par les agents publics. Quant au statut de la fonction publique il date de 1946, le statut général de la fonction publique portant droits et obligations des fonctionnaires datant lui de 1983.

Loi, statut, valeurs : cet ensemble n’est-il pas un peu trop figé alors que l’administration a déjà une image de raideur ?

Non, car en 2013, par exemple, la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires est venue ajouter à celles existantes, les valeurs de dignité, probité et impartialité, preuve que les valeurs, qui sont garantes du service public et de son bon fonctionnement, ne sont pas figées. Ce corpus est relayé par différentes littératures institutionnelles, notamment dans l’éducation nationale, qui appellent les agents à défendre les valeurs du service public, à les rappeler, assurant ainsi leur promotion. J’aimerais souligner que notre façon de concevoir le service public a même influencé certains pays tel que l’Espagne. Quant à l’attachement des Français aux services publics, l’État ayant assuré depuis des décennies un certain nombre de missions, nos concitoyens ne comprendraient pas aujourd’hui qu’il puisse en être autrement. Enfin, j’ajouterai que même si cette spécificité française à propos du service public tend à s’amenuiser sous l’effet du Nouveau Management Public (NMP), l’héritage perdure.

Lors d’un colloque, un responsable syndical belge[1] a justement souligné qu’il ne suffit pas de définir des valeurs, encore faut-il s’engager à les appliquer. Dans cet optique, il semble donc nécessaire qu’elles soient enseignées aux agents à qui l’État-employeur demande précisément de les faire respecter. Qu’en est-il sur ce point ?

Dans les formations universitaires en France, les masters en management public insufflent les valeurs du service public à travers des cours de sensibilisation au rôle de l’action publique. Des thèmes tels que les différences de conception de l’intérêt général entre la France et les pays anglo-saxons, la création du statut de fonctionnaires, leurs droits et obligations etc. y sont abordés. Toutefois, alors que l’égalité constitue l’une des valeurs cardinales du service public, elle ne s’applique pas uniformément entre les différents agents : si les cadres territoriaux, par exemple, sont formés aux valeurs du service public comme je viens de l’évoquer, ce n’est pas nécessairement le cas pour les agents de l’éducation nationale alors même que leur employeur leur demande de défendre et promouvoir ces valeurs. Le même problème se pose pour les agents contractuels qui compte pour 21 % de l’effectif total de la fonction publique. Outre cette question de la formation aux valeurs, je paraphraserai le syndicaliste belge que vous mentionnez pour aller plus loin : il ne suffit pas seulement de former à des valeurs, encore faut-il savoir si les agents s’en imprègnent, pourquoi et comment ils les appliquent et les défendent dans leurs actions quotidiennes mais aussi l’importance de ces valeurs lorsqu’une personne décide de rejoindre une des trois fonctions publiques[2]. La théorie de l’adéquation personne-environnement de Kristoff (1996) montre pourtant que plus le degré d’adéquation entre les valeurs d’un individu et celles de l’organisation à laquelle il appartient est élevé, plus sa motivation conduira à son implication.

Vous suggérez que l’étude des valeurs au niveau du comportement individuel des agents reste à faire ou n’est pas très approfondie ?

Effectivement ! Alors que beaucoup de travaux existent sur les valeurs elles-mêmes, sur les motivations de service public en général, et bien entendu sur le NMP, la recherche commence seulement depuis quelques années à s’intéresser aux comportements individuels des agents en rapport avec les valeurs du service public et aux rôles de ces valeurs. Ma thèse[3] s’inscrit précisément dans ce domaine de recherche en se concentrant sur la motivation de service public chez les directeurs généraux des services (DGS) des collectivités territoriales.

De quel ordre est cette motivation ?

Il ressort clairement que la motivation est de nature altruiste, qu’il s’agisse des agents en général et des DGS en particulier. Les individus rejoignent le service public pour contribuer au bien commun et servir l’intérêt général. Il s’agit aussi de rendre à la nation ce qui a permis à la personne d’atteindre ce poste, par exemple l’égalité des chances et autres avantages du système éducatif. J’ajoute que ces valeurs sont importantes quel que soit l’âge des agents et en l’occurrence des DGS.

Le NMP que vous avez évoqué et qui prône au niveau individuel la performance des agents et son cortège de mesures de contrôle de l’efficacité n’est-il pas incompatible avec des motivations altruistes ?

Aux États-Unis dans les années 90 certains chercheurs ont commencé à soutenir que des motivations spécifiques animaient les cadres du secteur public par rapport à ceux du secteur privé et ont élaboré le concept de Motivations de Service Public (MSP). Mais c’est aussi à ce moment qu’est apparu le concept de New Public Management ou Nouveau Management Public en français. Curieusement le concept de Motivation de Service Public s’est nourri des objectifs associés au New Public Management tout en venant le contrebalancer. Mais au-delà de ces aspects théoriques, de nombreux gouvernements en Occident, sur fond de libéralisme économique, ont critiqué le fonctionnement de leurs administrations et souhaité les rendre plus efficaces. Dans ce but des pratiques de management issues du secteur privé ont été importées, au nom d’une plus grande efficacité, dans le service public, alors même que les motivations des agents, nous venons de le voir, sont très spécifiques tel que le don de soi et reflètent souvent l’histoire familiale et personnelle de l’agent par rapport au service public. Les systèmes d’avancement au mérite et plus généralement le salaire sont des leviers qui fonctionnent peut-être dans le privé mais qui ne peuvent être efficaces qu’à court terme dans le service public. Des travaux récents démontrent ainsi que plaquer telles quelles des méthodes de management du secteur privé dans le service public n’a pas eu les effets escomptés.

Véronique Chanut, enseignante-chercheuse en sciences de gestion à l’université de Paris-Panthéon-Assas, a, par exemple, observé qu’en réaction au NMP en France les agents ont réaffirmé les valeurs du service public. D’autres travaux constatent qu’à force de critiques continues sur le service public quant à son inefficacité, et l’application systématique du NMP, on sappe progressivement les motivations de service public des agents qui passent de l’insatisfaction à la démotivation. Involontairement certains agents publics donnent une image négative de leurs métiers et à raison car les conditions y sont difficiles. C’est notamment le cas des enseignant.es et des infirmier.es. Or, en voulant les défendre, ces personnels contribuent sans le vouloir, à dévaloriser ces métiers ! La boucle s’auto-entretient et aboutit aujourd’hui à une grave crise des vocations et de l’attractivité du service public en général.

Réaction de Régis Petit, président de l’ADGCF et DGS de la Communauté d'Agglomération Seine - Eure

Les multiples défis et difficultés qui assaillent les DGS ont-elles entamé leur motivation de service public ?

Je ne le pense pas. Je ne vois pas régresser cette motivation bien au contraire. La recherche de sens du travail, thème omniprésent dans la société et que l’on observe notamment chez nos jeunes collègues, trouve une réponse lorsque l’on œuvre pour le bien commun. En fait, les questions autour des transitions remettent le service public sur le devant de la scène. La motivation de service public, qui a toujours existé, devient même de plus en plus prégnante à cause d’enjeux majeurs, tels que la gestion de l’eau, à savoir sa disponibilité et sa qualité, problèmes qui n’étaient pas aussi graves il y a 20 ou 30 ans. L’été dernier, par exemple, nous avons frisé le manque d’eau ! En Normandie ! Ce qui était presque de la science-fiction est devenu concret, critique et...probablement récurrent. Il en va de même pour tous nos collègues au prise avec le recul du trait de côte. Ainsi, la question de la transition écologique rejoint la quête de sens dans le travail qui vient s’arrimer à la motivation de service public. La fonction publique territoriale a donc de solides arguments pour développer son attractivité.

Certes, mais les épineux problèmes auxquels vous faites référence exigent beaucoup des DGS. Or, il n’est pas évident d’être un mouton à 5 pattes…

Il est vrai qu’être DGS est un métier d’interface. Il est à la fois un manager et un gestionnaire de patrimoines communs qui ne doit pas s’occuper seulement d’aspects financiers et techniques. Les aspects sociaux, angles morts des transitions, par exemple sur le prix de l’eau ou de l’énergie, comptent tout autant. Il lui faut aussi avoir du sens politique vis-à-vis des élu.e.s auprès desquel.les il joue un rôle d’alerte et de pédagogie et, sans être aussi exposé que ces derniers, sa responsabilité notamment en matière comptable est de plus en plus forte. En outre, le DGS est à la croisée des chemins de nombreuses contradictions : la loi ZAN nous incite à freiner notre « consommation » foncière alors que la dynamique financière des collectivités territoriales repose sur...le foncier ; la collecte des déchets coûte très cher aux collectivités, mais des réductions de passages risquent fort de heurter les citoyens. Des sujets pointus, extrêmement variés, à la fois techniques et politiques, qui illustrent également le nombre de métiers qui existent au sein d’une collectivité. Or, le DGS, sans être un expert dans chaque domaine, doit au moins posséder un vernis sur chacun d’eux et être capable de passer de l’un à l’autre, ce qui m’arrive au moins 10 fois par jour ! Cela nécessite de savoir s’entourer de collaborateurs qui sont à la fois très compétents dans leurs domaines respectifs mais qui ne travaillent pas en silos vu la nature transverse de nombreux sujets.

Que vous manque-t-il le plus dans l’exercice de votre fonction ?

Du temps ! La transition écologique est un défi planétaire. Mais que peux-t-on faire à notre niveau ? Il y a beaucoup d’incertitudes ce qui requiert de prendre du temps pour se poser et réfléchir aux solutions possibles qui n’apparaîtront pas dans la seconde et ne seront pas miraculeuses. Or, la société veut des réponses rapides par une simplification à outrance des problèmes. Il faut introduire de la nuance et se rappeler que tout ne peut pas être géré dans l’urgence. J’essaie donc me ménager du temps pour la réflexion soit le matin, soit le soir. J’échange également avec d’autres collègues, notamment à travers l’ADGCF. Je souhaiterais aller en formation plus souvent mais ce n’est pas toujours possible. J’ai heureusement le temps de voir tous les jours, concrètement, le résultat de l’évolution du territoire de l’agglomération ce qui apporte beaucoup de satisfaction.

Un des métiers en tension dans le service public est justement celui de DGS, sur lequel vous avez centré votre thèse. Quels rôles jouent les valeurs de service public dans l’exercice de leurs fonctions ?

Ces valeurs sont très importantes, elles guident les actions et les comportements au quotidien notamment au niveau du management des agents, elles sont un socle de référence, presque des garde-fous, qui donnent des limites aux élus et aux DGS mais elles constituent aussi une dynamique afin d’agir ensemble pour le bien commun. La force de ces valeurs de service public dans le quotidien des DGS a d’ailleurs été une véritable surprise pour moi. À aucun moment, je n’ai entendu de DGS qui ne croyaient pas ou plus à ces valeurs. Quel que soit l’âge de mes interlocuteurs, j’ai pu observer la même passion pour le service public, le même entrain pour faire avancer les choses, pour prendre à bras le corps les défis à relever.

Comment cet attachement se concrétise-t-il dans leurs actions ?

Les valeurs servent à justifier les choix de politiques publiques. Ainsi, le choix de rénover une piscine a été fait au nom de l’égalité des citoyens afin que chacun puisse apprendre à nager. Le choix d’un service de vélo électrique en libre-service a été préféré à un système d’incitation fiscale, là encore, au nom de l’égalité d’accès. Mais le DGS veille aussi au respect des valeurs de services publics tels que l’esprit d’équipe, la bienveillance entre collègues etc. au sein du collectif dont il a la charge. À ce titre, il bénéficie d’une certaine marge de manœuvre dans le choix des valeurs par rapport à l’exécutif local car c’est lui qui est au contact des agents. Toutefois, même si le DGS peut donner une certaine « coloration », il revient avant tout aux exécutifs locaux d’impulser les valeurs de service public de la collectivité territoriale. C’est à ce stade, que l’adéquation entre les valeurs mises en avant par un maire, par exemple, et son DGS, sont essentielles. Faute de quoi, une entente s’avérerait très délicate voire impossible. Toutefois, il ne s’agit pas de valeurs politiques : la fidélité du DGS se joue surtout par rapport à ses valeurs et leur adéquation avec celles de l’organisation à laquelle il appartient et non par rapport à une couleur politique d’un élu. Enfin, le DGS est là pour faire respecter les règles. Le respect des valeurs de service public pourra conduire un DGS à refuser de mettre en place la décision d’un élu : un DGS m’a raconté un cas où il a choisi de ne pas accompagner l’élu car il a estimé que les principes de légalité et d’équité dans la décision en cause n’étaient pas respectés !

En quelque sorte « gardiens du temple » et de ses valeurs, les DGS ont-ils pour autant le sentiment d’être reconnus ? Qu’en est-il de leur statut ?

Il est ressorti de mes entretiens qu’ils souffraient d’un manque de reconnaissance et d’un besoin de légitimité par rapport aux élus et aux citoyens. Néanmoins, il y a un paradoxe : les DGS souhaitent certes être reconnus mais admettent dans le même temps que les élus, qui sont, eux, reconnus, sont aussi très exposés.

Quant au statut, la question reste ouverte. Détaché sur emploi fonctionnel, le DGS ne relève pas d’un statut particulier, on ne sait donc pas jusqu’où il a le droit d’aller dans l’exercice de ses fonctions. D’où l’importance des valeurs de service public en tant que socle de référence.

Vous avez mentionné plus haut les défis à relever pour les DGS. Pouvez-vous nous préciser quels sont-ils ?

Le défi écologique par exemple les travaille beaucoup car c’est le premier niveau auquel les citoyens s’adressent en cas de mécontentement. Je pense, par exemple, au problème des communes du littoral et de l’érosion de ce dernier. Ou encore les communes de moyenne montagne qui vont devoir engager la reconversion de leurs activités d’ici 10 à 15 ans suite au manque de neige récurrent. Quant aux difficultés de recrutement des agents, elles sont patentes et très actuelles.

Hélène Guillet, présidente du SNDGCT, directrice générale du Centre de Gestion de Loire Atlantique.

À l’occasion des Rencontres des cadres dirigeants de l’État, mardi 12 mars 2024, le Président de la République a annoncé une mission au sujet du régime de responsabilité des décideurs publics. Quelle est votre réaction ?

Je me réjouis de cette annonce et de cette mission. En effet, cette initiative fait écho aux travaux, attentes et demandes fortes portés par le SNDGCT depuis de nombreuses années et placés au cœur des priorités de mon mandat, à savoir la reconnaissance de la responsabilité des directions générales territoriales.
Les missions et responsabilités exercées par les directions générales et attribuées par les juges pénal, civil, administratif et désormais financier, soulignent l’impérieuse nécessité de clarifier et préciser le rôle et les responsabilités des DG territoriaux, principalement les DGS. Elles sont aujourd’hui trop partielles, soumises à de multiples aléas avec des conséquences de 1er plan que sont la mise en péril des actes des collectivités et par voie de conséquence des élus locaux, le déficit grandissant d’attractivité de ces emplois de haut niveau, les dégâts techniques et humains considérables. Qui porte quels types de responsabilités ? C’est la clarté que nous réclamons au regard de textes toujours plus nombreux et de plus en plus complexe

Mais si un DGS n’est pas d’accord avec la décision d’un élu, il a toujours la possibilité de refuser de l’appliquer si il estime que l’ordre est manifestement illégal... Donc des dispositifs sont déjà prévus !

En théorie oui c’est possible. Il s’agit de l’article 28 du code général de la fonction publique et de l’article 40 du code de procédure pénale. En pratique, il en va tout autrement comme l’évoquent quelques cas qui, fort heureusement, sont peu nombreux. Lorsqu’un DGS invoque l’article 40, par exemple, il peut se heurter aux réseaux d’alliances, aux différents tissus relationnels, et va rentrer dans une spirale très délicate que ne prévoient pas les textes ; or cela est susceptible d’impacter profondément et durablement sa vie professionnelle mais aussi personnelle. Face à une autorité territoriale lorsque la ligne jaune est franchie le DGS n’a en général pas d’autres ressources que celle de partir. Cela fait partie des aléas de la fonction avec toutes les conséquences sur le plan professionnel, et personnel.

Derrière ces quelques cas se profilent surtout des questions complexes qu’il faut absolument régler : Comment le DGS fait en sorte d’éclairer le chemin de la légalité et où se situent les lignes jaunes et rouges ? Comment on confronte la réalité du terrain avec les cadrages juridique et technique sans que les décisions prises soient illégales pour autant ? On le voit la loi laisse actuellement trop de questions en suspens et la zone « grise » dans laquelle agissent les DGS actuellement n’est bonne pour personne.

Comment voyez-vous le rôle du DGS par rapport à ses équipes, aux élus et quelles valeurs doit-il porter ?

Que met-on exactement derrière les valeurs ? Je préfère la notion de conviction, d’éthique et de responsabilité. Les DGS territoriaux sont des femmes et des hommes qui défendent le bien commun et veillent à ce que les projets se mettent en œuvre dans les territoires sans négliger les équipes. Cela passe, entre autres, par des chaines de relations équilibrées avec les habitants, les citoyens, entre les équipes elles-mêmes et avec les élus aussi. Toutefois, se pose bien souvent la question de l’exercice de cette fonction et cette responsabilité ? Quel est le « contrat » de fonctionnement, les compromis possibles ? Un même socle de partage de la culture territoriale me semble essentiel. Le DGS joue un rôle d’accompagnateur, de veille, de conseil aussi sans posture de sachant et de gardien du temple. Et cela induit aussi le sujet de la formation des élus, de leur propre « statut ». C’est cet ensemble, le plus équilibré possible qui facilitera la relation et la production d’une action publique efficace.

Les DGS sont-ils suffisamment formés pour faire face à de tels problèmes ?

Il est clair que les DGS en poste depuis une décennie et plus n’ont pas pu être formés à des matières comme le marketing territorial et l’intelligence artificielle qui n’existaient pas dans les cursus. Mais les jeunes DGS ne sont pas autant formés qu’on pourrait le supposer car les formations universitaires en management public, il y a encore 5 ans seulement, si elles avaient inclus des cours sur la numérisation des collectivités locales, n’avaient rien prévu sur le marketing territorial, et plus spécialement la marque employeur qui s’avérerait bien utile aujourd’hui pour attirer les talents vers la fonction publique. Néanmoins, ces compétences vont arriver progressivement car de tels enseignements existent désormais au sein des cursus.

Les difficultés d’attractivité des fonctions publiques ne vont-elles pas les conduire à des choix par défaut qui aboutiraient à recruter surtout des personnes qui cherchent tout simplement un emploi plutôt que d’être portées par une vocation et motivées par l’altruisme, le don de soi, la contribution au bien commun et des histoires personnelles et familiales avec le service public ?

Il est certain que les difficultés actuelles de recrutement des fonctions publiques et l’évolution des mentalités des jeunes générations, par exemple, sur la fidélité à une organisation dans le temps, devraient susciter des travaux de recherche sur l’évolution des motivations de service public et l’importance des valeurs. Mais sans plus attendre, tant pour les agents qui arrivent actuellement dans les collectivités, que pour ceux en poste, nous estimons que des actions sont d’ores et déjà à prendre quant à la formation, la concertation et la promotion des valeurs de service public.

Quelle serait la nature de ses actions à propos des valeurs et sous quelles formes se présenteraient-elles ?

Les collectivités territoriales devraient tout d’abord définir les valeurs internes à l’organisation à l’occasion des séminaires du personnel ce qui pourrait encourager la diffusion de celles-ci. Cela pourrait prendre la forme d’une journée annuelle où élus, DGS et agents réfléchiraient collectivement aux valeurs par rapport aux activités de la collectivité : par exemple, nettoyer la voirie qu’est-ce que cela signifie en termes de service public, de bien commun ? Les collectivités territoriales pourraient ainsi établir une charte des valeurs et orienter les missions des individus en référence à cette charte afin de favoriser les attitudes positives des agents publics. L’élaboration d’une telle charte pourrait également renforcer le sentiment d’appartenance à l’organisation et créer davantage de liens entre les différents agents publics (à la fois selon les catégories et selon les services). La définition des valeurs participe en effet à humaniser l’organisation. Par ailleurs, en participant à l’élaboration d’une charte de la collectivité, le maire (ou le président) pourrait appréhender davantage l’engagement des agents envers certaines valeurs spécifiques, ce qui pourrait favoriser les échanges et le bien-être de ceux-ci. Pour conclure, nous suggérons que la charte des valeurs puisse constituer, dans une certaine mesure, un guide ou manuel de référence pour l’organisation afin de prioriser les actions de celle-ci.

[1] Intervention de Jean-Paul Devos au colloque organisé le 11 juillet 2013 à Paris, à l’occasion des trente ans du statut général de la fonction publique.

[3] Pauline Colin, Éléments sur la Motivation de Service Public – Une analyse mixte de la Motivation de Service Public chez les Directeurs Généraux des Services dans les Institutions du Bloc Local .Thèse en sciences de gestion présentée et soutenue le 26 septembre 2023 à l’Université de Lorraine.

 

×

A lire aussi