Prospective et évaluation dans les territoires en transition

Le 14 mars 2025

La Société française de prospective, la Société française de l’évaluation et les Entretiens Albert-Kahn, laboratoire d’innovation publique du département des Hauts-de-Seine, ont organisé, le 7 novembre 2024, une journée de partage sur les démarches prospectives et évaluatives dans les territoires en transition écologique et sociétale (TES). Quelles sont les expériences innovantes dans ce domaine ?

Après une première rencontre consacrée l’an dernier à la place et au rôle des territoires dans la TES à différentes échelles spatiales et temporelles5, cette seconde journée d’échanges et de débat visait à éclairer les conditions du passage à l’action de ces territoires en direction d’une telle transition. Comme en 2023, nous avons marié retours d’expérience et mise en perspective méthodologique, cette dimension méthodologique étant ciblée cette année sur l’articulation des démarches prospectives et évaluatives mises en œuvre dans les territoires en transition.

Nous en soulignons quelques éléments clés.

La richesse qui ressort de cette journée tient fondamentalement à la diversité des territoires et des raisons de faire de leurs démarches de transition, toutes plurielles et multivariables, adaptées du passé ou complètement novatrices. Cette rencontre témoigne aussi de l’évolutivité des méthodes (hybridation des méthodologies) et de l’importance des dimensions humaines (déjà mise en avant en 2023 avec les Portes d’entrée conduisant à une transition écologique et sociétale juste6).

Cette journée d’échanges et de débat visait à éclairer les conditions du passage à l’action de ces territoires en direction d’une telle transition.

La transition écologique et sociétale territoriale est bien en marche. Que ce soit dans la région Nouvelle-Aquitaine avec la démarche Néo Terra ou en Pays de la Loire avec le Collège des transitions7, dans la Métropole de Lyon avec la poursuite de Millénaire 3, dans le département des Pyrénées-Atlantiques avec la démarche Cohésion sociale 2040 ou dans celui de l’Essonne avec le projet Biodiv’ÎDF mené par le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE)8 :

  • la démarche Néo Terra de la région Nouvelle-Aquitaine est sans doute celle qui s’affiche comme la plus systémique, les objectifs de développement durable (ODD) contextualisés en étant clairement la boussole de référence avec une feuille de route structurée en onze engagements déclinés localement ;
  • en Pays de la Loire, la démarche est partenariale sur une initiative associative pour une « transition énergétique et sociétale », cherchant d’emblée à sortir de l’enfermement des procédures et des découpages administratifs (le fameux millefeuille). Dialogue et faire ensemble sont considérés comme alternative à la violence ou au consumérisme, comme la meilleure préparation à faire face collectivement aux incertitudes de demain et à un monde dont nous n’avons plus la maîtrise. Utiliser comme clé d’entrée, la satisfaction des besoins fondamentaux pour tous (comme l’accès à l’eau) se révèle particulièrement efficace ;
  • la direction de la prospective et du dialogue public de la Métropole de Lyon cherche à éclairer et outiller les directions opérationnelles dans ce monde de plus en plus complexe et incertain ; cela signifie sensibiliser aussi les citoyens aux différentes politiques publiques en favorisant le débat public. La démarche Millénaire 3 mobilise à cet effet la prospective et l’évaluation pour aider à définir le meilleur futur proche et identifier les défis à venir ;
  • le département des Pyrénées-Atlantiques souhaite renforcer la cohésion sociale et des solidarités à l’horizon 2040. Ont été identifiés, aux échelles du global comme du local, les différents changements permettant de se rapprocher au mieux de la cohésion sociale souhaitée. La démarche prospective a conduit à la définition des valeurs associées à la cohésion sociale qui serviront pour l’évaluation des politiques publiques ;
  • la biodiversité (passage de la trame verte et bleue en Île-de-France) est au cœur de la qualité du dialogue construit autour des arpentages et des rencontres de terrain en Essonne et dans plusieurs lieux pilotes d’Île-de-France. L’approche par les valeurs a permis de définir la biodiversité comme un bien commun et de concevoir une boussole stratégique territoriale au service de celle-ci. Chaque acteur peut ainsi évaluer l’avancée des projets, la qualité du dialogue et l’inscription dans la durée.

Non directement illustrée lors de cette journée mais largement abordée lors du Printemps de la prospective, l’intensification d’évènements extrêmes amène à repenser les pratiques et à trouver collectivement des solutions d’adaptation. Mais l’urgence9 (sous contrainte) n’est pas ressortie comme raison première de faire.

Même si leurs raisons de faire diffèrent, les manières de faire de ces diverses initiatives sont résolument proches, leurs sources d’inspiration convergeant sur des actions de transition écologique et sociétale effectives et appropriées localement.

Au-delà de leurs spécificités, ces manières de faire peuvent se résumer en un certain nombre de mots-clefs : pouvoir d’agir, coopération, approche par les communs, zéro mépris, mise en place de « tiers de confiance », identification de valeurs partagées (pour les individus, la communauté et les territoires). Cela conduit à travailler sur les capacités opérationnelles à « faire ensemble » à tous les niveaux, apprendre en faisant et initier des projets pilotes collectifs jusqu’à l’échelle communale ou intercommunale :

  • ainsi, la région Nouvelle-Aquitaine a-t-elle actualisé sa démarche Néo Terra (commencée en 2019) après un bilan détaillé en 2023 en la resserrant en six ambitions concrètes mobilisant l’ensemble des forces régionales. Chaque ambition est déclinée en trois à six objectifs accompagnés d’indicateurs. Des cahiers de solutions rassemblent par thématiques les projets de transition réussis ;
  • en Pays de la Loire, le Collège des transitions développe depuis une dizaine d’années une démarche locale, un dispositif d’accompagnement en vue d’un déploiement partenarial10. Il vise à faire évoluer les modes de vie, à gérer en commun les ressources comme l’eau ou l’énergie tout en développant les capacités de mise en dialogue des acteurs (comme alternative à la violence). Ce qui revient à analyser collectivement et finement les conditions de « favorabilité » du faire ensemble d’abord au niveau local ; puis, en s’appuyant sur ces réussites locales, d’aborder les conditions du changement d’échelle en passant la main à d’autres structures selon un dispositif de relais et d’essaimage. Les analyses d’impact menées à chaque terme du projet partenarial sont propices à développer une culture de l’anticipation chez les acteurs à commencer par les élus. L’articulation des démarches prospectives et évaluatives peut y prendre tout son sens ;
  • au Grand Lyon, la fonction prospective se positionne, dans un rôle fédérateur, comme celle d’un conseiller stratège et technique de la Métropole, tiers de confiance dans les relations citoyens-métropole et vecteur de capitalisation d’initiatives de transformations de toute nature. Face à la montée des incertitudes et des contraintes, la notion d’« objets intermédiaires » émerge, sorte d’étape à court et moyen terme vers un futur proche ;
  • la démarche de cohésion sociale à 2040 a été souhaitée par le président du département des Pyrénées-Atlantiques. Un atelier prospectif rassemblant une soixantaine de contributeurs, six fois dans l’année, a cherché à créer une écoute et une gouvernance partagée entre les élus (« la 6e commission ») et les parties prenantes, acteurs du territoire. Quatre scénarios ont été définis comme autant de chemins pour parvenir à une cohésion sociale renforcée. Les transformations associées (individuelles et collectives) ont été approfondies, des objets du futur ont été définis ainsi qu’un passage au « crash test » a été organisé ;
  • l’initiative du CAUE de l’Essonne a visé à faire société autour des valeurs liées à la biodiversité. Comme dans l’exemple précédent des Pyrénées-Atlantiques, le voyage, la construction des valeurs fédératrices et des boussoles associées, semble clairement aussi important que la destination. Construite avec un petit nombre d’acteurs motivés, rassemblant un ensemble de parties prenantes (élus, citoyens, etc.), la démarche ne s’est pas poursuivie au-delà des quelques années où son pilote était à l’œuvre. Cela pose la question de l’inscription dans la durée des démarches lorsque les leaders se retirent.

Il n’y a pas de solutions universelles, mais toutes ces démarches s’appuient sur des méthodes prospectives.

À travers ces manières de faire, les démarches présentées s’appuient donc bien sur une conviction commune : la mise en avant de la coopération, clé des pratiques durables.

Il n’y a pas de solutions universelles, mais toutes ces démarches s’appuient sur des méthodes prospectives. La recherche de complémentarité entre prospective et évaluation est souhaitée par tous les acteurs. Elle pourrait permettre une convergence notamment dans le cadre des évaluations dites ex ante sur les notions de pertinence (pour une meilleure appréhension des enjeux et besoins allant du court terme au long terme), d’efficacité (attendue et effective au regard des trajectoires définies), de cohérence (la nécessité d’articuler finement l’action de l’ensemble des acteurs publics et privés au service de l’impact), mais aussi d’efficience, utilité, durabilité et ainsi qu’une certaine clarification des jeux d’acteurs. Enfin, elle permettrait de relever l’un des plus grands défis des démarches de transitions qui est certainement leur inscription dans la durée.

Nous poursuivrons, en 2025, nos retours d’expérience en matière de prospective territoriale au service des transitions, avec, le 13 novembre 2025 prochain, une journée qui sera consacrée aux imaginaires des transitions, à la mise en récit et aux compétences requises.

  1. Secrétaire générale des Entretiens Albert-Kahn et présidente de la Société française de prospective (SFDP).
  2. Président co-fondateur de Forum international de la dynamique territoriale des achats responsables et de l’écoconception (FIDAREC), vice-président de la SFDP et membre de la Société française de l’évaluation (SFE).
  3. Économiste universitaire, administrateur de la SFDP et membre de la SFE.
  4. Président de Planète Publique, co-animateur du groupe Évaluation & transitions de la SFE.
  5. « De la prospective à l’action. Les territoires au cœur de la transition écologique et sociétale », Cahier EAK no 60 ; également « Quel(s) numérique(s) pour l’action publique ? », Horizons publics mars-avr. 2024, no 38.
  6. Collectif Fortes : Renouard C., Beau R. et Koenig C. (dir.), Manuel de la grande transition. Former pour transformer, 2020, Les liens qui libèrent, ainsi que « De la prospective à l’action. Les territoires au cœur de la transition écologique et sociétale », art. cit., p. 30.
  7. « Quand l’action-recherche accélère les transitions en Pays de la Loire », Horizons publics hors-série été 2024.
  8. Ces retours d’expérience approfondissent utilement ceux déjà présentés l’an dernier concernant la dynamique REV3 de la région Hauts-de-France, la stratégie ODD du département des Hauts-de-Seine, la stratégie bas carbone à 2030 de Paris La Défense, et les actions emblématiques des villes de Besançon et d’Évian-les-Bains.
  9. C’est un point de différence avec les entreprises, y compris celles artisanales et du monde agricole, qu’il semble intéressant d’approfondir, probablement en distinguant les territoires particulièrement exposés (ceux littoraux ou de montagne).
  10. Voir notamment « Quand l’action-recherche accélère les transitions en Pays de la Loire », préc.
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