Coralie Lemke :  « Les données de santé peuvent tomber dans les mains d’entités qui n’ont rien à voir avec la médecine »

Coralie Lemke
Le 22 février 2022

Journaliste spécialisée en santé pour Sciences et Avenir depuis 2019, Coralie Lemke nous alerte sur la fuite de nos données médicales vers des acteurs qui n’ont rien à voir avec la médecine (GAFAM, traders de données, cybercriminels) dans son livre Ma santé, mes données. Comment nous semons nos informations les plus précieuses et pourquoi elles sont si convoitées. (Premier Parallèle, 2021).

Pourquoi les données de santé sont-elles si précieuses ?

Les données médicales sont devenues une manne au niveau mondial, le carburant pour faire avancer la recherche. Grâce à leur capacité d’analyse massive des données, les algorithmes parviennent, par exemple, à identifier des métastases avec plus de 99 % de succès, surpassant les performances des radiologues.

Comme un peigne fin dans un amas de données, les algorithmes détectent les gènes responsables de certains cancers ou les anomalies de notre ADN à l’origine de maladies rares.

Les algorithmes, associés au séquençage de l’ADN et à la démocratisation des ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 (un outil qui permet de découper et réparer les gènes), révolutionnent la prise en charge des patients et la détection des maladies.

Ma Santé Mes données

Qui sont ces nouveaux acteurs à l’affût de nos données de santé ?

Protégées par le secret médical, les données médicales ne franchissaient autrefois pas la porte des cabinets de médecins.

Aujourd’hui, avec l’accélération du numérique, nous les dispersons, avec une facilité déconcertante et sans nous en rendre compte, dans tous nos actes de la vie quotidienne (carte vitale, réseaux sociaux, Doctolib, site Internet, etc.).

Elles peuvent tomber dans les mains d’entités qui n’ont rien à voir avec la médecine, intéressées par leur valeur marchande, comme les GAFAM, les traders de données, les acteurs de la tech ou encore les cybercriminels. Le dommage immédiat ? Une mise à mal de notre vie privée.

Quel regard portez-vous sur le Health Data Hub (HDH), le projet de centralisation de toutes nos données médicales, qui vient de connaître un coup d’arrêt début janvier 20221, à la suite de la polémique sur le stockage des données confié à Azure, la filiale cloud de Microsoft ?

Le HDH est maintenant suspendu aux résultats de l’élection présidentielle d’avril 2022. Théoriquement, nos données de santé ont pu fuiter en toute légalité aux États-Unis. Pourtant, bien utilisé, le HDH permettrait de faire avancer la recherche dans des domaines médicaux extrêmement variés.

Extrait : Un trésor français (p24-25)

Si ces données sont si précieuses, où sont-elles stockées ? En France, il existe de nombreuses bases de données aux acronymes barbares, dont chacune possède ses spécificités. Accrochez-vous. Toutes sont chapeautées par un organisme commun, le Système national des données de santé (SNDS). Le Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (SNIIRAM) est un entrepôt de données anonymes alimenté par les remboursements
effectués par l’Assurance maladie. Chaque profil de bénéficiaire mentionne son âge, son sexe, son lieu de résidence, la date des soins, les médicaments et dispositifs médicaux délivrés, les prélèvements biologiques et actes techniques réalisés, les montants remboursés, une couverture maladie universelle (CMU) s’il y a lieu, une éventuelle affection de longue durée (ALD) ou maladie professionnelle et enfin, le cas échéant, sa date de décès.

Le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) regroupe, lui, les données des hôpitaux et des autres établissements de santé. Il comprend les diagnostics, les actes médicaux réalisés et la durée de l’hospitalisation d’un patient, son âge, son sexe, son mode d’entrée et de sortie et son décès éventuel. Enfin, la Base de données sur les causes médicales des décès (BCMD) permet depuis 1968 de classifier les causes de décès en France et comprend également des informations telles que le lieu de décès ou une grossesse. À terme, le Système national des données de santé comportera deux autres bases : les données « médico-sociales » des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et un échantillon représentatif des données de remboursement par bénéficiaire transmis par les mutuelles.

Lemke C., Ma santé, mes données. Comment nous semons nos informations les plus précieuses et pourquoi elles sont si convoitées, 2021, Premier parallèle.

  1. Une demande d’autorisation cruciale formulée auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour récupérer les données du Système national des données de santé (SNDS) et d’une quarantaine d’autres bases de données, a été retirée par le Health Data Hub le 10 janvier 2022.
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