Paul Flamme, DGS Évreux-Portes de Normandie

©Julien Nessi
Le 2 août 2018

Paul Flamme est directeur général des services à Évreux-Portes de Normandie, une communauté d’agglomération qui a vu le jour le 1er janvier 2017. Elle regroupe 74 communes et compte 1 100 agents publics pour plus de 115 000 habitants (données 2017).

1 - La contractualisation comme méthode

Après des années de baisse des dotations, le gouvernement a opté pour une nouvelle méthode, la contractualisation. Le dispositif, prévu par la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, vise à encadrer l’évolution de leurs dépenses de fonctionnement. 70 % des 322 collectivités concernées par la contractualisation financière avec l’État se sont engagées dans la démarche. Comment percevez-vous cette contractualisation à marche forcée ?

Le principe de demander un effort de maîtrise des comptes publics est sain et légitime. À condition qu’il s’applique équitablement à tous les acteurs publics, y compris à l’État, à ses divers démembrements, à son administration centrale  et aux grands ministères. Dans cet effort collectif, les EPCI et leurs communes membres ne sont pas en reste, loin de là.

Aujourd’hui proposer un contrat de confiance aux collectivités, 322 à ce jour, et beaucoup plus demain, avec des engagements réciproques, paraît une bonne idée. Toutefois cela n’a de sens réel que si ce contrat présente un caractère pleinement synallagmatique. Ce n’est guère le canevas proposé aujourd’hui. On notera, de plus, que le dispositif mériterait d’être perfectionné. Par exemple, celui-ci concentre le volet coercitif sur les seules dépenses réelles de fonctionnement, les fameux 1,2 % de dépenses réelles de fonctionnement à ne pas dépasser. Quid de l’analyse des recettes ? À Évreux-Portes de Normandie, comme bien d’autres EPCI, nous faisons déjà moins que 1,2 % de dépenses réelles de fonctionnement depuis plusieurs années, cela dans la parfaite maîtrise des taux de fiscalité. Il en est de même pour la ville centre. Pourtant il n’en est pas tenu compte dans le projet de contrat qui a été proposé à celle-ci. En sera-t-il de même demain pour l’agglo, cela malgré les années d’effort effectué par nos équipes sur le fonctionnement ? Ajoutons que les contrats omettent, au moins dans leur version initiale, les importantes évolutions de périmètres et de compétences intervenus depuis 2017. Et il faudrait prendre en compte le budget consolidé, pas seulement le budget principal. Ma communauté d’agglomération compte 21 budgets annexes, qui représentent 38 % d’un budget consolidé de 195 M€. On pourrait imaginer un contrat plus cohérent qui évaluerait la globalité des efforts en dépenses mais aussi en recettes, et cela tout au long d’un mandat. En réalité il y a un problème dans la méthode employée, lié notamment à la précipitation. C’est ce qui explique d’ailleurs le caractère largement technocratique de ces critères préfixés. Et si l’on revenait tout simplement à l’idée initiale, intéressante, celle du contrat ?

2 - Les efforts d’économie demandés aux collectivités territoriales

Réduire les dépenses de collectivités territoriales de 13 Md€ d’ici 2022, c’est l’objectif du gouvernement. Sans compter la suppression de la taxe d’habitation, mesure phare. Quel regard portez-vous sur cet objectif ?

Gardons à l’esprit les grands principes du service public français : égalité de traitement ; continuité de service ; mutabilité du service. Ce dernier principe est fondamental pour répondre aux besoins actuels du pays et des territoires. C’est sur lui aussi que reposent les efforts demandés aujourd’hui à tous les acteurs publics. À l’échelle de notre communauté d’agglomération, les baisses croissantes de dotations de ces dernières années, principalement la DGF, ont induit un manque à gagner de -4 M€ annuel sur le budget principal. Dont acte. Nous avons absorbé ces baisses de recettes en augmentant l’investissement et cela sans hausse d’impôt. Pour y arriver nous avons dû faire des efforts considérables dans tous les domaines du fonctionnement : par exemple la masse salariale a baissé de -3 % par an (GVT inclus), deux années de suite, à périmètre constant. Bien sûr nous avons recherché des marges de manœuvre sur bien d’autres points : mutualisations, réorganisations, carburants, consommables, assurances, achats, etc. Surtout nous avons adopté une stratégie résolue d’investissement rapide, massif et dans la qualité, pour améliorer les outils et les conditions de travail des agents, et ainsi faciliter les gains de productivité tout en préservant un climat social apaisé.

Cependant, en parallèle l’État a pris l’habitude, de longue date, de transférer ci-et-là des compétences ou des obligations qu’il ne compense pas. Citons, par exemple, l’instruction des autorisations d’urbanisme que la DDTM faisait pour les communes rurales, jusqu’en juillet 2016. L’agglo a dû se substituer. Citons le désengagement croissant en matière de police, le transfert aux communes des cartes d’identité et des passeports.

Les exemples abondent : depuis des années l’État se désengage discrètement, par petites touches, de multiples domaines. Dans le même temps il entend refondre la fiscalité locale dans son ensemble. Pourquoi pas. À condition de ne pas décorréler l’évolution de nos recettes de la pertinence de nos politiques publiques. Chaque catégorie de collectivité devrait percevoir des recettes principalement déterminées par son activité, par la pertinence de son action. Le lien entre la TVA et l’action des départements, par exemple, ne m’a pas sauté aux yeux. Si nous perdons le lien étroit entre nos politiques et nos recettes il pèsera un risque sérieux de perte de cohérence et de libre administration des collectivités. Deuxième risque important, celui d’une décorrélation entre l’administré et le citoyen contribuable. Pour mémoire l’article 13 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 proclame que « pour l’entretien de la force publique […] une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». L’administré qui n’est plus du tout contribuable pour sa commune en est-il encore pleinement citoyen ? Ce n’est pas une question secondaire. Déjà le dégrèvement sous conditions de revenus instauré à la fin des années 1990 concerne un ménage sur deux. Cette évolution va s’amplifier avec la suppression de la taxe d’habitation. C’est vrai, cet impôt n’est pas exempt de critiques, notamment en raison de la désuétude du mode de calcul des valeurs locatives. Et la mesure annoncée est légitime puisqu’elle a été clairement annoncée pour 80 % des Français par le président de la République lors de sa campagne électorale. Cependant comment et par quoi la remplacer ? C’est un sujet légitime mais épineux.

3 - Le rapprochement entre l’ENA et l’INET

Marylise Lebranchu, l’ancienne ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de la Décentralisation, a été récemment entendue par la Commission d’enquête sénatoriale sur la haute fonction publique. Elle a dénoncé la domination des grands corps et a regretté que le rapprochement entre l’ENA et l’INET n’ait pu avoir lieu. Qu’en pensez-vous ?

Les réflexions actuelles et les débats animés concernant le rapprochement de l’ENA et l’INET ne résument pas le sujet de l’évolution nécessaire de nos administrations, loin s’en faut, mais cela me semble une piste intéressante de réflexion. En tout cas la question mérite d’être posée. Plus généralement, plus on demande aux collectivités de se justifier sur leurs modes de fonctionnement et sur leurs dépenses et plus il paraîtra inévitable qu’un regard éclairé soit également posé sur le fonctionnement interne de l’administration centrale et les ministères, d’abord, sur leur évolution depuis 1982, date de la décentralisation, ensuite, et sur l’évaluation objective de leurs efforts réels pour le rétablissement des comptes publics, enfin. Les essais précédents menés en ce sens (type RGPP) sont très perfectibles, d’autant qu’ils butent systématiquement sur l’organisation en centaines de corps de la fonction publique d’État. Enfin j’observe que, par-delà les époques et les gouvernements, et la cour des comptes le confirme d’ailleurs régulièrement, lorsque l’État cherche des économies il les applique principalement sur l’investissement, d’une part, et sur l’administration déconcentrée, la plus proche des collectivités et des territoires, d’autre part. Je doute que soit systématiquement optimal pour le service public.

4 - Le recours aux contractuels dans la fonction publique territoriale

Via des amendements au projet de loi « avenir professionnel », le gouvernement veut quintupler le nombre de postes de hauts fonctionnaires ouverts aux contractuels. Dans la fonction publique territoriale seront concernés l’ensemble des emplois fonctionnels de direction des collectivités territoriales et de leurs établissements, soit plus de 7 000 emplois contre 1 500 aujourd’hui. Quels sont les avantages et les inconvénients du statut et que pensez-vous du recours aux contractuels ?

Sur le statut j’essaie de rester pragmatique. Je n’ai pas de dogme. Le statut général que nous connaissons est un héritage de la guerre et de l’après-guerre, repensé et élargi en 1983, 1984 et 1986. Celui-ci présente son intérêt, réel, et ses limites, qui le sont tout autant. De quoi s’agit-il principalement ? C’est un cadre de protection pour le fonctionnaire mais aussi pour la neutralité du service public. Essentiellement il se traduit par l’accès équitable aux fonctions, par les droits et obligations du fonctionnaire, par l’avancement indexé sur l’ancienneté, par la sécurité de l’emploi. Tout cela correspond à notre conception française et traditionnelle du service public. On notera au passage que certains éléments, comme l’avancement à l’ancienneté, se retrouvent dans les grands groupes du secteur privé. Coïncidence ou logique systémique des grandes institutions ? Des protections particulières paraissent absolument indispensables pour certaines fonctions directement investies d’une parcelle incontestable de la légitimité de l’État (policiers, magistrats, etc.). Pour les autres agents publics, y compris les cadres dirigeants des trois fonctions publiques, je parlerais davantage d’utilité pour le service public plutôt que de nécessité absolue. Nous devons d’ailleurs reconnaître que d’autres grands pays développés n’ont pas adopté un système similaire au nôtre alors que leurs administrations fonctionnent bien. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà…

Aujourd’hui il conviendrait d’étudier le sens du statut, sa finalité, et de l’apprécier au regard des réalités de la société française du XXIème siècle. Ce travail indispensable de mise en perspective, sans a priori à charge ou à décharge, est-il vraiment réalisé ? N’en déplaise aux fervents partisans comme aux détracteurs déterminés du statut, il y a fort à parier qu’une évaluation sereine de ce sujet sensible, métier par métier, aboutirait à des résultats moirés dans de nombreux cas.

Analysons aussi les retours d’expériences menées à l’étranger, sans négliger que le statut à la française est notre système, global et bien ancré. Il a évolué au fil du temps, un peu. Il faudrait qu’il évolue davantage. Cependant il a déjà été fortement écorné dans sa cohérence et sa légitimité. Le corolaire républicain du statut est le concours. Le concours est en réalité une simple modalité, certes perfectible, de mise en œuvre du respect de l’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 selon lequel tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. En procédant à des titularisations de masse et en supprimant l’obligation du concours pour la titularisation sur les premiers grades de catégorie C, on a porté un sérieux coup à un pilier du statut. Passons. La création du CDI de droit public a poursuivi ce mouvement de recul du concours. Cela dit, lorsqu’on aura une armée de CDI dans toutes les administrations en lieu et place des titulaires, on aura obtenu une nouvelle armée de quasi-titulaires pleinement dispensés des concours. Quel serait le gain in fine ? Va-t-on privilégier le recours systématique aux CDD, avec toute la précarité et la dépendance que cela implique ? Tout cela mérite d’être soigneusement soupesé, mûrement décidé. Concernant spécifiquement les emplois de direction générale, j’ai toujours connu divers contractuels évoluant sur ces postes, et aussi beaucoup de titulaires, dont je fais partie. Tout est question de proportion. La situation de compromis actuelle me paraît fonctionner assez bien. Ouvrir une réflexion sur le sujet n’est toutefois pas interdit. Mais il serait hypocrite ou naïf d’ignorer que poser le sujet de l’ouverture totale des postes de DG aux contractuels appelle implicitement le sujet sur tous les autres agents, et sur la structuration de la fonction publique dans son ensemble. Car il y a un autre message implicite dans cette affaire : celui que la FPT ne serait pas réellement une fonction publique, du moins pas au même titre que celle de l’État. Cela reste à démontrer dans les faits. Sur toutes ces questions, la méthode qu’on a pu observer ces dernières semaines interroge : l’État discute, très bien ; il réfléchit avec les élus, avec les associations professionnelles, avec les syndicats, sur un sujet vaste et complexe, et voilà subitement une mesure en forme de rafale. Cette méthode décoiffe mais elle en laisse beaucoup perplexes. Quant au fond, a-t-on bien anticipé les effets ? Qu’est-ce-qui est décidé au juste ? Analysons posément les trois fonctions publiques et leurs statuts.

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