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André Accary : « Il faut oser pousser les lignes de la règlementation ! »

Le 23 mai 2019

André Accary est président du département de Saône-et-Loire et premier vice-président du groupe de travail sur l’offre de soins à l’Association des départements de France. Son organisation souhaite un acte de décentralisation plus fort en matière de santé.

Comment avez-vous affronté la désertification médicale ?

La désertification médicale, cela fait des années qu’on en parle, mais rien ne change. Elle est partout dans nos territoires. En zone rurale, cela se voit tout de suite, comme lorsqu’une épicerie ferme. En zone urbaine, l’absence est davantage diluée, mais le manque est le même. En 2017, le département de Saône-et-Loire a dressé le constat. Il était alarmant. Nous venions d’enregistrer une baisse des effectifs médicaux de 11 % de 2007 à 2016, et le pire était à venir avec une baisse de 50 % des généralistes qui partiraient à la retraite en 2018 et 2019. Les besoins augmentaient avec une population vieillissante, et le fait que le choix des médecins nouvellement diplômés se portait sur les remplacements. Cela faisait des années que nous participions au financement de dispositifs, de bâtiments, de formations avec des résultats trop modestes. Il fallait faire quelque chose. Au département, nous avons l’avantage d’avoir une connaissance très fine de la réalité sociale et démographique, et d’en tirer une vision de l’évolution de la population. Avec le changement des besoins et de la demande, tant de la population que des professionnels, il fallait apporter une nouvelle réponse. En collant aux réalités, on percevait les changements à opérer. Il nous fallait rapidement constituer une offre attractive pour les médecins, avec des conditions d’exercice adaptées, tel que le salariat. Il fallait pousser les lignes de la réglementation, nous avons demandé le droit à expérimenter.

Qu’entendez-vous par pousser les lignes pour mener des expériences ?

S’occuper de désertification médicale ne relève pas de la compétence des départements.

Il nous fallait déroger à la loi. Mais pas seulement. Il ne fallait en aucune façon braquer les autorités compétentes, ni braquer les médecins dans l’exercice libéral. Il nous paraissait essentiel d’avoir le feu vert des autorités, mais aussi celui des parties prenantes, à savoir les médecins du territoire et les élus dans les villes concernées par la pénurie de praticiens.

Ma première démarche a été de rencontrer le directeur général de l’Autorité régionale de santé (ARS), qui a aussitôt été d’accord pour la création d’un centre de santé départemental. J’ai rencontré le président de l’Ordre des médecins et je lui ai expliqué la philosophie du projet, lequel, en aucun cas, ne viendrait en concurrence d’un médecin libéral installé. La souplesse du contrat passé avec les médecins salariés leur permettait (et leur permet encore) d’aller vers l’exercice libéral, dès lors que ces derniers en feraient la demande, y compris avant la fin des trois ans de contrat. Le centre de santé est né à force de volonté et d’innovations. Celles-ci ont porté autant sur l’organisation, les statuts, que les financements. Le centre de santé départemental se compose d’une plateforme mère, de centres de santé territoriaux dans les villes phares et d’autant d’antennes que le nécessitent les villes environnantes. Aujourd’hui, ce sont cinq centres de santé territoriaux, la transformation d’une antenne en un sixième centre territorial, treize antennes en service, et à terme, quarante-cinq prévues. La plateforme prend les appels pour les rendez-vous, avec un numéro unique. Les démarches peuvent aujourd’hui se faire également par Internet sur le site dédié créé par le département :

Une quinzaine de secrétaires ont été recruté·es pour soulager tous les médecins des tâches administratives. Pour les locaux, j’ai fait un appel aux maires. Tous pouvaient en fournir, il n’y a pas eu de construction.

Lancée le 19 juin 2017, l’idée a été concrétisée le 25 janvier 2018 avec l’ouverture du premier centre de santé territorial à Digoin. Depuis nous avons recruté quarante médecins généralistes. Les dix premiers, cinq hommes et cinq femmes entre 35 et 60 ans ont été attirés par le statut salarié et le cadre d’exercice. Le cadre de vie a beaucoup joué. Quand des médecins libéraux souhaitent s’installer dans une commune où nous envisagions une antenne avec un médecin salarié, nous nous retirons, comme cela a été le cas à Champforgeuil dans le Chalonnais en fin d’année. Dès lors que les territoires sont couverts par une présence médicale et que la permanence des soins est assurée, le dispositif n’a pas vocation à être pérennisé. C’est un dispositif transitoire destiné à faire la démonstration qu’avec des innovations et l’appui du département, les médecins peuvent retrouver de l’intérêt à s’installer chez nous, et c’est ce qui se passe.

Pour le mettre en œuvre, le département a monté un budget annexe, avec des recettes issues des consultations.

Au-delà de ce type d’expérimentation, les départements souhaitent-ils un nouvel acte de décentralisation ?

Oui, bien sûr, il y a encore beaucoup à faire, nos territoires bougent et nous devons être en capacité de relever les nouveaux défis hors compétences, dès lors que nous sommes les mieux placés pour apporter des solutions fiables aux populations locales, dans un délai décent.

L’échelon départemental a été consacré dans la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite « loi NOTRe »). Les départements ont été confortés dans leurs missions en matière de solidarités humaine et territoriale.

Pour mener à bien cette expérimentation, il a fallu renforcer le décret du 29 décembre 2017, par une circulaire du 9 avril 2018, relative à l’expérimentation d’un droit de dérogation au préfet.

Nous menons des travaux avec Dominique Bussereau. Nous avons mis en place une plateforme d’échanges de bonnes pratiques par le biais des ateliers de l’assemblée des départements de France. Nous souhaitons un acte de décentralisation plus fort, mais pas à la hache. Nous demandons à l’État de faire confiance aux territoires, de nous faire confiance. Nous osons l’expérimentation, à nous de prouver que ça fonctionne.

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