Service civique : de l'engagement citoyen à une vitrine des métiers du secteur public ?

Service civique jeunes
Les jeunes en Service Civique dans le secteur public représentent désormais 37,9% des jeunes volontaires engagés chaque année, soit environ 55 000 jeunes.
©DR - Unis-Cité - Agence du Service civique
Le 21 octobre 2022

Les initiateurs de l'enquête Unis-Cité1 "sur le service civique dans les services publics : état des lieux et bonnes pratiques", présentée le 3 octobre 2022, se sont délivrés une sorte de satisfecit au vu de certains éléments tout en reconnaissant des points noirs tels que le peu d'implication des collectivités territoriales (mais que fait par exemple l'ANCT2 pour faire connaître le service civique ?), la reconnaissance des agents qui accompagnent les jeunes ou encore, point crucial, le défaut d'une loi de programmation pour donner une réelle visibilité dans le temps et un élan mobilisateur. En 2021, 143 000 jeunes ont certes effectué un service civique mais sur une classe d'âge de... 800 000 jeunes !

Côté satisfecit,  il ressort de l'enquête que 92% des jeunes qui effectuent ce service3 se sont déclarés "satisfaits" ou "très satisfaits" de leurs missions dans les services publics. Les pratiques tels que les week-end d'intégration et de bilan, le fonctionnement en équipe ou en binôme des jeunes, les groupes d'échanges sur les réseaux sociaux, leur accompagnement par des tuteurs, le fait qu'on leur confie de véritables missions, les débats organisés sur des sujets citoyens tels que l'égalité hommes/femmes, les violences faites aux femmes etc. concourent à ce plébiscite des jeunes que fait ressortir l'enquête.

Deux jeunes diplômés universitaires qui avaient effectué leur service civique étaient d'ailleurs venus témoigner pour appuyer la véracité de ces résultats. Même si Béatrice Angrand, Présidente de l'Agence du Service Civique a affirmé que ce dispositif accueillait beaucoup de non-diplômés, il aurait précisément été souhaitable d'en faire témoigner au moins un !

L'envie du terrain, après un parcours universitaire sans trop savoir ce qu'ils allaient faire à la fin de leurs études, les a motivé pour rejoindre le service civique effectué dans les deux cas en collectivités territoriales. A la ville de Marseille le service Ressources humaines a par exemple veillé à ce que l'on ne confie pas des tâches de stagiaires au jeune qui, à l'issue de son service civique, s'est vu proposé un contrat en alternance avec reprise d'études. L'autre jeune qui a effectué son service civique en région parisienne a participé au développement d'ateliers sportifs et citoyens destinés à des personnes de tous âges -y compris des enfants- ce qui demandait de la rigueur pour planifier et assurer ces ateliers. Cette expérience lui a permis d'acquérir prise de confiance et assurance notamment grâce à la tutrice qui l'encadrait : "Pendant 7 mois, durée du service civique en question, il faut être disponible pour le suivi, l'écoute au quotidien des jeunes qui travaillent avec nous. Mais c'est aussi un enrichissement pour nous, agents, tant en, termes d'innovation, de créativité, que d'envie de faire des propositions. La remise en question est permanente qu'il s'agisse de management ou dans la manière d'appréhender les sujets", a expliqué la tutrice.

A cet égard plusieurs intervenants ont souligné la nécessité de valoriser les tuteurs et les référents en organisant leur formation, ainsi que celle des responsables de structures tels que les chefs de bureau ressources humaines des préfectures, en prenant en compte cette tâche d'accompagnement dans l'évaluation annuelle et en versant une prime car : "cette reconnaissance est un point crucial dans la qualité d'accueil des jeunes effectuant le service civique", a estimé Alain Régnier, Délégué interministériel à l'intégration et à l'accueil des réfugiés.

Ces questions de reconnaissance des agents et d'organisation des services expliquent peut-être pourquoi les collectivités territoriales sont si peu impliquées, alors que le secteur public accueille désormais 43 % des jeunes effectuant le service civique. Une réalité que certains intervenants, à l'image de Béatrice Angrand, ont déploré alors que les champs d'interventions et les valeurs telles que solidarité intergénérationnelle, culture, handicap sont pourtant communes. Par ailleurs, si le service civique est "une école de la citoyenneté pour les jeunes, il l'est tout autant pour les services publics, et notamment pour la relation avec les usagers avec lesquels cela permet de cultiver une relation horizontale", estime Jean-François Serres, membre du Comité éditorial d'experts et co-rapporteur de l'étude du CESE sur le service civique publiée en 2017. "Un service public qui n'associe pas un public à son service est amputé", a renchéri Martin Hirsch, ancien directeur général de l'AP-HP et président de l'Institut de l'engagement.

Cette relation avec les usagers est d'autant plus importante alors que l'e-administration met à mal, voire fait disparaître, pour de nombreux citoyens, une relation de proximité avec les services publics, que précisément, les collectivités territoriales souhaitent, elles, préserver. Il aurait donc été intéressant de mettre à jour les raisons de ce manque d'intérêt des collectivités territoriales pour le service civique.

L'une de ces raisons a d'ailleurs été mentionnée par Stéphane Troussel, Président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, tout comme la solution : "Alors que beaucoup de volontaires pour le service civique allaient à la Préfecture, nous avions un mal fou à obtenir les agréments. Nous manquions de savoir-faire et c'est pourquoi nous avons passé un partenariat avec l'association Unis-Cité afin de lever ce blocage". En effet, pour les collectivités territoriales qui le souhaitent, l'association les accompagne dans la mise en place du service civique selon différentes modalités (de l'obtention de l'agrément jusqu'à la gestion en direct du service civique).

A l'heure actuelle, si les 200 jeunes en service civique au sein du Département sont utiles pour déshumaniser certains services, accroître la participation citoyenne, participer à des missions de lien social  -notamment en matière de protection de l'enfance- ou encore avoir constitué un renfort essentiel dans l'organisation des récentes campagnes de vaccination, il s'agit également pour Stéphane Troussel de les sensibiliser aux métiers du service public. "Nous allons dédier une personne au sein des ressources humaines afin de mettre en place des passerelles du service civique vers le service public car nous sommes en grande difficulté de recrutement. Le service civique représente ainsi un moyen de faire connaître les opportunités d'emplois au sein du département", a expliqué  Stéphane Troussel.

Le service civique changerait-il de sens ? Ce projet de transformation de la société par et et pour les jeunes comme l'a rappelé Marie Trellu-Kane, Présidente Executive et co-fondatrice d'Unis-Cité, va-t-il progressivement se transformer en vaste "salon" permanent de recrutement, vitrine des métiers d'un secteur public à la peine pour séduire les jeunes ?

Sans oublier ses dimensions citoyenne, d'engagement, d'utilité à la société, le pragmatique Martin Hirsch, qui a implanté le service civique au sein de l'AP-HP pour des missions emblématiques d'aide et d'accompagnement des patients, plaide pour l'instauration de passerelles entre service civique, études et formation, par exemple pour valider un stage. "Si l'on est trop attaché à la pureté du service civique on va le tuer", prévient-il.

1.Enquête réalisée avec le soutien de l'Agence du service civique et sous la supervision d'un comité éditorial d'experts.
2.Sur un plan général, la délégation aux collectivités territoriales du Sénat vient de lancer une évaluation intitulée : ANCT : quel bilan pour les élus locaux ? Cette mission poursuit un double objectif

  • Analyser la perception d’une l’Agence qui semble parfois peiner à se faire connaître des élus locaux.
  • Évaluer sa réelle plus-value pour les collectivités territoriales.

3.Le service civique propose depuis 2010 aux jeunes de 16 à 25 ans de consacrer 6 à 12 mois (non renouvelables) de leur vie à des missions d'intérêt général au sein d'associations et services publics (solidarité, lutte contre l'exclusion, éducation, environnement, sport culture...). Ils reçoivent une indemnité de 600 euros.

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