Cédric Lussiez, directeur du centre hospitalier d’Arpajon

Cédric Lussiez
Le 2 juillet 2018

Membre du Governing Council de la Fédération internationale des hôpitaux, Cédric Lussiez* dirige depuis 2014 le centre hospitalier d’Arpajon (390 lits, 60 millions d'euros), représentatif des hôpitaux de taille moyenne. Il réagit pour Horizons publics sur des faits de l'actualité récente, dans le secteur de la santé publique.

La place des personnes âgées dans notre société

Dans un avis rendu public le 16 mai1, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) affirme que la société confine « des personnes âgées dans des “lieux de vie” souvent violents et parfois même maltraitants ». Il propose la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale et « de nouvelles formes d’accompagnement » pour les plus âgés et les plus fragiles. Quel regard portez-vous sur cet avis ?

« Si certaines expressions peuvent être discutées, notamment parce qu’elles conduisent parfois à jeter une forme d’opprobre sur les personnels des EHPAD qui effectuent au quotidien une mission difficile avec un dévouement remarquable, il est, à mon avis, indéniable que les EHPAD souffrent d’un manque de moyens humains, qui entraîne des prises en charge parfois médiocres. La raison en est, qu’à la différence du handicap ou de l’hospitalisation, où s’exerce une véritable solidarité nationale, le « reste à charge » pour les familles reste très important, et largement supérieur au niveau des pensions. Paradoxalement, la situation ne cesse de s’aggraver du fait de la réussite des politiques de maintien à domicile, qui concentre des résidents de plus en plus malades et de plus en plus dépendants dans les EHPAD, sans que les moyens, en termes d’encadrement humain, aient suivi. La création d’un véritable cinquième risque est un « serpent de mer » depuis plus de vingt ans. On ne peut que se féliciter de sa mise en place, si elle s’accompagne de véritables ressources financières nouvelles, ce qui ne semble pas acquis. »

Le virage numérique de la santé, une tendance à VivaTech 2018

La troisième édition du salon VivaTech, la grand-messe des innovateurs, s’est tenue du 24 au 27 mai à Paris dans un marché en pleine ébullition de l’innovation et des start-up. Que retenez-vous de cette édition en matière d’innovation, notamment en matière de santé ?

« Dans la continuité des dernières éditions, c’est le virage numérique qui domine les réflexions, avec la multiplication d’outils de télémédecine et d’applications visant à suivre des maladies chroniques à domicile, ainsi que par des solutions industrielles visant à faciliter l’usage des dossiers médicaux par tous les intervenants des filières de soins. De nombreuses start-up ont surgi en quelques années, et commencent à s’imposer dans des domaines comme la prise de rendez-vous en ligne (Mondocteur, Doctolib, etc.), la gestion des remplacements (Medgo, Whoog, etc.) ou le lien ville-hôpital. »

La transformation des hôpitaux

Agnès Buzyn, la ministre des Affaires sociales et de la Santé, a ouvert les travaux de la stratégie de transformation du système de santé. Quels sont les enjeux pour les hôpitaux ?

« Cinq chantiers ont été ouverts par la ministre : qualité et pertinence des soins, financement et rémunération, numérique, ressources humaines et formation, organisation territoriale. Ces chantiers font l’objet d’une vaste concertation à laquelle sont associés les représentants des fédérations professionnelles, dont celles du monde hospitalier. Ils sont en fait extrêmement liés. Il est par exemple difficile de séparer la réforme du financement, avec l’introduction d’incitations à la qualité des parcours des patients (payement à l’épisode de soins) de l’évaluation de la qualité et de la pertinence des soins, qui est le principal levier d’efficience pour un système de santé dont les besoins croissent naturellement plus vite que le PIB. Pour un hôpital, l’enjeu est de se saisir de ces opportunités pour rendre plus fluides les parcours des patients en valorisant des démarches de prévention alors que le modèle dominant reste très curatif, et source de nombreux effets pervers. L’une des principales limites concrètes pour les hôpitaux, comme pour la médecine libérale, est la difficulté de réguler la démographie des médecins, avec l’apparition de « déserts sanitaires » toujours plus vastes. Avec une médiane de près de 55 ans pour les médecins en activité, un numerus clausus maintenu très longtemps très bas et compte tenu des aspirations des jeunes générations de médecins, tous les professionnels restent inquiets sur la capacité du système de santé à répondre demain aux attentes d’une population vieillissante et à l’explosion des maladies chroniques. On attend ainsi un doublement en 20 ans de la prévalence du diabète, de l’insuffisance rénale, respiratoire et cardiaque. »

L’avenir des urgences

Le décès médiatisé d’un patient à la suite d’une erreur de régulation au SAMU de Strasbourg en mai dernier a de nouveau attiré la situation sur l’état des urgences dans les hôpitaux. Qu’en pensez-vous ?

« Au-delà d’une erreur individuelle dramatique, il faut surtout noter l’augmentation continue des passages aux urgences comme des appels au 15, qui varie entre 5 et 10 % par an depuis la fin des années quatre-vingt. L’affaiblissement continu de la permanence des soins en médecine libérale contribue à ce phénomène, comme l’évolution des prises en charge et une forme de « consumérisme ». Cette augmentation mobilise des ressources de plus en plus importantes dans les hôpitaux, et concentre en un lieu unique beaucoup des détresses de la société. Elle génère des tensions permanentes, une augmentation continue des temps d’attente et sanctionne une forme d’échec collectif sur notre capacité à organiser notre système de soins. L’Allemagne compte 40 % de passages aux urgences par habitant de moins que nous. Il est sans doute illusoire de revenir à la situation antérieure mais on doit promouvoir des initiatives originales. À titre d’exemple, dans l’hôpital que je dirige, nous construisons un nouveau bâtiment pour les urgences qui comportera un service réservé aux médecins de ville, qui bénéficieront d’un accès à l’imagerie et à la biologie pour mieux traiter leurs patients. L’hôpital ne doit pas prendre la place des médecins libéraux et des acteurs des soins primaires, mais seulement leur servir de recours, si on veut que les Français continuent à bénéficier d’un des meilleurs systèmes de santé du monde. »

La prise en charge ambulatoire des patients

Le « virage ambulatoire », espéré par l’Assurance maladie pour réduire les coûts, va-t-il profondément affecter l’offre de soins ?

« Oui, en chirurgie, car les indications à une chirurgie ambulatoire, donc sans nuit passée à l’hôpital, ne cessent de croître. Un taux global de 70 % à l’échelle du pays, et de 60 % pour les hôpitaux publics, est envisageable à une proche échéance. Les espoirs suscités par le « virage ambulatoire » en médecine me semblent en revanche beaucoup plus excessifs, car ils concernent avant tout des prises en charge spécifiques comme les chimiothérapies. Les services de médecine reçoivent de plus en plus de personnes très âgées, souvent isolées, arrivant hélas par le biais des urgences, ce qui complique leur prise en charge. Il est très difficile d’imaginer des prises en charges ambulatoires pour ces patients. »

Le bilan des GHT

Les Groupements hospitaliers de territoire (GHT) ont été créés il y a deux ans et demi. Quelles leçons peut-on commencer à tirer de ce regroupement qui portait beaucoup d’espoirs ?

« Les GHT sont encore récents, et restent des structures assez lourdes du fait de leur gouvernance, mais on en mesure déjà les premiers effets positifs. À titre d’exemple, mon hôpital a pu développer des prises en charge ORL, cardiologiques et cancérologiques grâce à des médecins recrutés au niveau territorial, au bénéfice des patients qui étaient auparavant confrontés à une forme de rationnement des soins. À l’échelle nationale, les GHT permettront donc une certaine rationalisation de la carte hospitalière en positionnant chaque hôpital dans un réseau, garantissant l’égal accès des Français à des soins de qualité, quel que soit leur lieu d’habitation. »

*Cet ancien élève de l’EHESP, est diplômé de Sciences Po Paris, et titulaire d’une maîtrise d’histoire (Paris IV) et d’un DEA d’économie appliquée. Après avoir exercé comme directeur adjoint au centre hospitalier sud francilien et au centre hospitalier de Gonesse, il est devenu en 2006 directeur de cabinet du délégué généralet du président de la Fédération hospitalière de France (FHF).

Un centre hospitalier de taille moyenne

Avec 390 lits et 60 M€, le centre hospitalier d’Arpajon est l’établissement de référence de la communauté d’agglomération, nommée « Coeur d’Essonne » (180 000 habitants). Il est représentatif des hôpitaux de taille moyenne appelés à réorganiser leur offre de soins dans le cadre des GHT instaurés par la loi de santé de 2016.

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