Quelles trajectoires territoriales pour des métropoles en transitions ?

Le 11 juillet 2021

La multiplication des crises et leur caractère systémique ont exacerbé les tensions territoriales et rebattu les cartes à toutes les échelles. Comment dans ce contexte d’incertitudes imaginer des métropoles résilientes ?

Les 21 et 22 janvier 2021 a eu lieu un colloque en ligne1, organisé par la plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (POPSU), intitulé « Pour des métropoles résilientes : métropoles en transitions cherchent trajectoires territoriales ». Un évènement qui a réuni des élus, des cadres territoriaux, des enseignants, des chercheurs, des acteurs du monde associatif, des architectes, des urbanistes, des paysagistes, etc., de différentes régions de France. En effet, devant l’ampleur d’une telle tâche qui porte tant sur le devenir des métropoles, et notamment leurs réponses face à l’urgence climatique, la contestation sociale, la quête de sens des citoyens, les dégâts économiques de la crise sanitaire2, que sur leurs relations avec « les autres » territoires proches et lointains, il serait bien malvenu de confier la réflexion « à cinquante types dans des bureaux à Paris » pour reprendre l’expression de Christian Saint-Étienne3.

Ainsi que l’a rappelé Jean-Marc Offner, directeur général de l’a-urba, agence d’urbanisme Bordeaux métropole-Aquitaine, et président du conseil stratégique POPSU dans son rapport introductif, les métropoles, à tort ou à raison, n’ont pas bonne presse : « Leur reconnaissance institutionnelle à peine obtenue elles sont accusées, au pire, de promouvoir un développement peu soutenable qui épuise les corps, les esprits et la nature, de favoriser des densités devenues dans la perception collective des promiscuités mortifères, d’être le terrain de jeu privilégié d’un nouveau capitalisme urbain “biberonné” au numérique et à la finance, à tout le moins, de trop peu partager leurs richesses, de fragmenter la société et de monopoliser l’attention de l’État. » De fait la sémantique métropolitaine a jusqu’à présent mis en exergue l’excellence, la compétitivité et l’attractivité au détriment de l’humain, du social, de la générosité, de l’accueil.

Pour une autre vision de la métropole

« Il y a un travail de pédagogie énorme à faire car aujourd’hui les grandes villes, réputées fortes, riches, égoïstes et dominatrices sont sur le banc des accusés » a témoigné Jean-Luc Moudenc4, président de Toulouse Métropole qui a plaidé pour une autre vision de l’action des métropoles : « La caractéristique d’une métropole en soi c’est d’être innovante dans tous les domaines et pas seulement l’économie. Dans les années à venir, nous devons humaniser la métropole tant en interne que vis-à-vis de tous les territoires environnants. »

Même constat pour Johanna Rolland, présidente de Nantes Métropole, qui a souhaité davantage de nuances dans les propos et les opinions de ceux qui voient les métropoles comme la source de tous les maux et ceux qui les considèrent comme le berceau de toutes les dynamiques positives. Pour étayer son propos, Johanna Rolland a rappelé quelques réalités : 80 % des emplois nets sont créés au sein des métropoles, qui, au niveau de la santé, mettent à disposition d’une population beaucoup plus vaste que celle du territoire métropolitain les importants moyens que représentent les centres hospitaliers universitaires (CHU). En outre, les grandes villes sont des creusets pour la capacité d’innovation et le bouillonnement culturel. Elle n’a toutefois pas occulté que les grandes agglomérations concentrent aussi toutes les grandes poches de précarité du pays, ni que 70 % des émissions de gaz à effet de serre sont produites dans nos grandes villes et métropoles.

Autre réalité celle des budgets et donc des actions permises par une intercommunalité : « Le budget d’investissement pour la seule ville de Rouen c’est 35 millions d’euros. Celui de la métropole de Rouen Normandie c’est dix fois plus ! Autant de réalisations, par exemple, en matière d’infrastructure, d’économies d’échelle sur les marchés etc. que l’on ne pourrait pas faire sans ce rassemblement des forces que constitue une métropole », a précisé Nicolas Mayer-Rossignol, président de la métropole Rouen Normandie.

Ces attaques contre les grandes villes seraient donc à prendre avec quelques précautions d’autant qu’elles servent aussi des jeux politiques et les métropoles – tout comme l’Union européenne – peuvent être des boucs émissaires commodes : « Les horaires d’une piscine ou d’une médiathèque sont peu pratiques ? “C’est la faute de la métropole !” entend-t-on régulièrement dans les communes », ironise un membre d’un conseil de développement fin connaisseur des communes rurales.

Appréhender la métropole sur le temps long

Pour Magali Talandier, professeure des universités à l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine de l’université Grenoble Alpes, « les lectures binaires sont faciles et parfois utiles pour faire bouger les choses mais elles rendent mal compte de la complexité du moment ». Il convient de porter au crédit des métropoles « l’apport de solutions, dans un contexte de mondialisation des échanges, et le rôle de relais de la croissance économique dans les territoires. En fait ce n’est pas tant la fin des métropoles que l’on interroge que celle du changement du processus de métropolisation, l’adoption de nouvelles stratégies en matière de relocalisation industrielle ou encore le rôle que pourraient jouer les métropoles dans des secteurs de l’économie essentielle. » Les technologies de pointes sont très importantes certes mais ne constituent pas l’ensemble de l’économie et encore moins l’ensemble des emplois.

En outre, si l’on se replace dans le temps long, toujours nécessaire pour corriger les excès des critiques de court-terme on ne voit plus les métropoles de la même manière. Jean-Luc Moudenc a insisté sur la vocation multi séculaire des villes qui ont toujours été des pôles d’échanges aussi bien de ceux qui y vivent qu’avec l’extérieur. Ainsi en a-t-il été avec la ligue hanséatique, par exemple, qui va rassembler pendant cinq siècles des villes marchandes de la mer du Nord et de la mer Baltique. Plus proches de nous, c’est le xixe siècle et sa révolution industrielle et non des politiques publiques d’aménagement institutionnel des territoires, qui ont poussé un très grand nombre de travailleurs agricoles vers les villes conduisant à un exode rural massif qui se poursuivra jusque dans les années 1980.

On peut tirer au moins deux enseignements de ce qui précède. Le premier est que les politiques publiques locales doivent être nourries par l’ethnographie, l’anthropologie, la sociologie et l’histoire, des disciplines largement présentes dans les universités des métropoles. Il faut observer, comparer et analyser le plus finement possible et sur le temps long les comportements des habitants d’un territoire pour éclairer les choix des décideurs publics et non laisser les seules technosciences aux commandes. Une nouvelle ligne de tramway pensée par des ingénieurs le sera en termes de calculs techniques, pas en termes de bassin de vie, de mouvements, de flux. En matière d’habitat résidentiel, il semblerait que la crise sanitaire amplifie un mouvement qui avait déjà commencé, à savoir l’intérêt de certaines catégories de travailleurs pour s’installer dans des villes moyennes, voire des communes rurales car le cadre de vie y serait plus agréable. « Aux États-Unis des villes moyennes attirent des télétravailleurs qualifiés qui ont aujourd’hui une autre quête que celle de la grande agglomération ; en France, les dernières informations issues des marchés immobiliers semblent dire qu’un certain nombre de villes moyennes seraient également en train de connaître une nouvelle attractivité, a rapporté Magali Talandier. Effet de mode ou tendance de fond ? C’est ce que les sciences humaines et sociales, à l’écoute des « signaux faibles » de la société – contrairement aux sciences dures – devront aider à déterminer. L’humanisation des métropoles passe notamment par une meilleure compréhension des usages de ses habitants grâce à l’apport de regards extérieurs, indépendants et divers.

Pour l’heure Jean-Luc Moudenc et Johanna Rolland n’observent pas d’exodes significatifs depuis leurs métropoles respectives. Toutefois la crise sanitaire qui pousse au développement sans précédent du télétravail, à laquelle s’ajoutent les incertitudes sur le devenir économique de métropoles et la question climatique sous la forme de canicules à répétition difficiles à supporter dans les grandes agglomérations, auront-t-elles pour effet un changement de stratégie résidentielle des travailleurs qualifiés ? Ces derniers, sur lesquels repose largement le modèle métropolitain, ont jusqu’à présent plébiscité les métropoles pour l’accès à l’emploi, aux services, à la culture… Mais demain ?

Le second enseignement porte sur l’opposition artificielle, stérile, voire dangereuse, entre villes et campagnes. Selon les études de l’Insee « la France serait presque exclusivement urbaine et selon la définition statistique de l’espace rural elle serait aussi, pour un tiers, rurale ! Voilà qui a le mérite de montrer que les dynamiques territoriales contemporaines sont bien très réticulaires et interterritoriales » a observé Hélène Reignier, professeure, à l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional, Aix-Marseille université qui a estimé que « ces trajectoires des territoires métropolisés en transition sont fortement caractérisées par l’extension et la reconnaissance des interdépendances territoriales, par de nouveaux assemblages, des reconnexions entre les espaces et les flux, des combinaisons renouvelées entre des ancrages variés tels que l’école de nos enfants, nos lieux de travail, de résidence et nos mobilités ». Mais à côté de ces interdépendances, de ces reconnexions entre territoires, les métropoles sont aussi vécues par nombre de français et d’élus d’autres territoires comme des espaces de séparation, de concentration, véhiculant une forme de mépris social. « La séparation sociale est souvent corrélée à la séparation géographique. On l’a vu à Rouen avec une forme de retour territorialisé de la contestation sociale dans le cœur des métropoles où des populations nous interpellaient avec des arguments très légitimes estimant être des exclues de la métropolisation et plus largement du modèle de mondialisation », a fait remarquer Nicolas Mayer-Rossignol.

Là encore le temps long nous renseigne sous la plume de Balzac dans Illusions perdues5 où il décrit avec force détails Angoulême, théâtre d’une rivalité haineuse entre la ville haute et la ville basse, à savoir l’Houmeau, faubourg commerçant et industriel, « deux zones sociales constamment ennemies en tous lieux ». Il est encore question de « distance morale qui séparait, encore plus fortement que la distance locale, Angoulême de l’Houmeau… L’habitant de l’Houmeau ressemblait assez à un paria. De là procédaient ces haines sourdes et profondes […] [qui] détruisirent les éléments d’un durable État social en France ». L’action se déroule dans les années 1821-1822, au début de la Restauration...

De nos jours les rivalités ou le mépris qui tiennent à distance les habitants des deux rives d’un fleuve, un département et une métropole, une région rurale d’une métropole n’ont absolument pas disparu. Vue d’une petite commune rurale du Périgord vert, une métropole comme Bordeaux est vécue comme une grande entité lointaine qui ne s’occupe pas du tout de ce qui se passe à une centaine de kilomètres d’elle. La solidarité dont parlent les métropoles s’effectue au sein de leurs territoires mais pas avec le monde rural plus lointain. « Pour les Bordelais nous sommes une base de loisirs verts, un paysage préservé, un patrimoine gastronomique, un territoire d’implantation d’éoliennes mais il n’y a pas de co-développement avec eux. Même Périgueux peut se montrer hégémonique ! », témoigne un ancien maire d’une petite communale rurale de la région.

Voilà qui pose l’épineuse question d’une volonté véritable de « vivre ensemble » et techniquement de la gouvernance tant au sein des métropoles qu’avec le monde rural dans une France où institutions et individus restent attachés à leur pré carré. L’autonomie alimentaire des territoires dont on parle tant n’aura pourtant que peu de chance de voir le jour si le monde rural n’est pas réellement associé aux projets des métropoles dans ce domaine dans un esprit gagnant-gagnant. Quant à la question climatique « le modèle métropolitain tel qu’il a été pensé, défini, analysé et mis en œuvre jusqu’à présent faisait très peu cas de la question environnementale, de l’urgence climatique, des défis écologiques. Le fait de mettre tout en haut de la feuille de route la question environnementale, oblige de fait à changer de modèle », a estimé Magali Talandier. De ce point de vue on peut regretter l’absence au colloque de la communauté d’agglomération de La Rochelle, pionnière en matière d’environnement en France6, et qui vise à faire de son territoire le premier à afficher un bilan zéro carbone d’ici 2040. Son témoignage aurait été précieux tant en matière environnementale que pour la gouvernance du projet car il implique des communes aux profils très divers (façade maritime, périphérie urbaine, ruralité).

La pollution générée par les métropoles ou par les communes rurales via les pesticides ne s’arrête pas aux limites de leurs territoires respectifs ! Là encore il s’agit de trouver une entente au sein de la métropole mais aussi avec les territoires ruraux qui l’entourent. Selon Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole de Strasbourg : « Si nous voulons construire une métropole relationnelle, il faut faire évoluer notre gouvernance vers une logique de contractualisation avec les communes voire de territorialisation de notre métropole. » Mais au-delà des discours c’est à travers les actes que l’on pourra juger si les velléités de coopération, de réciprocité que souhaitent les métropoles avec les autres territoires deviennent des réalités tangibles, conséquentes et durables. Les pactes de gouvernance intercommunale issus de la loi Engagement et proximité de 20197 devraient, cette année, apporter des indications notables sur la volonté de coopération des uns et des autres.

  1. https://colloque2021.popsu.archi.fr/
  2. La métropole de Toulouse, touchée par l’atonie du transport aérien, a constitué en 2020 une commission d’experts qui a fait des propositions sur l’évolution de son modèle économique et de fonctionnement.
  3. Gapenne B., « Christian Saint-Étienne, professeur de la chaire d’économie au Conservatoire nationale des arts et métiers (CNAM) », Horizons publics juill.-août 2020, n16, p. 4-7 : « Il faut confier la transformation aux opérateurs de terrain et pas à cinquante types dans des bureaux à Paris. »
  4. Jean-Luc Moudenc, est intervenu dans la première table ronde intitulée « Trajectoires métropolitaines : regards croisés » aux côtés de Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, de Johanna Rolland, présidente de France Urbaine, présidente de Nantes Métropole et de Nicolas Mayer-Rossignol, président de la Métropole Rouen Normandie. Les élus ont croisé leurs regards sur la résilience des métropoles et la reconstruction de récits autour des trajectoires métropolitaines et des transitions territoriales avec ceux portés par les professeures Magali Talandier de l’université Grenoble Alpes et Hélène Reigner de l’université d’Aix-Marseille. Le présent article porte sur cette table ronde.
  5. de Balzac H., Illusions perdues, 1837-1843.
  6. Les vélos jaunes en libre-service datent de 1976 sans oublier les rues piétonnes, les premières expériences de journée sans voiture, les véhicules électriques en libre-service ou encore le bateau à hydrogène.
  7. L. n2019-1461, 27 déc. 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.
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