Quel avenir pour les laboratoires d'innovation et la culture de l'expérimentation dans les collectivités ?

Transfo Code Source
La mise en ligne du site La Transfo Code Source permet de découvrir en « open source » le protocole de création de laboratoires d’innovation internes que La 27e Région a expérimenté depuis 2011 avec 11 collectivités territoriales.
©La 27e Région
Le 20 novembre 2020

La 27e Région met en ligne La Transfo code source, le retour d’expérience de son programme dédié à la mise en place de laboratoires d’innovation dans 11 régions et collectivités entre 2011 et 2020.

 

En décidant de mettre fin à la Transfo et de partager plus largement cette expérience, La 27e Région ouvre, de fait, un chantier de réflexion sur l’avenir des laboratoires d’innovation et la culture d’expérimentation au sein des collectivités et administrations publiques.

 

Horizons Publics a exploré cet outil et rencontré la 27e Région, qui organise avec la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), le 24 novembre 2020, un webinaire "Au delà des modes, le dessous des Labs", dans le cadre du Mois de l'innovation publique.

 

La jeune histoire des laboratoires d’innovation publique

L’émergence des laboratoires d’innovation publique s’inscrit dans une lointaine tradition de réforme administrative. Son précurseur le plus célèbre est le Mindlab au Danemark, créé en 2002 au sein du Ministère de l’Économie. Il s’inspire de méthodes américaines d’innovation en faisant entrer des ethnologues, designers et spécialistes des sciences politiques dans la culture administrative. Une expérience de 2007 inspirée de l’œuvre « Prenez soin de vous » de l'artiste Sophie Calle est emblématique de son approche. Un sémiologue, une femme de ménage, un artiste, sont recrutés pour décrypter la « lettre des impôts » du Ministère danois. Cinq points de crispation sont identifiés, parmi lesquels : le ton menaçant, l’opacité du document et son aspect mécanique et juridique. Si le premier prototype qui en ressort est encore jugé trop opaque, il pose les bases d’une conception des services centrée sur l’analyse des usages mais aussi sur une éthique de la bienveillance. « Le design thinking repose sur une forme de raisonnement qui va au-delà de l’analyse et de la résolution de problèmes que nous associons souvent au processus d’élaboration des politiques et qui vise à générer une certaine valeur ajoutée, sans savoir ce qu’il faut créer pour atteindre cette valeur ajoutée ni la façon de s’y prendre » explique à ce sujet Jenny M. Lewis professeure de sciences politiques à l’Université de Melbourne.

On dénombre aujourd’hui plus de 60 laboratoires d’innovation parmi les États membres de l’Union Européenne et près d’une centaine au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande. La 27e Région est l’acteur ayant contribué de la manière la plus significative et méthodique à cette émergence en France à travers son programme La Transfo.

Le principe est le suivant : des agents « Ambassadeurs » se portent volontaires au sein d’une collectivité pour effectuer un travail de 18 mois afin de mettre en œuvre un laboratoire d’innovation. Ils sont accompagnés par une équipe pluridisciplinaire de « Résidents » constituée de designers, sociologues, politistes, praticiens de l’éducation populaire, etc. La première édition de ce programme sera réalisée dans quatre Régions entre 2011 et 2014 et la seconde dans sept collectivités (Mulhouse, Paris, la Communauté urbaine de Dunkerque, les Métropoles de Lille, Strasbourg et Metz et la Région Occitanie).

Nadège Guiraud, la directrice des programmes et des projets de La 27e Région, revient sur les débuts de la démarche. « Sur la première génération de collectivités, l’idée de créer un labo n’était pas aussi claire. Les labos on les comptait sur les doigts d’une main. C’était un objet très peu identifié, pas du tout un effet de mode. La promesse était alors de savoir comment développer les capacités d’expérimentation et de R&D des collectivités ». Cette première génération débouche notamment sur la création du labo de la région PACA qui existe toujours. D’autres laboratoires n’ont pas résisté aux changements de mandature ou à la fusion des régions. « Pour la deuxième génération, la promesse était plus claire » poursuit Nadège Guiraud. « Le mot labo était prononcé ». Il donne notamment lieu à la création du laboratoire de Mulhouse qui dispose toujours dun agent à temps plein, et à celui de la Ville de Paris rattaché au Secrétariat général. Certaines collectivités, comme la Région Occitanie sont allées plus loin dans l’intégration de la démarche : « La région Occitanie avait déjà inscrit la création du labo dans l’organigramme, et recruté un responsable et deux chargés de mission. On est arrivés à ce moment-là. Du coup, nous n’avons pas réellement eu à travailler pour convaincre la direction générale ».

Le cadre expérimental est encore contre-culturel

Le site de la Transfo code source revient sur ses sept principes actifs que sont : le cadre expérimental, la pluridisciplinarité, le rythme et la temporalité du programme, l’implication des agents, les cas concrets, l’écosystème de l’innovation et la projection dans le futur. Chaque rubrique présente des documents (comme des modèles de conventions et de contrats), des témoignages audio d’agents ambassadeurs ou de résidents associés à ces terrains sur les expériences significatives, un exposé des intérêts et limites actuelles de l’expérience. On peut y lire que sa réussite suppose une « acceptation » de l’incertitude liée au cadre expérimental et qu’il est parfois difficile de « concilier l’ambition du programme et son coût pour la collectivité avec la dimension d’essai-erreur et de tâtonnement inhérente à l’expérimentation ». Stéphane Vincent, délégué général de La 27e Région, rappelle dans un témoignage audio que le fait de « ne pas savoir ce qu’il en sortira à la fin est à ce jour contre-culturel » pour les administrations.

La Transfo à Paris

C’est pour poursuivre la simplification de ses démarches internes et l’évolution de ses organisations, pour de meilleurs services publics, que la ville de Paris se lance dans la Transfo en novembre 2016.

Ce sujet n’est pas spécifique à la France . Il est mis en relief par une étude menée sur cinq laboratoires publics établis en Australie et en Nouvelle-Zélande où l’on peut lire ceci : « Une importante rotation des responsables à des postes politiques et administratifs favorise la réalisation d’actions à court terme et crée un environnement dans lequel ces responsables attendaient avec impatience le changement et aspiraient à des innovations (rapides) pouvant être annoncées par les ministres.

Ils ont également indiqué que les traditions administratives bien ancrées des systèmes bureaucratiques publics étaient un frein à l’introduction de nouveaux modes de travail, en particulier par le biais du « blocage » exercé par les cadres intermédiaires qui sont en mesure d’entraver le changement ».

Pour parer quelques-uns de ces problèmes, la Transfo code source fait une série de propositions, comme : associer deux collectivités d’un même territoire, inscrire davantage ce type de démarche dans les projets d’administration, accorder une place plus importante à la recherche-action, inventer un mode opératoire pour clarifier le contexte et reformuler les attentes, mettre les élus dans un rôle d’ambassadeurs, diversifier le financement avec plusieurs directions notamment.

La pluridisciplinarité est le fondement méthodologique de la démarche. Elle permet notamment de décentrer le regard. La Transfo a ainsi pu expérimenter sept types d’attelages disciplinaires et constate que bien souvent les équipes mises en contact avec les collectivités ont poursuivi leur collaboration. Les projets soulèvent en attendant le problème de la place insuffisante de la recherche et de la réflexivité dans les administrations et au sein du personnel politique mais aussi des différences de « langue » entre les ambassadeurs et résidents, notamment autour du design.

« Le design a été prédominant dans la démarche. Cela n’a pas toujours été facile pour le résident non-designer de trouver sa place. Cela a pu créer aussi chez les ambassadeurs, une espèce de fétichisation du design. C’est vrai que dans cette première génération, il y a eu un effet miroir grossissant sur le design. Mais ça, c’est un peu lié à notre histoire » explique Nadège Guiraud.

Le problème du rythme et de la pérennité de l’action

Avec un programme s’étendant sur 18 mois, le rythme peut produire un essoufflement, une impatience quant aux résultats. Les cas pratiques proposés pour former les agents, sont un peu le révélateur de ce rapport complexe entre le temps expérimental et le temps de la mise en œuvre sur le terrain. « Pour nous, ces cas pratiques avaient une visée de sensibilisation des agents ambassadeurs et de test pour le futur labo. On n’a eu de cesse de redire que le but n’était pas de produire des résultats en six ou huit jours, alors qu’en général un projet d’innovation, se réalise sur plusieurs mois, même avec une AMO design. En attendant, évidemment les cas concrets suscitent des attentes des directions mais aussi des ambassadeurs qui travaillent dessus », explique Nadège Guiraud, qui ajoute que certains cas pratiques sont allés à leur terme, comme le Mégotier de Mulhouse, documenté par la 27e Région. « Mulhouse a eu un prix pour cette démarche. C’est un peu le cas pratique rêvé ». Le programme révèle en attendant que la formation des agents ne s’inscrit pas encore dans un cadre de certification et de validation des acquis assez clairs et avec une reconnaissance formelle de la part des ressources humaines. « Cela pose un problème très concret de mobilisation des agents. Certains, peu soutenus par leur hiérarchie, n’ont pas pu suivre la démarche jusqu’au bout » explique Nadège Guiraud.

La Transfo à Mulhouse

Mulhouse est la première ville française à se lancer dans la Transfo en juin 2016. L’enjeu : articuler les nouvelles méthodes de travail apportées par la Transfo avec les dispositifs mulhousiens existants (Agence de la participation, mission Ville intelligente et innovation…) pour construire ensemble un processus global d’amélioration des politiques publiques.

Quels avenirs pour les laboratoires d’innovation ?

À travers ces retours dexpérience, on comprend que la question à laquelle les laboratoires d’innovation sont confrontés à ce jour, est celle de leur contribution à un changement de culture publique et notamment administrative. L’association d’une vingtaine d’agents à l’échelle d’une grande collectivité limite encore l’effet d’entraînement. Pour y remédier la Transfo code source propose un système de parrainage pour élargir le cercle des agents.

« Dans toutes les Transfo, on en est arrivé à la conclusion qu’il fallait garder ce principe de pouvoir mobiliser des contributeurs de différents endroits de l’administration, ponctuellement, que c’était une richesse, un moyen d’essaimer. Mais il fallait que cela soit hyper cadré, avec la difficulté d’anticiper un minimum sur le calendrier, et du coup, ce sont des questions organisationnelles qui se posent » explique Nadège Guiraud.

L’organisation administrative reste ce très haut mur auxquelles se confrontent les démarches expérimentales.

La Transfo a fait le choix de ne pas en faire le cœur de son action : « Travailler d’abord sur l’organisation, c’était se rajouter quelque chose de plus, sur lequel on n’avait pas la main. Mais nous y avons touché quand on nous sommes arrivés à dessiner des futurs labos dans chaque collectivité, avec nos ambassadeurs et la direction générale. Sur certaines préconisations caractéristiques, elles interrogeaient des questions organisationnelles plus larges. Mais c’était un choix de ne pas aller dans cette direction. On voulait avant tout les aider à adopter un autre regard, une attention aux usages plus qu’à l’organisation, à se mettre dans la peau d’usagers, de partenaires ».

Ainsi, l’arrêt de ce programme précurseur s’apparente à un passage de relais et peut-être au début d’une nouvelle étape de réflexion pour les acteurs de l’innovation et de l’expérimentation publique.

« Ce n’était pas forcément prévu d’arrêter, mais La 27e Région est là pour défricher et pour ouvrir de grands sujets et de nouvelles voies. Bien sûr, il y a encore beaucoup de collectivités qui veulent se doter d’un labo, d’une fonction R&D, notamment des Départements en ce moment. Par le passé, les Territoires en résidences on les a arrêtés, car on s’est rendu compte que c’est un format qui pouvait être pris en charge par d’autres, à travers des marchés publics. Pour accompagner la création de Labos, on va commencer à assister au même phénomène ». Si la directrice des projets et des programmes de La 27e Région se dit convaincue de la nécessité d’instaurer des capacités d’expérimentation au sein des collectivités, elle estime que la fonction même de labo mérite d’être questionnée : « Là où on aura plus de doutes en réalité, c’est sur la forme labo. Institutionnaliser l’approche de l’innovation par les usages, est-ce que cela marche ? Quel est le bon positionnement du labo, pour qu’il garde sa capacité de piratage et bouscule les pratiques internes ? Comment faire pour que cela ne devienne pas un service de conduite du changement, une équipe de consultants en organisation interne, ou une machine à animer des ateliers de créativité ? Les questions restent ouvertes ».

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