Un Grand débat sur la « Fabrique de nos villes »

Place du Carré gris à Nantes fabrique de la ville
L’expédition urbaine du 13 mai 2023. L’occasion de découvrir la place du Carré gris au Breil-Malville réaménagée en quatre pôles : ici la Scène, transformable en écran, avec son mobilier pour favoriser la rencontre ; le Plan de travail avec son four à pain pour la convivialité ; le Jardin pour le repos ; l’Etabli avec ses tables hautes pour des activités.
©Frédéric VIlle
Le 30 mai 2023

Un Grand débat sur la « Fabrique de nos villes » se déroule actuellement à Nantes Métropole. L’occasion d’impliquer le citoyen dans un comment mieux habiter, mieux construire, et de s’interroger sur la densification, à l’heure du Zéro artificialisation nette (ZAN).

Depuis mars 2023 s’est ouvert un quatrième Grand débat à Nantes Métropole (1) : « Fabrique de nos villes. Ensemble, inventons la ville de demain ». À l’origine, une réunion publique, avec des temps d’échanges entre citoyens et professionnels de la fabrique de la ville : promoteurs, bailleurs sociaux, architectes, urbanistes, sociologues… « Comme pour les autres Grands débats, on sollicite les citoyens sur leur manière de voir le développement de la ville, souligne Pascal Pras, vice-président de Nantes Métropole à l’habitat, aux projets urbains et à l’urbanisme durable et maire de Saint-Jean-de-Boiseau. Pas seulement sur les constructions, mais aussi sur les usages : comment vivre la ville, comment y faire société ? ». Sans revenir sur « cette concertation intéressante », Sandra Impériale, maire de Bouguenais et conseillère communautaire d’opposition, en pointe toutefois « le coût important : 700 000 euros ».

Cinq ateliers thématiques

Le développement durable s’invite naturellement dans ce Grand débat : ressources, eau, matériaux, place de la nature, lutte contre les îlots de chaleur, etc. « La réflexion est déjà engagée dans le PLU métropolitain de 2019 et dans le PLH 2019-2025 ou à travers des appels à manifestation d’intérêt comme celui sur Bois et matériaux biosourcés visant 20 % de constructions bois en 2025. Mais il était important de confronter notre action aux habitants et aux professionnels ».

Nantes métropole la fabrique de la ville

La métropole de Nantes met à disposition des habitants un document socle pour décrypter les grands enjeux de transformation de la ville. Ici un extrait de ce document qui montre sur une double page les paysages urbains et naturels de la métropole.

Ainsi, cinq ateliers thématiques (avec leurs sous-ateliers) ont pour objectif de challenger les façons de fabriquer la ville. Certains s’adressent aux citoyens, comme ceux sur les modes de vie pour réfléchir aux manières d’habiter selon qu’on est en centre-ville et centre-bourg, en hameau ou village, en lotissement ou en grand ensemble. Les ateliers des controverses adoptent un jeu de simulation où l’on devient un acteur de la fabrique de la ville, ceci autour de la mobilité, mixité sociale, attractivité, densité ou paysage. L’atelier « La crise dont vous êtes le héros » s’adresse aux 16-30 ans pour imaginer la ville de demain face aux défis (canicule, pandémie, crise humanitaire…), celui de « La ville à hauteur d’enfants » les 8-13 ans via les espaces jeunes ou centres de loisirs. Enfin, l’atelier Pro permet des échanges entre professionnels en cinq ateliers : financement de la fabrique de nos villes, nature en ville, enjeu du foncier, défi du logement et urbanisme circulaire. Un temps sur les matériaux de demain impliquera des professionnels expérimentés lors d’une table ronde sur la construction biosourcée, sans oublier une expédition urbaine autour de projets utilisant des matériaux biosourcés et/ou de réemploi. Pour Sandra Impériale, « ces thématiques sont très larges, je souhaiterai plus de concret comme pour les matériaux de demain je l’espère ».

Le Grand débat aborde aussi de nouvelles formes d’habitat : partagé, participatif. Gaël Simon, citoyen rencontré lors de l’expédition urbaine du 13 mai 2023, est demandeur : « Le sens du collectif me séduit. Tout est à penser sans que personne ne se marche dessus, mais avec des équipements communs. Partager un atelier est intéressant pour des raisons de place et/ou de moyens… ».

Les efforts d’un quartier

Les habitants participent donc, notamment aux quatre balades urbaines, à la rencontre d’expérimentations et initiatives. Nous sommes ce 13 mai dernier un peu plus d’une cinquantaine de personnes à arpenter les rues et immeubles du quartier Breil-Malville, emmenés par Lucille Vinchon, codirectrice de l’Association régionale pour la diffusion et la promotion de l’architecture, et Chloé Guillemot, chargée de mission Grand débat à Nantes Métropole. L’histoire de ce quartier, de sa construction dans les années 50 et 60 à sa rénovation urbaine actuelle, nous est contée par des urbanistes, sociologues, élus... Il s’agit de mieux traverser ces longues barres d’immeubles, de casser des allées rectilignes propices aux motos, d’ouvrir le quartier vers le stade voisin, de redonner sa place au pôle associatif. Plus loin, on découvre la place du Carré gris avec l’architecte Anne Bourbon, du Collectif Gru (5 chargées de projet), qui nous parle d’ « aménagements transitoires pour tester des usages, voir comment les gens s’en emparent et ainsi enrichir les aménagements définitifs ». Pour un groupe de participants, « le jaune du mobilier met du soleil sur la place, on s’imagine un repas partagé, un vide-grenier… ». Bientôt d’ailleurs, il y aura ici un marché. Dommage que le four à pain ait été récemment détruit et que le pôle Jules Noël ait été incendié lors d’une émeute… L’occasion en tout cas pour Isabelle Angélique, membre du Conseil citoyen Breil-Malville de rappeler pour chaque projet la nécessité de « remonter et faire entendre la parole de l’habitant ».

Puis on découvre l’ancienne église Saint-Luc, bientôt reconvertie en tiers-lieu culturel. L’expédition urbaine se poursuit au « Peigne » (forme des immeubles) où Guillaume Bolzer, de Nantes Métropole Habitat, parle amélioration des espaces verts et aires de jeux, récupération des eaux de pluies, sécurisation des pieds d’immeubles, restructuration des locaux communs et caves, etc. La troupe termine son périple devant le centre de santé qui ouvrira l’automne prochain, avec un accent sur médiation et permanence des soins. On l’aura compris, la balade valorisait les efforts d’un quartier pour « rendre les densités nécessaires agréables », concluait Lucille Vinchon. Deux autres balades ont lieu en juin : sur la nature en ville à Saint-Herblain et Indre ou pour une densité urbaine désirable en cœur de bourg à Sautron et Bouguenais, quand bien même cela ne va pas de soi pour ceux qui étaient là avant…

Alliance des territoires ?

Ce Grand débat interroge en effet une notion importante… et qui fait débat : la densification. Nantes Métropole n’a pas esquivé. Ainsi les ateliers de la controverse par exemple abordent le thème de la densité, entre citoyens et pros le 15 juin 2023. À quoi bon, puisque les objectifs du Zéro artificialisation nette (ZAN) s’imposent ? « Le ZAN fait partie des entrants incontournables, reconnaît Pascal Pras. D’ailleurs, le PLUM n’a pas attendu qui a déjà adopté une réduction de 50 % de la consommation des espaces agricoles et forestiers ». Un autre entrant, le programme local de l’habitat (PLH) fixe lui la construction à 6 000 logements neufs par an dont 2 000 sociaux.

Produire à un coût acceptable, voilà l’enjeu. En effet, le ZAN renchérit le coût de la construction, puisque recycler la ville sur elle-même coûte plus cher (dépollution, démolition…). S’ajoutent à cela l’inflation, l’accès plus difficile au crédit, la multiplication des locations type Airbnb au détriment de l’offre locative classique... « La production de logements, y compris sociaux, se ralentit donc », observe Pascal Pras, pour qui il faut donc « construire un peu plus dense et un peu plus en hauteur ». Tout en prévoyant des compensations : végétaliser, développer des îlots de fraîcheur en désartificialisant par exemple les cours d’école, offrir des services (commerces de proximité, équipements de petite enfance et de santé, transports en commun…).

Mais la densification aurait aussi des inconvénients en matière de santé, sécurité, bruit, etc. Sandra Impériale déplore des problèmes de voisinage et de sécurité là où sa ville a beaucoup densifié : « On essaie de ralentir le rythme pour calmer la population ». « Des villes moyennes sont aussi touchées par l’insécurité, rétorque Pascal Pras. La santé, ce sont aussi les espaces verts et les espaces communs ». Et l’esthétique ? Pour Sandra Impériale, elle n’est pas assez abordée dans les débats : « Les services de Nantes Métropole me disent : construisez en gris, car cela ne salit pas, en béton car ce n’est pas cher, ne végétalisez pas trop car c’est compliqué à entretenir. Résultat, les nouveaux immeubles ressemblent à des prisons… Ceux métalliques du mail Picasso à Nantes sont des fours où il fait 40 ° C. l’été : seules des familles modestes resteront. Or, on peut faire de la qualité : à La Teste-de-Buch ou à Arcachon, des écoquartiers ultra-densifiés utilisent des matériaux biosourcés, l’eau est récupérée, les déchets sont enterrés ». Oui, mais ces communes sont riches… Sandra Impériale n’en démord pas : « Si on construit mal, cela nous reviendra comme un boomerang ».

Autre solution, assouplir le ZAN ? « Il y aura des dérogations pour projets d’intérêt public, prévoit Sandra Impériale. Sans cela, impossible de déplacer notre collège, car entre les zones agricoles et humides, nous n’avons pas de place ». Le Sénat a bien déposé une proposition de loi pour assouplir le ZAN, mais rien n’est encore acquis.

L’inéluctable renchérissement du coût du foncier ne va-t-il pas déplacer la demande en périphérie de l’agglo et même au-delà ? Pascal Pras acquiesce, mais sous conditions : « À l’échelle de notre pôle métropolitain Nantes-Saint-Nazaire, le pavillon individuel trouvera encore sa place, mais pas à 1 000 m2 comme avant. Dans les ZAC de la métropole, les jardins des maisons de ville sont à 350-380 m2 désormais. Dans notre village ancien de Boiseau, la densité de logements est depuis longtemps à 50-55 logements par hectare et personne ne s’en plaint ». Et les potagers ? « 500 m2 chez soi, c’est trop, il vaut mieux opter pour des jardins partagés », préconise l’élu. Pour Sandra Impériale, le Grand débat doit aller au-delà de l’agglo nantaise : « Interrogeons l’alliance des territoires au niveau du département. Si on densifie sur la métropole et qu’on laisse les autres intercommunalités avec du pavillonnaire, on va faire des tours de six étages dans le peu d’espaces périurbains qui nous restent ».

Ce Grand débat prendra fin le 9 juillet 2023. Ses sept garants désignés par les sept groupes politiques de Nantes Métropole récupèreront les cahiers d’acteurs (professionnels, habitants, élus et associations) et les contributions individuelles. Ils remettront en octobre 2023 une synthèse aux élus qui « en tireront une feuille de route d’ici fin 2023, selon Pascal Pras. On appliquera au fur et à mesure : par exemple produire tels types de logements, faire des îlots de fraîcheur, etc. Un groupe de travail sera maintenu sur le sujet ».

(1) Après « Nantes, la Loire et nous » (2014-15), « Transition énergétique » (2016-17), « Longévité, Ouvrons les possibles » (2019).

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