Relation usager : les pratiques les plus inspirantes en Europe, au Canada ou ailleurs

Melville, une ville australienne de 100 000 habitants
Melville, une ville australienne de 100 000 habitants
©JM Rosenal
Le 2 octobre 2023

Après quatorze ans à voyager à travers le monde, depuis 2009, en France, en Europe et au Canada notamment, je poursuis ma recherche de pépites, d’étonnement, de pratiques inspirantes dans la relation que tissent les villes avec leurs citoyens/usagers. Et je continue de constater que la modernité ne réside pas toujours dans l’utilisation de la dernière technologie. Il s’agit, le plus souvent, de posture, d’attitude, d’une meilleure compréhension de l’usager, d’anticipation collective, voire d’alignement stratégique de la part de l’organisme ! Cela donne de l’espoir, non ? Cela veut dire que toutes les villes pourraient donc y arriver. Mais cette réussite, à mes yeux, repose sur la pleine conscience d’une stratégie partagée avec tous les collaborateurs, notamment dans les organisations les plus abouties.

En 2010, je reçois ma première « claque d’étonnement » au cours d’un voyage d’immersion, dans une ville australienne de 100 000 habitants, appelée « City of Melville », commune de la banlieue de Perth sur la côte ouest, organisée en 18 quartiers. Leanne Hartill, la directrice des services à la population et le maire Russell Aubrey, ont accepté, après quelques échanges par e-mail, de me recevoir quinze jours en immersion afin de tout me montrer sur l’organisation de la relation aux habitants. Je me dis que, finalement, ce n’est pas si compliqué de faire un « vis ma vie » à l’étranger ! Je me rends donc tous les jours en mairie et me retrouve dans un fonctionnement de flex office où les employés tournent dans un open-space (déjà !). Ce jour-là, je prends la place d’Alexis, une animatrice de 20 ans du service jeunesse. J’observe, sur son mur, trois grandes feuilles de schéma, et lui demande ce que cela représente. La jeune femme me répond avec naturel : « Ce sont les résultats de la dernière consultation des 10 000 habitants représentatifs, par quartier, sur les activités attendues ou les plus sollicitées. » Cela lui permet d’inventer les activités en lien avec les résultats de l’étude. Elle rajoute : « Tu sais ici tout le monde fait ça ! Et chez vous, comment faites-vous ? » Waouh ! Je viens de prendre ma première leçon d’« humilité stratégique ».

En 2010, à Melville, les opérateurs interrogent l’usager à partir d’un menu déroulant de questions.

En effet, au cours de mes nombreux voyages et entretiens de par le monde, je vois des pratiques inspirantes et notamment des outils qui – à l’époque ou encore aujourd’hui –, apportent un plus dans le traitement de la relation à l’usager, une certaine modernité.

Du matériel parfois pointu au service de la réponse à l’usager

Melville toujours. À mon arrivée, je suis frappé par l’organisation omnicanale de leur guichet d’accueil et la rigueur dans la qualité du centre d’appel, avec des opérateurs qui répondent à 120 000 appels par an. C’est 80 % des informations de premier niveau qui sont traitées grâce à une connaissance pointue des 200 services municipaux proposés (que l’on peut retrouver dans un catalogue papier distribué aux habitants, intitulé « What you pay is what you get ? » – « Ce que vous payez est ce que vous obtenez ? » – à l’anglo-saxonne !). Ainsi, pour répondre, les opérateurs utilisent un logiciel et interrogent l’usager à partir d’un menu déroulant de questions, pour faciliter la compréhension de la demande et être en mesure de réagir rapidement. Le service s’engage sur des délais de réponse, peu importe le canal. L’ensemble des opérateurs est polyvalent sur le périmètre global de l’accueil avec la même culture de la réponse à l’usager. Bluffant, à l’époque !

C’est en 2014 que je croise, à Paris, dans une conférence, le maire de Santander, Iñigo de la Serna. Sa ville espagnole de 180 000 habitants, sur la côte de Cantabrie, a bénéficié de fonds européens pour expérimenter, avant les autres, la smart city, la ville connectée. C’est parti donc pour trois jours d’entretien ! J’y découvre une ville bardée de capteurs (12 000) pour tous les services « infra » de la ville (circulation, mobilité, déchets, stationnement, pollution de l’air ou éclairage public), dont certains logés dans les smartphones des citoyens et sur les véhicules municipaux. Pour écouter le citoyen, la ville a lancé une plateforme d’idées, une sorte de budget participatif avant l’heure. Le site s’appelle City brain. Le concept comprend quatre étapes : l’usager s’inscrit, il partage ses idées d’amélioration de la ville sur la plateforme, les citoyens votent et on procède au classement des projets lauréats. Enfin, les services concernés de la ville invitent le lauréat à participer au projet avec elles. J’ai trouvé cela génial ! Un dispositif d’inclusion du citoyen en complément d’une démarche totalement numérique.

L’agence Easybrussels, qui porte bien son nom, agit au quotidien.

Toutefois, je n’oublie pas la France, avec un exemple très récent d’outil découvert en 2021. La ville de Plaisir (dans les Yvelines) et son directeur des relations citoyennes, Khaled Belbachir, ont fait appel à l’intelligence artificielle (IA) pour mieux gérer les appels entrants, notamment les demandes de rendez-vous passeports qui ont explosé ses deux dernières années. La ville a installé un système de voice bot, une voix intelligente qui répond aux questions sur les demandes de rendez-vous et donne toutes les informations nécessaires à la préparation des dossiers, les justificatifs attendus ou les horaires, des questions fréquemment posées. Un outil pratique qui permet aux opérateurs téléphoniques de se concentrer sur les demandes complexes et qui aide également à réduire fortement le nombre d’appels perdus. Très intéressant !

Des moments d’étonnement pas toujours technologiques, mais de nouvelles postures d’écoute

En 2013, au cours des Livcom awards1 accueillis par la ville de Xiamen (3,5 millions hab., c’est-à-dire une ville moyenne en Chine) je découvre le témoignage d’une commune taiwanaise, New Taipei, qui présente sa politique seniors. En effet, son représentant explique qu’ils mènent une politique ciblée, avec notamment une action pleine de symbole : « Nous appelons les aînés isolés, le jour de leur anniversaire ! » J’ai trouvé cela très bienveillant de la part d’une administration locale, et cela m’a tout de suite interrogé sur notre situation dans l’Hexagone. En effet, ce projet n’est en rien révolutionnaire, ni d’une valeur technologique extraordinaire ! Certes, mais cela pose la question de la bonne connaissance de notre population et du croisement des données. Ainsi, je pense à ma mère, 83 ans, qui est également une « aînée isolée ». Pour sa part, elle ne reçoit jamais d’appel de la part de sa mairie, anniversaire ou pas, et ce même dix ans après la canicule de 2003. Nous sommes ici sur une approche déjà « d’aller vers », dont on commence à beaucoup parler maintenant. Posez-vous la question aujourd’hui : la mairie appelle-t-elle votre parent isolé pour son anniversaire ou pour autre chose ?

Autre exemple inspirant, toujours découvert lors des Livcom awards. Voici Chrudim, 25 000 habitants, en République tchèque, qui présente sa copie : pour travailler sur la qualité de vie et la tranquillité des habitants, la commune a créé un mini baromètre, avec un panel d’habitants et des questions d’une simplicité étonnante : « Pensez-vous qu’il est sûr de laisser votre fenêtre ouverte durant la nuit ? Pensez-vous qu’il est sûr de rester à la maison, en journée, avec la porte d’entrée non fermée à clé ? » Elle a, en fait, inventé son « baromètre de la tranquillité ». Rien d’extraordinaire, pourtant, cela m’a tout de même interrogé sur la capacité de nos villes françaises, à l’époque, en 2013, à aborder simplement des thèmes sensibles, comme l’insécurité, à travers des mini actions d’évaluation. Des dispositifs souvent impensables à proposer aux élus et aux cabinets, tant les questions de sécurité, des thématiques pourtant naturellement citoyennes, sont difficiles à aborder en France. Et si nous apprenions la souplesse et la méthode des petits pas ?

Revenons en France, en 2016. Une autre « claque » prise en Franche-Comté, et qui survient à l’occasion d’un des nombreux entretiens de mon réseau hexagonal. C’est l’expérience visionnaire de ce cador de la qualité du service public (QSP), Serge Guillemin, directeur qualité au Grand Besançon, qui – pour dépasser le concept de la basique notion de « satisfaction usager » –, revisite le parcours usager. Il est alors bien en avance sur la mode de « l’expérience usager » exprimée dans les approches innovantes du service public d’aujourd’hui : il enrichit les étapes chronologiques de vie de l’usager dans la réalisation de ses démarches, par une notion de niveau d’anxiété qu’il peut ressentir. Il y ajoute l’identification des points de contact avec les différentes organisations publiques. De sorte qu’il est à même de prioriser les actions les plus utiles pour rendre plus confortables et accessibles les démarches de l’usager grâce à une meilleure coordination des acteurs. Très ingénieux !

Les organismes qui développent une cohérence générale

C’est sûr désormais, je ne rirai plus aux blagues sur les Belges ! Tout récemment, été 2022, je voyage en Belgique pour rencontrer les membres de la redoutable agence de simplification administrative Easybrussels. La Belgique bénéficie, depuis les années 1980, d’une particularité en matière de connaissance de l’usager, et ce comme une poignée de pays européens à ce jour : un système national de carte d’identité à puce, avec une clé (numéro) d’identification unique, délivrée à la naissance, qui héberge un dossier individuel dans un registre national. Cet espace archive tous les détails des évènements de vie : actes, demandes et autres certificats accumulés au cours d’une existence. Ces informations s’appellent « les sources authentiques ». Un trésor qui peut grandement simplifier la vie de l’usager au quotidien dans ses démarches. Et dans la région-capitale, l’agence Easybrussels – qui porte bien son nom – agit au quotidien dans ce sens avec cet outil exceptionnel.

Un exemple d’action parmi d’autres, car l’agence déploie depuis plusieurs années à l’ensemble des administrations régionales et locales dans la région-capitale de Bruxelles, le dispositif Once only, ou « dites-le nous une seule fois ». Ainsi, à Bruxelles, depuis juillet 2020, une ordonnance interdit aux administrations de demander à un usager des informations qu’il aurait déjà partagées avec un autre acteur public, informations automatiquement archivées dans les sources authentiques. L’agence traque donc les administrations contrevenantes avec l’aide des usagers, et parallèlement se met à la disposition des acteurs publics lorsque ces derniers décident de créer un nouveau service et donc un nouveau formulaire usager. Avec eux, l’agence co-construit le document pour le rendre conforme dès la conception. Une belle approche globale volontariste et collective. Ils sont forts ces Belges !

Nos cousins québécois, des « monstres » de management stratégique

Montréal est une ville de 2 millions d’âmes, inspirante dans beaucoup de domaines. Et la relation au citoyen n’échappe pas à cette règle. Depuis 2011, mon premier voyage, j’ai pris quelques « claques » d’humilité, de bon sens et de déclinaison stratégique. Oui, ce peuple, anglo-saxon et latin à la fois, s’est créé une culture hybride qui se retrouve dans le fonctionnement inspirant de son administration.

Ainsi, dès 2011, je découvre leur stratégie de la participation citoyenne, véritable éco-système d’acteurs, en lien avec des dispositifs qui ont pour but de faciliter la participation du citoyen. On y retrouve dès 2008, une charte des droits et devoir du citoyen, des acteurs organisateurs-facilitateurs (OPCM)2 de la concertation, des procédures d’intervention en réunion publique pour les porteurs de projet, mais aussi pour le citoyen lambda, et des formations pour comprendre les process de participation avec les six objectifs issus des fondamentaux de l’International association for public participation (lAPP), du jamais vu pour ma part, à l’époque. On pense « global » ! On pense « systémique » !

C’est aussi dès 2011, et confirmé lors de mon troisième voyage en 2022, que j’observe la grande détermination de leur focus user : « Votre premier appel sera votre dernier appel », incarné par le Bureau Montréal 311, une direction de 120 personnes au service de l’usager qui se concentre sur la fiabilité des informations « pour que vous n’ayez pas à rappeler ». Une sévère formation qualité pour les opérateurs, sur le contenu et la posture est un autre point fort.

Tour du monde de la relation usager (RU) : comment cela a été possible ?

Dès 2005, je rejoins la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, d’abord comme responsable déchets ensuite en chargé de mission à la direction générale (DG) pour travailler sur les questions de management, de développement durable et d’attractivité territoriale. C’est le moment où la collectivité participe à un concours international de plan développement durable (DD) : les Livcom awards. Année 2009, départ pour Pilsen en République tchèque où nous concourons face à une cinquantaine de présentations de villes du monde entier sur une semaine. Des pitchs en anglais sont encadrés par six critères, dont méthodes écologiques, patrimoine naturel et plan stratégique. Cette année-là, Melville (Australie) est l’une des lauréates, notamment sur le critère de la participation des habitants : c’est la raison de mon premier « learning trip ».

S’ensuivent les éditions où je participe en auditeur libre, à Chicago, Al Ain (Émirats arabes unis) ou Xiamen en Chine. Et sur le même principe, je rencontre quelques villes participantes qui m’invitent, après les épreuves, à réaliser un séjour d’immersion dans leurs services (Montréal, Gran Canaria, Schwalm-Eder-Kreiss) mais il y a aussi Barcelone, Santander, Londres, Budapest, Istanbul, etc., au total 25 destinations en immersion, études et salons en mode solo. Tout ceci n’aurait pas été complet sans une vision RU de nos villes françaises. En effet dès 2016, après une expérience de directeur RU à Évry, je rejoins la plateforme IdealCO – des bonnes pratiques des collectivités – pour conduire et animer la communauté métiers de mes pairs directeur·rices RU et organiser les Rencontres nationales de l’accueil. Au total, environ 250 webinaires et tables rondes sur le sujet grâce à plus d’une centaine de collectivités interviewées.

Dans ces bureaux d’accés montréalais (BAM) – sorte de mairies d’arrondissement –, ont introduit le nouveau rôle de « l’agent d’accueil social » (appelé ainsi ici). Ces agents « volants » se rendent sur le terrain, dans les quartiers de l’arrondissement pour informer en direct les riverains sur les travaux, le lancement d’un service ou recueillir des demandes, anticiper des démarches, etc. Visionnaires ces Québécois !

Dernière « claque » chez nos cousins, la question de l’innovation. Dans le plan prospectif Montréal 2030, l’innovation tient une place importante. Elle fait partie des quatre piliers – après l’écologie, la solidarité et la démocratie. Mais sur le thème de l’innovation, pas de focus sur l’IA, ni la dématérialisation, ou une technique particulière (sauf pour la création d’une charte de la donnée, l’un des carburants de l’innovation). Ainsi, la préoccupation de Dominique Ollivier, numéro 2 de l’exécutif, se résume de la sorte sur cette thématique : « Nous voulons une ville laboratoire vivante, où l’on autorise le droit à l’erreur et les synergies avec les acteurs. Nous voulons faciliter l’innovation à tous les étages et dans tous les métiers. » Une belle approche globale, une vision moderne d’une stratégie partagée, non ?

2009, départ pour Pilsen, en République tchèque où nous concourons face à une cinquantaine de présentations de ville du monde entier.

  1. Lancés en 1997, les Livcom awards constituent le principal concours mondial de récompenses axé sur les meilleures pratiques internationales en matière de gestion de l’environnement local et de développement (http://www.livcomawards.org/index.html).
  2. Office de consultation publique de Montréal (OCPM) (https://ocpm.qc.ca/fr).
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