À Sciences Po, l’innovation au service… de l’innovation

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Le 5 février 2019

Les étudiants de master 2 de Sciences Po ont la possibilité de suivre un programme de fin d’études dédié à l’innovation dans les politiques publiques. Une véritable formation où les cours magistraux et les travaux dirigés ont fait place à un… incubateur maison.

« Nous n’avons pas la capacité d’incuber Facebook mais former Mark Zuckerberg, ça on sait faire [sic] ! » : en quelques mots Adeline Braescu-Kerlan résume la logique qui sous-tend l’incubateur de politiques publiques dont elle est responsable. Un incubateur fonctionnant dans le cadre de l’École d’affaires publiques de Sciences Po, lancé en janvier 2017 et qui a quelque peu évolué depuis. Aujourd’hui, c’est un programme de formation proposé aux étudiants titulaires d’un bachelor qui ont intégré l’École d’affaires publiques pour suivre un enseignement de type master 1 et 2 (1 400 étudiants concernés).

Si ces étudiants qui arrivent disposent d’une excellente formation de base, explique en substance la responsable, elle se situe cependant « un peu loin » des problématiques d’innovation publique, « or, nous formons des décideurs », lesquels doivent également faire preuve de créativité. Via l’incubateur, ils vont ainsi tester les méthodologies d’innovations afin d’être en mesure, par la suite, de les répliquer tant dans le secteur public que privé. « Nous nous intéressons davantage aux moyens qu’aux résultats », insiste Adeline Braescu-Kerlan, la mise en place d’un prototype étant moins importante que le fait d’être formé solidement.

Ouvertures sur l’extérieur

Concrètement, l’incubateur fonctionne dans une logique d’écosystème, lors du semestre hors les murs des étudiants en deuxième année de master. Il s’agit pour eux de répondre à des « défis » proposés par plusieurs interlocuteurs en s’appuyant, le cas échéant, sur des structures externes.

Aux étudiants de 1re année sont proposés des cours optionnels et des ateliers dédiés : entrepreneuriat, design thinking, etc. Cette année, trois thèmes ont été définis : vieillissement (améliorer la qualité de vie des usagers du 4e âge), mobilité (définition d’un « modèle de mobilité à la française ») et Jeux olympiques de 2024 (constitution et pérennisation de l’héritage immatériel suite aux Jeux olympiques).

Chaque défi est porté par un groupement de partenaires ayant intérêt à agir sur le sujet. Par exemple, sur le vieillissement sont associés la Mutualité française, la ville de Nice et des experts, tels que Jérôme Guedj (ex-député, haut fonctionnaire), Philippe de Normandie (MNH Group), Régis Aubry (Observatoire national de la fin de vie), etc. Quant aux étudiants, après un stage de d’immersion chez un des partenaires, ils s’attachent à reformuler un défi concret par une question à laquelle ils répondront sous forme d’un prototype.

Des réalisations concrètes

Comme l’explique Adeline Braescu-Kerlan, l’année dernière les étudiants ont ainsi planché sur la manière d’améliorer le taux de non-recours au RSA, d’environ 40 %, très problématique humainement et en termes de politique publique. Après leurs entretiens avec des experts, ils en ont identifié trois principales raisons : déficit d’information de la part des usagers, complexité administrative empêchant d’aller au bout des aides, refus pur et simple (personnes n’estimant pas devoir en bénéficier). S’attaquant aux deux premières causes, ils ont, pour la première, développé un jeu vidéo avec franchissement de paliers, ciblant ces adolescents qui jouent le rôle d’intermédiaires avec les familles. Cette « sortie des clous » de la communication traditionnelle a bien fonctionné. Pour lutter contre la complexité administrative, bien souvent rédhibitoire pour les intéressés, les étudiants ont mis au point un algorithme permettant aux travailleurs sociaux d’accéder, non pas à la demande particulière formulée par une personne venue postuler, mais à la liste complète des aides auxquelles elle a droit. Dans les deux cas, le non-recours au RSA est traité sous l’angle du « mieux informer ».

Toujours, dans cette logique d’écosystème, ils se sont associés avec des élèves de l’École 42, créée notamment par Xavier Niel (fondateur de Free) et dont l’une des caractéristiques est qu’il ne s’y dispense ni cours magistraux ni travaux pratiques, dans une logique pédagogique dite « de pair à pair ». Ceux-ci n’ont pas été enrôlés comme les simples partenaires « geek » de l’opération mais ont véritablement participé à la définition du projet, dans le cadre de leur programme MATRICE. Quant à la prochaine promotion ayant opté pour l’incubateur, elle travaillera avec un nouveau partenaire qui va succéder à l’École 42. Une trentaine d’étudiants y sont attendus, répartis en six groupes de cinq, soit un groupe par projet, chaque thématique étant traitée par le biais de deux projets. La sélection des élèves, tout comme la signature avec le nouvel acteur, est en cours.

Adeline Braescu-Kerlan : « L'innovation est une formation à part entière »

Adeline Braescu-Kerlan est responsable de l'Incubateur des Politiques Publiques à Sciences Po.

Le fait que ce semestre passé au sein de l’incubateur soit l’équivalent d’un stage ou d’un mémoire montre bien l’importance accordée par Sciences Po à l’incubateur, explique Adeline Braescu-Kerlan : « C’est un programme ambitieux sur lequel Sciences Po a vraiment investi. » Par exemple, les étudiants ont pu s’appuyer sur des kits méthodologiques ; ils ont été suivis par des coachs à raison de quatre heures par semaine. Tous ne rejoindront pas forcément le secteur public mais ils auront la possibilité de mettre à profit, voire de capitaliser (pour une start-up, explique Adeline Braescu-Kerlan, par exemple), des travaux et des réflexions initiées au cours de ce cursus. En tout cas, précise Adeline Braescu-Kerlan, à partir de 2018, la propriété intellectuelle des « process » élaborés dans ce cadre appartient aux étudiants.

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