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Nicolas Kada « Un nouveau visage de l’État dans les territoires se dessine aujourd’hui »

Nicolas Kada
Le 13 novembre 2018

Nicolas Kada est professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes et co-directeur du Groupement de recherche sur l'administration locale en Europe (GRALE) et du centre de recherches juridiques (CRJ).

Quelles sont les principales missions du GRALE ?

Le GRALE a pour mission principale de promouvoir des recherches en sciences sociales, sur la base d’un programme pluridisciplinaire, portant sur un objet commun : l’administration locale en Europe. Droit, science politique, économie, gestion, histoire ou encore géographie constituent autant de disciplines qui vont être mobilisées autour de sujets d’études portant sur les questions de gouvernance territoriale. Ce groupement d’intérêt scientifique trouve ainsi sa raison d’être dans le réseau dense et diversifié des équipes de recherche ou associations scientifiques des diverses disciplines qu’il contribue à entretenir et à stabiliser. Ce réseau forme d’ailleurs la base de l’Observatoire national de la décentralisation mis en place par le GRALE depuis 2004 en partenariat avec le ministère de l’Intérieur, et qui continue son activité de manière indépendante. Nos équipes de chercheurs trouvent ainsi dans le GRALE de nouvelles opportunités de développer ou de renouveler leur activité scientifique.

Quels sont ses points forts, ses spécificités par rapport à d’autres organismes de recherche ?

Il s’agit d’un réseau très étoffé (près de 200 chercheurs) organisé sous la forme de groupement d’intérêt scientifique (GIS) associant plusieurs institutions ou entreprises : les universités (Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Lille 2 et Reims-Champagne-Ardennes), l’Assemblée des communautés de France, la région Île-de-France et Électricité de France. Ensemble, ces partenaires ont signé une convention de partenariat. Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) ajoute sa contribution au prix de thèse ainsi qu’aux travaux sur la fonction publique territoriale, tout comme la Mutuelle nationale territoriale (MNT).

Les partenaires partagent la conviction que le développement de la recherche est nécessaire à une meilleure connaissance des processus sociopolitiques et économiques locaux, de l’action publique territorialisée et des problèmes juridiques qu’ils soulèvent. Leur coopération avec les chercheurs aidera ces derniers à identifier plus rapidement les problèmes nouveaux et en facilitera l’étude. Nous pensons en effet que la recherche est indispensable au renouvellement de la capacité d’expertise : si elle ne s’alimente pas d’une recherche créative, l’expertise se périme rapidement.

Quelles sont les expertises thématiques du groupement de recherche sur l’administration locale ?

Toutes les études que l’on mène au sein du GRALE ont pour objet commun l’évaluation de la mise en œuvre des réformes et l’évolution du système d’administration territoriale. Le GRALE regroupe ainsi près de 80 équipes de chercheurs autour de commissions thématiques et pôles régionaux qui organisent des colloques et séminaires : métropolisation, réformes territoriales, impact de l’Union européenne (UE), tourisme, développement économique, transition énergétique, finances locales et emploi public, etc.

Mais le GRALE prend aussi en charge une veille régulière portant sur l’actualité des normes et rapports des instances de l’UE et du Conseil de l’Europe, des études approfondies paraissant dans la rubrique internationale de notre publication annuelle intitulée « Droit et gestion des collectivités territoriales » et un engagement dans divers programmes de recherche comparée. Disposant ainsi d’un capital d’expertises, acquis notamment sur la base de rapports établis pour le compte d’organisations internationales telles que le Conseil de l’Europe, l’OCDE ou encore d’ONG, le GRALE organise régulièrement des colloques internationaux associant des chercheurs étrangers.

Quels sont les nouveaux axes de recherche sur lesquels vous travaillez ? Et les perspectives de développement du GRALE (nouveaux partenariats, action internationale) ?

Le GRALE renforce actuellement ses recherches dans le champ du développement durable et de la transition énergétique, répondant ainsi tout autant à la demande de ses partenaires qu’aux préoccupations scientifiques de ses chercheurs.

Au niveau international, le GRALE rédige actuellement le chapitre « Europe » du prochain rapport mondial sur la décentralisation que prépare Cités-et-gouvernements-locaux-unis (rapport dit « GOLD V »), en association étroite avec une équipe de chercheurs de Barcelone.

Enfin, un nouveau programme de recherche sur toutes les formes de discontinuités territoriales est en voie d’être lancé, permettant une fois encore au GRALE de mobiliser différentes disciplines scientifiques et tout un réseau de chercheurs autour d’un objet d’étude commun.

« Les territoires de l’État » sont au cœur de votre champ de recherche. Pourriez-vous nous rappeler ce que recouvre exactement ce terme et quels sont les enjeux sous-jacents ?

Alors même que l’opinion publique, les médias et les recherches ont tendance à concentrer leurs regards sur les effets du découpage régional et l’émergence des métropoles, l’État poursuit l’adaptation continue de ses propres services ou celle de ses opérateurs. Il façonne en cela une autre carte territoriale que celle des collectivités décentralisées, multipliant les découpages au gré des politiques publiques à mettre en action. Il met ainsi en œuvre sa propre différenciation et adapte son organisation aux spécificités locales et aux impératifs propres à chaque politique publique. Mais cela présente évidemment deux défis principaux : celui de l’égalité d’accès au service et celui de la lisibilité de l’ensemble.

Quelles sont les évolutions et les transformations que vous avez pu observer sur la présence de l’État dans les territoires, objet de ce hors-série thématique ?

Synonymes de flexibilité mais aussi sources d’incertitudes, des organisations administratives à géométrie variable sont déployées parfois en privilégiant un niveau régional d’expertise, quelquefois en redécouvrant les atours du cadre départemental, de temps en temps en préservant le territoire de l’arrondissement ou de la commune, etc., et souvent en inventant ses propres découpages territoriaux. Préfectures, administrations de la santé, de l’Éducation nationale, de la sécurité publique, des finances publiques, ou encore maisons de l’État sont autant de formes différenciées et complémentaires de présence de l’État sur le territoire national. Cette différenciation territoriale interne à l’État méritait que l’on s’y attarde dans ce hors-série thématique tant ses conséquences sont importantes pour les usagers et les partenaires traditionnels de l’État que sont les collectivités territoriales elles-mêmes. C’est un nouveau visage de l’État dans les territoires qui se dessine aujourd’hui.

Quelle est votre vision de l’administration locale en France en 2030 ?

La prochaine décennie verra sans doute l’émergence d’une nouvelle administration territoriale – plutôt que locale – où collectivités décentralisées et services déconcentrés de l’État travailleront de manière plus coordonnée. Le modèle uniforme traditionnel d’organisation sera définitivement abandonné au profit d’un sur-mesure institutionnel plus adapté aux réalités territoriales. Cette logique de différenciation devra néanmoins veiller à ne pas creuser les inégalités tant en ce qui concerne l’accès aux services publics qu’en ce qui concerne l’intelligibilité de l’action publique. De nouvelles formes de présence de l’État sur l’ensemble du territoire sont ainsi à imaginer afin que la devise de la République, « Liberté, Égalité, Fraternité », puisse résonner partout avec la même intensité.

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