Denis Cristol : «Notre but est d'identifier les effets cachés de l'innovation grâce au rapprochement entre chercheurs et praticiens»

Denis Cristol
Le 15 juillet 2019

Denis Cristol est directeur de l'ingénierie et des dispositifs de formation du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Il coordonne une démarche expérimentale d'observation des processus d'innovation publique à partir des défis relevés dans le cadre de l'Université Européenne de l'innovation publique territoriale (cf notre article de novembre 2018) qui vient tout juste de se dérouler sur treize sites en France (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Corse, Grand-Est, Guadeloupe, Hauts-de-France, Île-de-France, La Réunion, Nouvelle Aquitaine, Normandie, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur) les 9, 10 et 11 juillet derniers.

 

Université européenne de l'innovation publique territoriale
Quatrième édition de l'Université européenne de l'innovation publique territoriale à Cluny

Pouvez-vous rappeler l'ambition initiale de ce projet de recherche intitulé « Connecteur recherche praticiens chercheurs » ?

Dans le cadre de l'Université européenne, nous observons une croissance en intérêt et en engagement de la part des collectivités territoriales. Nous sommes passés de 120 à 2000 participants à la quatrième édition avec plus de 150 défis sur 13 sites. Nous nous sommes dit qu'il était intéressant de comprendre ce qu'il se passe en matière d'innovation publique ; comment elle agit, transforme les individus, les collectifs et les territoires. Nous sommes partis sur l'idée d'observer un moment, l'Université, où les individus sont dans l'action, transforment leur représentation mentale, leurs initiatives, leur pouvoir d'agir, car beaucoup de ces choses sont invisibles.

Quelles ont été les étapes de la mise en place du dispositif ?

Un premier travail a été de rassembler des chercheurs et des praticiens pour mettre du sens dans les 150 défis. Quatre grandes thématiques ont été définies : la démocratie sociale, notamment liée à la crise, aux transformations sociales ; le numérique, dans le sens où il est peut-être capacitant, c'est-à-dire habiliter les individus, leur donner de nouvelles marges de manœuvre, leur permettre d'agir. Une troisième thématique est la gouvernance qui s'exprime dans la transformation des organisations, avec la mise en place de lieux, de laboratoires d'innovation où l'on invente des façons différentes d'agir ; et enfin le thème de la transition environnementale et écologique.

Nous avons conçu un cadre de concepts et de questions clés avec des praticiens et des chercheurs dans le but de problématiser ces questions de manière inédite. Nous avons confié aux chercheurs le soin de fabriquer des « carnets d'enjeux » afin de donner des cartographies aux porteurs des défis, des concepts clés et des chiffres repères autour des différents thèmes abordés. L'idée est de faire une médiation scientifique avec les praticiens qui souvent foncent droit au but sans prendre en compte des données réflexives qui existent.

La deuxième étape a été de faire un atelier de co-développement recherche avec une dizaine de personnes engagées sur ces questions ; cadres territoriaux et chercheurs. L'idée était à la fois de co-élaborer un sujet d'investigation et de fabriquer une méthodologie. Pour une thèse ou un master, vous définissez en général le sujet seul avec votre université. L'idée est cette fois-ci de s'enrichir du regard des praticiens qui peuvent orienter un peu le sujet. Une des premières étapes fortes, nous l'avons appelée : « se connecter à la source » des questions, de ses curiosités. En travaillant cette connexion à la source, on parvient à identifier des questions de recherche et de praticien susceptibles de se connecter à une même ambition.

Le 1er juillet une formation dédiée à l'observation participante a eu lieu, en quoi consistait-elle ?

Cette réunion a été pilotée par un anthropologue, Marc Hatzfeld. L'idée est de nous aider à construire une grille d'observation et une posture pour que les participants de l'Université puissent faire des observations avec un regard d'anthropologue, c'est-à-dire sans trop d'attente, de pression. Nous avons fait un exercice préparatoire avant l'atelier. Par exemple l'un d'entre-nous est allé observer les comportements de acheteurs dans une boutique de chaussures. Un autre a observé une réunion de famille, une autre ce qui se joue dans les transports en commun.

On a ensuite créé une grille pour observer au sein d'une équipe défi : les rôles, rites, les valeurs, les déplacements, les croyances. Le but est d'essayer d'identifier des architectures invisibles, les effets un peu cachés de l'innovation, comme la manière dont se mettent en place des réseaux autour des défis territoriaux. La grille va être diffusée à une trentaine de collègues qui auront un rôle d'observateur neutre. Il y aura aussi un questionnaire disponible sur les carnets d'apprentissage des participants. On leur demandera de répondre à trois questions d'observation, sur ce qui bouge dans leur équipe, dans leur collectivité et sur leur territoire. L'idée est de participer à la transformation en nommant ce qui est en train de se transformer.

Université européenne de l'innovation publique territoriale

Est-ce que l'objectif à terme est de pouvoir observer des innovations sur le terrain ?

Là, nous montons en puissance dans cette capacité d'observation, de curiosité, à partir d'un terrain vivant, l'Université. Ce que l'on souhaite à terme est d'avoir cette capacité et cette culture d'observation. À ce stade et en parallèle, nous avons une équipe pilotée par un ancien chercheur du CNRS. Il suit de manière très détaillée un défi, accompagné de vidéastes. Leur sujet porte sur les rapports des jeunes et de la police à Paris. Ils ont filmé l'équipe défi. Ils ont été filmés sur le site de l’université à Pantin pour voir comment la mise en place du projet fonctionne et y retourneront a posteriori pour voir les effets du défi. L'objectif de cette commande est d'essayer de comprendre la mécanique précise d'un défi : comment l'hypothèse naît et comment elle s'implante ensuite sur le terrain.

Quelles sont vos attentes en termes d'évolution de l'innovation publique à travers cette démarche ?

Ce qui m'intéresse est ce que l'on appelle les effets invisibles, l'architecture invisible. Ils ne se traduisent pas en jours de formation, livrables, budgets, prototypes fabriqués. Ce sont des effets humains, réseaux discrets, solidarités, des silos qui se détruisent, des fluidités qui s'organisent, des objets intermédiaires, dans les interstices. J'aimerais observer ces objets qui n'ont de valeur que pour les gens qui vivent ces innovations.

Ces objets me semblent très intéressants car ils sont à la base des écosystèmes d'innovation. C'est un peu le terreau. L'idée est de pouvoir dire : si l'on reproduit un dispositif sur un territoire, voilà les éléments qui ont marqué les esprits et qui fonctionnent. Pour finir, nous aurons une démarche traditionnelle d'évaluation. Nous allons envoyer un questionnaire après l'Université pour repérer les acquis, aller plus loin pour comprendre ces dynamiques.

frise CNFPT

Nous avons prévu une réunion au mois d'octobre pour rassembler cette matière et lui donner du sens, sous la conduite d'un chercheur expérimenté.

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