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Geneviève Chêne : « D’ici 2030 : prioriser des datas à hauteur d’homme et proches du niveau de décision »

Le 24 mai 2019

Directrice de l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (ISPED) de l’université de Bordeaux, Geneviève Chêne1 revient sur les enjeux de la data pour construire des indicateurs de qualité. À l’horizon 2030, ces données de santé devront être produites localement pour piloter efficacement le système de santé.

Que peut-on attendre des données de santé pour la décision publique en 2030 ?

L’approche par objectif est depuis la loi de 20042 la « norme » en santé publique en France. Ce cadre méthodologique a mis en évidence l’impact des inégalités sociales, environnementales et territoriales sur la santé. Aujourd’hui, en France, il y a 6-7 ans d’espérance de vie en moins pour un ouvrier de 35 ans par rapport à un cadre. Notre système de santé est principalement performant pour les soins, alors que les inégalités sont, quant à elles, étroitement liées à l’environnement, aux conditions de vie et au contexte socio-économique général, et se constituent avant que ne se pose la question de l’accès aux soins, en particulier dans l’enfance. Réduire ces inégalités est un objectif atteignable en agissant grâce à la prévention, bien en amont du soin, et en exploitant davantage les milliards de données des dossiers de soins et de toutes les autres sources de données pertinentes pour mieux comprendre les besoins. Dans tous les cas, la construction de nouveaux indicateurs, en particulier territorialisés, est la clé. Le plan Ma santé 2022, s’appuyant sur la stratégie nationale de santé de 2017, assume cette priorité donnée à la prévention. D’ici 2030, la priorité est donc de cibler les déterminants de santé liés à l’éducation, l’emploi, à l’environnement comme l’habitat, la mobilité ou encore les comportements comme l’alimentation, l’activité physique, ou encore la consommation de tabac ou d’alcool. Les nécessaires décisions publiques concernant ces déterminants relèvent de nombreux ministères. Une approche globale et intersectorielle des politiques publiques s’impose donc pour accroître les capacités de chacun à choisir ce qui influence favorablement sa santé car toutes les politiques ont un impact sur la santé et la santé réside dans toutes les politiques. Ce principe pourrait se décliner en évaluant systématiquement l’effet sur des inégalités sociales, environnementales et territoriales de santé de tout projet de décision publique. Une telle démarche d’évaluation doit reposer sur les meilleures données disponibles.

En quoi l’échelon territorial est-il un facteur de succès en santé publique ?

Pour améliorer la santé en engageant moins de dépenses, une ambition à l’échelon d’un territoire est puissante car on peut raisonner concrètement « à hauteur d’hommes » en fonction des services à rendre à une population. À l’échelon du territoire, les indicateurs permettent d’identifier où doivent porter les efforts et le décloisonnement entre la prévention et les soins peut y être opérant car fondé sur des réalités concrètes partagées entre acteurs des secteurs médical et médico-social. Depuis le projet régional de santé (PRS) de l’Agence régionale de santé jusqu’aux contrats locaux de santé (CLS) des municipalités. À ce titre, les collectivités locales sont encore trop insuffisamment associées à la politique de santé alors même qu’elles disposent des leviers pour intervenir sur l’état de santé de la population et sur les inégalités. Les politiques peuvent être conçues localement avec l’inter-professionnalité nécessaire. Et on peut travailler sur l’impact d’une politique, en posant des objectifs simples, de bon sens. Par exemple, l’ergonomie et les fonctionnalités de l’habitat en prévision des pertes de mobilité et d’autonomie avec l’avancée en âge. Ce qui a progressé et doit continuer à progresser, c’est donc la capacité technique à faire un diagnostic à l’échelon régional grâce aux données disponibles, les observatoires régionaux de santé ont été des acteurs majeurs de cette évolution. Ce qui a également beaucoup évolué, c’est la capacité de concertation avec les usagers grâce aux dispositifs locaux de démocratie sanitaire (CRSA, CTS).

D’ici 2030, la priorité est donc de cibler les déterminants de santé liés à l’éducation, l’emploi, à l’environnement comme l’habitat, la mobilité ou encore les comportements comme l’alimentation, l’activité physique, ou encore la consommation de tabac ou d’alcool.

Comment les données sont-elles utilisées pour construire des indicateurs et produire de la valeur ?

Il faut raisonner avec des données proches du niveau de décision, si possible d’un territoire. L’enjeu majeur pour l’utilisation des très grandes masses de données existantes, c’est la qualité et la temporalité des données. En effet, l’impact favorable sur la santé et la crédibilité des décisions dépendent de la fiabilité des données et de leur capacité à décrire la réalité d’une situation en quasi temps réel pour fonder des décisions pertinentes.

Ces exigences sont communes aux usages des chercheurs et des décideurs. Par exemple, au CHU de Bordeaux, nous avons mis en place l’entrepôt de données issu des dossiers de soins. À ce jour, cet entrepôt rassemble les données de près d’un million et demi de patients vus au moins une fois depuis 2010, soit un milliard de données structurées (par exemple, données codées du diagnostic) ou non structurées (par exemple, lettres de sortie). Comment à partir des dossiers de soins, construire des indicateurs ?

En facilitant les accès et les usages pour résoudre des problèmes ayant un impact sur la décision clinique et en santé publique. Par exemple, on peut construire les indicateurs de consommation de psychotropes chez les personnes de plus de 65 ans dans des services ciblés ou des indicateurs d’alerte pour certaines maladies. L’idée majeure de l’intelligence artificielle en santé, c’est de se fonder sur les usages et de développer des algorithmes permettant de résoudre des problèmes existants.

C’est possible pour l’hôpital mais qu’en est-il de la médecine de premier recours ?

La première étape est de passer à la donnée dématérialisée chez les médecins généralistes. Le guichet d’accès aux données doit rester dans le domaine public, avec un fort ancrage régional, au plus proche des « producteurs » de données qui connaissent bien les modalités de collecte et aussi leurs limites. L’enjeu 2030, ce sont les organisations innovantes pour la prise en charge des maladies chroniques, par exemple pour prévenir les ruptures de parcours. Cela se joue à l’échelon territorial. Pour innover, il y a un enjeu fort de recherche et un enjeu fort de formation. La recherche doit être « contextualisée » aux conditions du territoire et évaluer les innovations préventives, technologiques ou organisationnelles en s’associant fortement au milieu hospitalier tout en ayant une forte coordination entre acteurs du parcours de santé. Cela ouvre également sur des enjeux de formation car la transformation du système de santé n’est possible qu’en s’appuyant sur ses opérateurs clés et en les accompagnant dans leur propre transformation. Là encore, une approche territoriale au plus près des besoins de formation des acteurs sur les nouveaux métiers, par exemple de la coordination et du management en santé sera un facteur clé de réussite.

  1. Avec l'aide de Linda Cambon, titulaire de la chaire prévention de l'ISPED, de Matthieu Sibé et du Pr François Alla, université de Bordeaux.
  2. L. no 2004-806, 9 août 2004, relative à la politique de santé publique promulguée, affirmant la responsabilité de l'État qui fixe des objectifs pluriannuels d'amélioration de santé de la population et définit des orientations stratégiques dans des domaines jugés prioritaires.
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