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L'impact des nouvelles technologies dans les relations entre les employeurs publics et les organisations syndicales

Le 9 juillet 2018

Les syndicats sont en première ligne pour faire vivre le dialogue social, dans le secteur privé comme public. Comme les autres corps intermédiaires, leur rôle et leur place sont réinterrogés dans une société numérisée. Les smartphones, les tablettes, les plateformes d’échanges sont devenues des outils incontournables dans les relations sociales entre partenaires sociaux. Le numérique s’est clairement invité à la table du dialogue social, mais, selon la CFDT fonctions publiques, il ne remplacera pas le travail de proximité auprès des agents publics, ni la culture de la négociation, indispensables pour défendre de meilleures conditions de travail.

Par l’UFFA-CFDT (CFDT fonctions publiques)1

Résumé

Les relations sociales dans le secteur public se déroulent aujourd’hui dans les instances représentatives (comité technique, commission administrative paritaire, CHSCT). Elles sont également le fruit de rencontres moins formelles, d’échanges quotidiens et réguliers avec les agents publics. Selon la Confédération française démocratique du travail (CFDT), le numérique a eu plusieurs bénéfices : un gain de temps et d’efficacité dans la transmission des informations entre partenaires sociaux et une meilleure information des agents publics. Ces outils permettent de mieux préparer les instances, de passer moins de temps dans le traitement et la gestion administrative des dossiers et de se concentrer sur les cas les plus urgents.

Par ailleurs, l’usage en réunion de smartphones ou de tablettes est devenu monnaie courante permettant des échanges réguliers entre partenaires, la consultation en direct de documents dématérialisés et la vérification instantanée d’informations. Ces outils technologiques peuvent aussi faciliter les échanges entre participants pour mettre au point une stratégie d’intervention, là ou avant il aurait fallu interrompre une séance.

L’impact du numérique a donc eu une incidence sur les pratiques des partenaires sociaux, mais, selon la CFDT, ces nouveaux outils n’ont pas modifié en profondeur la nature du dialogue social. Celui-ci repose toujours et fortement sur les relations interpersonnelles directes entre les parties, la culture de la négociation et la force de la proximité, garanties par les corps intermédiaires. Les organisations syndicales sont en premiére ligne pour faire vivre ce dialogue social. Elles ont toujours utilisé les moyens de communication de leur époque, de la vielle Roneo au courrier électronique et aux réseaux sociaux d’aujourd’hui. Elles ne sont pas court-circuitées par le numérique et jouent encore un rôle essentiel dans le monde du travail et la société. Dans un entretien, Mylène Jacquot, secrétaire générale de l’UFFA-CFDT, estime qu’il faut tordre le cou au mythe de la démocratie directe, sans intermédiaires.

Historiquement, les relations entre les employeurs publics et les organisations syndicales sont régies par des textes propres à la fonction publique qui consacrent l’existence d’instances officielles constituées sur la base d’élections ou de désignation et dont le rôle est de permettre les échanges, de recueillir des avis ou valider des propositions. Les relations sociales sont aussi faites de rencontres informelles à divers moments selon les sujets et l’actualité. Car finalement, les instances ne sont que le lieu de la formalisation d’un dialogue social dont l’essentiel réside – où devrait résider – ailleurs : dans la concertation et même mieux, dans la négociation.

Dans les instances, la base de travail la plus courante est constituée de projets de texte ou de documents préparatoires produits par les administrations et diffusés aux organisations syndicales selon des procédures bien établies.

On peut dire que l’informatique et les réseaux intranet des administrations ont amélioré la qualité de ces documents par l’utilisation de logiciels de traitement de texte ou de tableurs mais aussi facilité la transmission aux représentants syndicaux. L’informatique a parallèlement favorisé les va-et-vient entre administration et organisations syndicales du fait de la rapidité de l’envoi par courrier électronique ou par les plateformes de téléchargement.

SMS, réseaux sociaux, plateforme d’échange, etc., des outils incontournables aujourd’hui dans les relations sociales

Depuis quelques années sont apparus d’autres vecteurs de communication qui ont encore accentué la rapidité de circulation de l’information entre les partenaires sociaux mais aussi directement avec les agents concernés ou les adhérents des organisations syndicales. SMS, réseaux sociaux, plateforme d’échange en tout genre ont rapidement conquis l’espace pour devenir des outils incontournables dans les relations sociales.

L’usage en réunion de smartphone ou de tablettes est devenu monnaie courante, ils permettent des échanges permanents entre partenaires, la consultation en direct de documents dématérialisés, la vérification instantanée d’informations, voire des échanges entre participants pour caler une stratégie d’intervention, là ou avant il aurait fallu interrompre une séance.

Si l’on ne peut pas nier leur impact sur les pratiques, en revanche, on ne peut pas affirmer avec certitude que le recours à ces nouveaux outils aurait modifié en profondeur la nature du dialogue social qui repose toujours et fortement sur les relations interpersonnelles directes entre les parties. Nous pouvons donner quelques exemples illustrant ces évolutions.

L’impact du numérique dans les instances du dialogue social

Si l’on prend le cas des Commissions administratives paritaires (CAP), chargées de traiter des sujets individuels dans les carrières des agents (mutation, avancement, changement de grade, disponibilité, etc.), les nouvelles technologies ont permis d’effectuer des opérations beaucoup plus abouties et complexes notamment pour prendre en compte davantage de critères (barèmes de mutation, tableaux d’avancement, etc.).

La puissance des algorithmes permet le traitement simultané de très nombreuses informations, ce qui n’aurait jamais été possible manuellement. La forme des fichiers facilite leur exploitation par les organisations syndicales et rend l’expertise plus fine et pertinente. Cela représente incontestablement un gain de temps pour les représentants syndicaux, ainsi que pour les services RH.

Le temps ainsi dégagé permet de développer le travail en lien avec les agents qui ont sollicité les militants, de mieux expliquer les procédures, d’anticiper les étapes suivantes d’un parcours professionnel dont l’agent peut ainsi devenir acteur.

Sur les comités techniques (CT) – dont les attributions sont définies par la loi –, les nouvelles technologies ont rendu plus facile les interactions entre les administrations et les représentants des personnels, notamment dans les procédures d’amendements aux textes mis en débat. La normalisation des supports garantit la cohérence et facilite le traitement de l’information. Peut-on pour autant en conclure que le dialogue social est augmenté par l’intermédiaire des nouvelles technologies ? Si la rapidité des échanges, le nombre d’informations gérables et la qualité des supports permet d’avoir des contenus largement améliorés et plus exploitables que par le passé, ce n’est pas pour autant que la qualité du dialogue social s’améliore. Elle est toujours indexée sur la volonté de chaque côté de la table de s’entendre et de s’accorder, voire d’aboutir à un accord au bout d’une négociation.

Plus généralement, la force d’une organisation syndicale demeure son maillage de militants, d’élus et de représentants travaillant au plus près des agents et partageant leur quotidien. Les organisations ont toujours utilisé les moyens de communication de leur époque, de la vielle Roneo au courrier électronique et aux réseaux sociaux d’aujourd’hui. Les technologies de l’information et de la communication ne nous semblent pas avoir modifié leur rôle et leur place dans le monde du travail et la société.

Mylène Jacquot : "il faut tordre le coup au mythe de la démocratie directe"

Mylène Jacquot est secrétaire générale de l’UFFA-CFDT1.

Gain de temps et d’efficacité, meilleure diffusion de l’information auprès des agents, le numérique permet de réduire les temps de réunion et de se concentrer sur l’examen de dossiers délicats lors des instances. Mais, selon la secrétaire générale de l’UFFA-CFDT, le numérique ne remplacera jamais la proximité, les échanges au quotidien avec les collègues sur le lieu de travail.

Les technologies de l’information et de la communication vont-elles court-circuiter le dialogue social ?

Le dialogue social, à l’instar de ce qui se passe dans la société, s’est adapté aux technologies de l’information et de la communication. La dématérialisation de l’information a réduit le travail des représentants syndicaux et des élus du personnel. Quand hier, un mouvement de mutation dans une administration pouvait représenter plusieurs mètres de papier, aujourd’hui il tient sur une clé USB. De même, l’information des agents concernés a été grandement facilitée et accélérée. Cela a d’ailleurs permis aux services RH d’assurer cette information, auparavant laissée aux organisations syndicales. C’est ainsi que bon nombre de CAP ont réduit considérablement leur temps de réunion, pouvant mieux se concentrer sur l’examen des cas difficiles.

S’agissant du dialogue social abordant les sujets collectifs, nous bénéficions de documents d’analyse de meilleure qualité qui peuvent faciliter un meilleur partage du bilan. C’est évidemment le cas en matière de rémunération ou d’emploi. Pour autant, quand il faut passer à la phase des solutions, la confrontation de nos revendications avec les marges de manœuvre des administrations et du gouvernement, le numérique n’a pas fait changer les choses.

Dans les relations informelles hors des réunions classiques, l’usage du courriel et surtout du téléphone portable a pu accélérer les échanges débordant d’ailleurs sur les horaires de présence habituelle au bureau. Cela peut permettre de lever rapidement des ambiguïtés, par exemple par rapport à une intervention médiatique malencontreuse de tel ou tel responsable politique. Mais cela reste marginal.

Lors des périodes de fortes tensions, conflit ou négociation difficile, le téléphone portable permet de communiquer rapidement et discrètement via les SMS. Mais, hier, on utilisait d’autres moyens, le petit billet qui circulait autour de la table ou des rencontres discrètes dans ou telle brasserie. Sur le fond, en revanche, peu de chose a changé.

En réalité, ces nouveaux moyens de communiquer ne remplacent pas le contact direct. À certains moments, rien ne peut se substituer au contact et à l’échange direct, multilatéral et bilatéral, entre les responsables administratifs ou politiques et les représentants syndicaux.

Que pensez-vous de l’apport des nouvelles technologies en matière de consultation des agents ?

On évoque beaucoup l’idée d’une consultation directe des salariés que faciliteraient les nouvelles techniques. Les organisations syndicales se sont toujours tournées vers leurs adhérents ou l’ensemble des personnels sous forme par exemple de questionnaires à remplir manuellement. Avec plus ou moins de succès. Il ne semble pas que le passage au numérique ait amélioré le succès de ce procédé. Il en est de même des pétitions. On peut aujourd’hui multiplier les pétitions en ligne, mais cela ne multipliera pas le nombre de signataires.

Il faut tordre le cou au mythe de la démocratie directe qui voudrait que les agents aient un avis sur tout et voudrait l’exprimer à tout instant. Les agents demeurent confiants envers leurs représentants syndicaux auxquels ils délèguent le soin de défendre leurs intérêts. Face à la complexité croissante des dossiers, on les comprend. C’est donc aux organisations syndicales d’apprécier au cas par cas, aujourd’hui comme hier, quand il faut consulter les agents directement. Les syndicats ont des organisations internes que permet le débat et, au bout du compte, prennent des décisions qu’appliqueront les représentants élus.

Pour revenir à la consultation des personnels, l’opération du gouvernement proposant une consultation directe sur une plateforme internet des agents de la fonction publique et des usagers appelée « forum de l’action publique » a montré ses limites tant en participation qu’en propositions.

La CFDT n’est pas, a priori, opposée à la consultation des agents par les employeurs publics sous réserve que cela n’ait pas comme objectif de contourner les organisations syndicales. Le dialogue a besoin de respect et de confiance.

En quoi les réseaux sociaux peuvent modifier le dialogue social ?

La CFDT fonctions publiques et ses fédérations ont investi les principaux réseaux sociaux. Nous avons même mis au point des formations pour nos militants. Mais nous considérons qu’il s’agit d’un outil de communication supplémentaire et complémentaire. Il ne substitue aucunement au support papier qui conserve sa supériorité pour aller à la rencontre des agents sur leur lieu de travail.

Et surtout, la présence sur les réseaux sociaux ne peut en rien se substituer à la proximité, elle ne remplacera pas les échanges avec les collègues sur les lieux de travail. En revanche, elle doit être un moyen de toucher des collègues qui ne viendrait pas vers nous autrement, elle est un moyen d’échanges et de prises de contact directs, et aussi un amplificateur à nos actions de terrain.

Face au gouvernement et aux ministres qui utilisent beaucoup les réseaux sociaux, notamment Twitter, nous devions nous aussi y être présents. Qu’on se rassure, ce n’est pas demain que nous engagerons une discussion avec les ministres par tweets qui se substituerait aux instances traditionnelles.

Le dialogue social pourrait-il se dérouler sans l’intermédiation des représentants du personnel légitimement élus ?

On peut penser que le gouvernement actuel serait tenté d’essayer. Mais après quelques mois, la réalité pourrait le ramener à davantage d’écoute des organisations représentatives des agents. Notre légitimité n’est plus fondée sur la loi mais bien sûr les voix recueillies aux élections professionnelles. Et notre nombre d’adhérents, notre implantation large dans les administrations, collectivités, établissements fait aussi notre légitimité à porter quotidiennement la parole de nos collègues.

Pour mémoire, le forum de l’action publique initié par le gouvernement a recueilli 17 000 réponses quand notre enquête « Parlons travail » en avait recueilli 200 000… Jamais notre organisation n’a contesté cette initiative gouvernementale, nous aurions été bien malvenus de la faire. Mais nous alertons depuis de nombreux mois sur la nécessaire articulation entre démocratie directe, démocratie politique et démocratie sociale. Aucun pouvoir ne peut s’exercer durablement ni contre ni sans les corps intermédiaires, car le dialogue social est aussi le lieu de l’expression du désaccord, du constat de ce désaccord, de son analyse et donc de son dépassement grâce à la construction de solutions collectives et partagées. Mais pour cela, encore faudra-t-il que le gouvernement accepte de passer de la concertation à la négociation. C’est surtout cela qui fera un dialogue social augmenté, qui ne néglige rien des avancées technologiques dans le quotidien des agents et ni dans notre quotidien de syndicaliste.

1. L’UFFA-CFDT (la CFDT fonctions publiques) a été créée en 1973. Depuis cette date, l’union des fédérations de fonctionnaires et assimilés (UFFA), est composée des dix fédérations CFDT ayant dans leur champ des agents publics relevant du statut du fonctionnaire pour l’État, la territoriale et l’hospitalière.

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