Le rôle essentiel des espaces publics en période d’épidémie

The Great Empty
Une photo du New York Times intitulée « The Great Empty » montrait le 18 mars 2020, pendant le confinement, une place de la Concorde et des espaces symboliques de grandes capitales du monde entier, habituellement bouillonnants d’activité, totalement désertés.
©New York TImes
Le 28 septembre 2020

La Fabrique de la Cité organisait au Printemps dernier une conférence sur « Les espaces publics : clé du confinement et déconfinement ». Chloë Voisin-Bormuth, directrice des études et de la recherche du think tank sur l'innovation urbaine, a pu montrer comment la pandémie de coronavirus a transformé la perception, les pratiques et le rôle de l’espace public.

« La pandémie de coronavirus transforme la perception des pratiques et le rôle de l’espace public », c’est ainsi que Chloé Voisin-Bornmuth lançait la conférence « Les espaces publics clé du confinement et déconfinement », s’inscrivant dans le cycle « 30 minutes pour demain » .

Très rapidement elle citait ensuite le livre publié par Thomas Bollyky en septembre 2018 : Plagues and the Paradox of Progress: Why the World Is Getting Healthier in Worrisome Ways. Ce dernier apporte une information essentielle concernant le lien entre santé et espace public: pour la première fois dans l’histoire, les bactéries, parasites, infections, maladies infectieuses, ne sont plus la principale cause de décès et de handicaps dans aucune région du monde. Au contraire, les maladies non contagieuses, comme le diabète, les cancers, des affections du système respiratoire, pèsent particulièrement sur nos systèmes de santé. Ces maladies au long cours, « civisationnelles », trouvent leur origine dans notre environnement et nos modes de vie sédentaire.

Face à ce constat, l’étude menée portait sur la manière dont la morphologie urbaine peut aider à combattre ces maladies et contribuer à améliorer la santé et le bien-être de tous, notamment en favorisant l’activité physique et les interactions sociales.

L’épidémie de coronavirus a remis au coeur des politiques l’espace public non plus pour permettre le rapprochement mais au contraire pour favoriser la distanciation physique, la limitation des contacts. Il s’agit de savoir de quelle manière les mesures prises pour lutter contre le virus ont un impact sur l’espace public et quels changements d’habitude vont se pérenniser. Une image du New York Times intitulée « The Great Empty », montrait le 18 mars dernier, pendant le confinement, une place de la Concorde et des espaces symboliques de grandes capitales du monde entier, habituellement bouillonnants d’activité, totalement désertés.

La stratégie de confinement a reposé sur deux piliers: la limitation de l’accès à l’espace public, la limitation des rassemblements de personnes hors du même foyer. Désormais la présence dans l’espace public devait se justifier, il a perdu sa capacité d’être accessible à tout moment, sa fonction d’espace de rassemblement permettant de combler le besoin d’appartenance à l’espèce humaine; à une communauté ne s’effondrant pas face à l’adversité. Dans ce contexte épidémique particulier prendre soin des autres revient à les éviter et l’espace public devient un espace de danger.

L’espace public comme espace social est placé en première ligne de la lutte contre la dissémination de la maladie. Cela a été compensé par des alternatives réinventant la sociabilité entre voisins, faisant ressortir les défauts (insonorisation, relations de voisinage) et les aménités (avoir un balcon permettant de communiquer plus facilement avec ses voisins, avoir un jardin) des logements. Dans ce contexte l’espace virtuel compense aussi le rôle traditionnel de l’espace public notamment pour les relations de travail (télétravail), les sociabilités (apéros zoom), l’accès à la culture ou encore aux biens et services.

L’espace public a joué également un rôle particulier dans le déconfinement, puisque sa réouverture marquait le redémarrage de l’économie mais aussi un équilibre nécessaire à trouver entre économie et possible hausse des contaminations.  Mais cet espace offre aussi une sécurité puisqu’il permet de faire des tests à très grande échelle et devient une alternative à l’espace intérieur. Son rôle central consiste à organiser la distanciation physique, à matérialiser la distance (méthode des nudges, système inspiré de l’urbanisme tactique). Il s‘agit aussi de regagner de l’espace « capable », de réinventer le lien entre intérieur et extérieur en repensant par exemple l’intérieur des magasins comme des entrepôts logistiques et l’étal dans l’espace public.

Se pose ensuite la question de savoir si ces changements seront pérennes ou simplement conjoncturels. En la matière, la durée de l’épidémie constitue un facteur clé.  En ce qui concerne les rapports sociaux, William Dab l’ancien directeur de la Santé, affirme que les épidémies sont des « crash test » des valeurs de notre société et de celles que nous accordons à la santé. Chaque société doit trouver un centre de gravité entre liberté et sécurité. Le deuxième point d’alerte concerne la collecte des données numériques et la protection de la vie privée. Les épidémies relèvent de questions de contrôle social mais aussi moral. Ce contrôle ne va t‘il pas mener à des cas de ségrégation sociale entre ceux obligés de subir la fréquentation d’un espace public devenu dangereux ou contrôlé et ceux qui arrivent à y échapper parce qu’ils en ont les moyens (Gated communities). L‘autre danger consiste à assimiler l’espace public à un espace à nettoyer, ce qui se traduit par une peur de la ville et une confusion entre la densité au mètre carré et la densité des rapports sociaux. Peut-être cela constitue-t-il une chance à saisir pour les villes moyennes moins densément peuplées.

L’expérience du confinement et du déconfinement a permis de prendre conscience de l’importance de l’espace public dans notre vie sociale mais aussi dans notre relation au bâti, au logement, en montrant que l’espace public sert d’extension à la maison. C’est aussi un espace refuge permettant d’échapper à la violence domestique; un espace ressource pour les personnes vivant de l’économie informelle.

Cette prise de conscience invite à repenser le logement et le mal-logement, son lien avec l’espace public et la qualité intrinsèque de laménagement de lespace public. Plus qu’un couloir de circulation il se doit d’être un lieu permettant les interactions sociales et leur approfondissement. Cette crise pose la question de notre rapport à la ville et notamment celle des nouvelles mobilités. À long terme va t’on assister à un renversement des ambitions de décarbonation, à une reprise de la voiture individuelle et à une désaffection à long terme des transports en commun mettant en danger l’économie des transports en commun ou va t’on accélérer la transformation des villes en faveur des mobilités douces (piétons, vélos) ?

L’ensemble de ces changements dépendront de la période de retour à l’équilibre et de la manière dont notre société, nos sociétés parviendront à surmonter la crise.

La Fabrique de la Cité, un think tank sur l'innovation urbaine

Le think tank « La Fabrique de la Cité » travaille sur l’innovation urbaine à travers une approche interdisciplinaire. Il réunit autour de projets de recherche ou à l’occasion de séminaires, des penseurs et des acteurs urbains du monde entier.

https://www.lafabriquedelacite.com/

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