Revue
DossierUn nouvel horizon démocratique pour le Conseil économique, social et environnemental (CESE)
Enjeu environnemental, place des jeunes, représentation des corps intermédiaires (plus de 80 organisations de la société civile), combinaison de consultation en ligne et hors ligne, plateforme numérique type « boîte à idées » pour alimenter le Grand débat national, saisine par voie de pétition papier et bientôt numérique, tirage au sort des citoyens pour participer à des travaux, création d’une commission temporaire « fractures et transitions : réconcilier la France » avec participation des citoyens pour faire face à la crise des gilets jaunes, etc. Pour Patrick Bernasconi, le CESE est engagé dans une réforme en profondeur.
C’est à la suite de la Libération, après la suppression imposée par le régime de Vichy de son ancêtre, et dans une promotion de la « démocratie sociale » issue du programme du Conseil national de la Résistance, que la IVe République instaure un Conseil économique dans la constitution de 1946. Celui-ci deviendra le Conseil économique et social dans celle de 1958. Pour l’historien Alain Chatriot, c’est face au constat d’une « rupture politique » que le général de Gaulle a été amené à repenser l’État, articulant un exécutif fort et une nouvelle représentation nationale. On attribue à cette nouvelle assemblée une triple mission. Celle de conseiller le Gouvernement dans son élaboration des politiques publiques à caractère économique et sociale, celle de favoriser un dialogue entre les organisations syndicales (bien souvent difficile au regard de leurs intérêts divergents, voire en opposition) et enfin une mission d’information du Parlement. Aux côtés de l’Assemblée nationale et du Sénat, ce lieu d’expression de femmes et d’hommes issus de parcours différents et de toutes professions, a pour mission principale d’éclairer les pouvoirs publics. C’est alors de manière naturelle, face à l’essor de l’enjeu environnemental dans les politiques publiques et d’un souhait exprimé lors du Grenelle de l’environnement de 2007, que sa dénomination et son champ de compétence se voient élargis aux questions « environnementales ». Si par cette réforme constitutionnelle de 2008, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) prend désormais en compte cet enjeu actuel, il se modernise également par l’abaissement de l’âge minimal pour y siéger, permettant d’y faire entrer les organisations de jeunesse et peut se voir, à présent, saisi par pétition citoyenne. Notre assemblée s’est donc, dès sa création, toujours adaptée, modernisée, renforcée, et a accompagné les évolutions de la société, comme c’est encore le cas aujourd’hui.
Une réforme engagée depuis 2015
Face à une crise de défiance envers les politiques, ainsi qu’envers les institutions et les organisations intermédiaires, crise qui aujourd’hui est à son paroxysme avec les Gilets jaunes, j’ai, dès 2015, considéré que nous devions envisager notre propre réforme pour aller plus loin dans la prise en compte des préoccupations des citoyens. Un enjeu nécessaire d’oxygénation de notre démocratie. J’ai proposé un projet collectif de réforme de l’assemblée, pour accorder une place plus grande aux Français et construire une articulation entre ces derniers et les citoyens engagés dans les organisations qui composent le CESE.
Au-delà de la consultation de groupe de citoyens pour contribuer et donner un avis, le CESE intègre des citoyens à sa commission pour construire et rédiger l’avis. Ce sont cette composition et cette co-production qui donneront sa force à notre rapport. Signe du caractère résolument moderne de notre assemblée, nous sommes fiers aujourd'hui de travailler en permanence à l'amélioration de la participation des citoyens dans l'élaboration des politiques publiques et à la construction de travaux de qualité.
À l’instar de cette réforme appelée de mes vœux, Emmanuel Macron a exprimé le souhait, dans son projet de révision constitutionnelle, de moderniser le CESE. Cette réforme est une formidable opportunité et confirme cette volonté sur laquelle je me suis fait élire. Le président de la République a, dans son discours du 3 juillet 2017 devant les parlementaires réunis en congrès à Versailles, ainsi que dans ses vœux aux institutions et aux corps constitués du 30 janvier 2018, tracé les lignes de cette modernisation constitutionnelle.
Il exprimait alors sa volonté de faire du CESE le « canal privilégié de la participation des Français à la décision publique », en devenant notamment « le réceptacle des pétitions citoyennes ». Le conseil aura également pour mission d’organiser les consultations publiques sur tout projet de réforme. Par toutes ces modernisations, le CESE doit devenir le « trait d’union entre la société civile et les instances politiques » 1. Le président de la République souhaite par cette révision clarifier le rôle de chaque assemblée en renforçant leur complémentarité. Cette réforme, qui peut sembler aujourd’hui « en attente », se verra certainement propulsée sur l’agenda parlementaire à la suite du Grand débat national. Nous avons souhaité prendre pleinement part à cette réforme, en expérimentant et proposant des dispositions au président de la République. Si la modernisation de notre assemblée était ainsi déjà lancée, les événements actuels, entre demande de participation et rupture du dialogue, nous incite à aller encore plus loin.
Une institution proche des citoyens
Le CESE est une assemblée au plus proche des citoyens, et ce aussi bien par notre composition que par nos méthodes de travail. Son rôle dans la société française, sa place dans l’organisation institutionnelle d’instrument de mesure de l’acceptabilité sociale et d’oreille attentive aux revendications des citoyens, sont notamment le fruit de sa formation. Composé de représentants de plus de 80 organisations de la société civile, les plus importantes de notre pays, chaque citoyen voit ses intérêts défendus dans notre assemblée par l’une, l’autre ou plusieurs de ces entités. En effet, tout citoyen est engagé ou bénéficiaire d’une association (que celle-ci soit sportive, relève de la solidarité, de l’entraide, etc.), d’une ONG, d’un syndicat (salarial ou patronal), tout citoyen possède une mutuelle ou exerce une activité professionnelle (quelle qu’elle soit), etc. Chaque citoyen voit ainsi un ou plusieurs de ses intérêts représentés et défendus au sein du conseil, y compris les jeunes. On le sait, la jeunesse est bien trop souvent absente des institutions françaises et notamment des assemblées parlementaires. Elle possède cependant une place au CESE où elle est représentée (et ce, uniquement au CESE) par la présence obligatoire des organisations de jeunesse. Nous avons ainsi pu traiter, par exemple, avec leur apport, d’un sujet au combien difficile et important pour les jeunes, celui de l’orientation. Enfin, désormais l’enjeu environnemental occupe toute sa place dans nos travaux. Un enjeu qui concerne chaque citoyen, bien au-delà de nos frontières et de nos générations. Les Français ont bien conscience de cette faculté de la société civile à porter leurs préoccupations puisqu’ils sont 80 % à considérer que ces organisations sont indispensables pour cette mission2. Cette composition par les représentants des corps intermédiaires place l’assemblée au plus près des citoyens, et ce n’est pas un euphémisme puisque les membres du conseil sont à la fois conseillers, responsables d’organisations et exercent une activité professionnelle. Il est ainsi composé de citoyens ordinaires, mais engagés !
À côté de cette représentation des intérêts de chaque citoyen par les corps intermédiaires, nous avons décidé de nous ouvrir directement aux citoyens, allant ainsi plus loin que nos attributions constitutionnelles et légales. La notion d’engagement, si elle est partagée par un grand nombre de Français, laisse de côté certains citoyens : cela doit ne plus être le cas. Tous les citoyens doivent se sentir concernés par leur propre avenir. Il est alors important, pour notre assemblée souhaitant avoir une représentation la plus complète possible de la société, de pouvoir recueillir les perceptions, les problématiques et les intérêts des citoyens non-engagés, ou ne se sentant pas représentés dans une des organisations de la société civile présentes dans notre assemblée (même si celles-ci totalisent sans doute en adhérents le chiffre correspondant à la totalité de la population active de notre pays.)
Une réforme engagée depuis 2015
C’est ainsi que dès 2015, le CESE a travaillé sur sa propre réforme, avec pour objectif d’accorder une place plus importante à la parole citoyenne dans les travaux de l’assemblée. J’aime dans ces circonstances, présenter le CESE comme « résolument moderne ». Cette affirmation est en cohérence avec notre volonté de profiter des possibilités qu’offre la révolution numérique pour parvenir à cette fin. Aussi, en avril 2018, comme mentionné précédemment, le CESE a adopté un avis sur l’orientation des jeunes. La section de l’éducation et de la communication a construit cet avis en s’appuyant sur les résultats d’une plateforme de consultation des citoyens en ligne, combinée avec de véritables ateliers en présentiel. Nous sommes capables d’articuler consultation en ligne et hors ligne, une combinaison qui semble indispensable afin de permettre une intégration plus juste du citoyen dans l’institution. Les citoyens, et notamment les jeunes qui étaient particulièrement visés par le sujet de cet avis, ont pu exprimer des revendications et réflexions qui ont pour certaines ont été retenues dans l’élaboration de l’avis.
Le CESE a également mis à disposition des Français une plateforme numérique afin d’alimenter sa commission temporaire dans le cadre du Grand débat national. Nous avons opté pour la technique dite de « la boîte à idées », c’est-à-dire une plateforme ouverte (c’est par ailleurs ce même type de plateforme qui avait été préconisé par la Commission nationale du débat public dans son rapport de décembre 2018, dans le cadre du Grand débat national). Cette consultation a réuni plus de 30 000 citoyens. À la suite de celle-ci, la commission du CESE utilisera ces contributions pour alimenter ses thématiques de travail.
Vers une saisine par voie de pétition numérique
Si, comme cité plus haut, le CESE peut, depuis 2008, être saisi par voie de pétition, je n’ai cessé, depuis le début de mon mandat, de regretter l’absence de modernité de cette possibilité puisqu’elle prend uniquement en compte les pétitions papier (du fait du texte de loi organique). Or, nous le savons bien, si l’usage des pétitions par le citoyen se développe, celles-ci sont aujourd’hui numériques. C’est ainsi que le CESE, en décidant d’aller plus loin que la loi, a instauré un comité de veille sur les pétitions en ligne. Ce comité analyse les pétitions en circulation et les sujets les plus fréquemment abordés. Quand les thématiques de ces dernières font partie intégrante des responsabilités du CESE, le bureau du conseil (organe de décision) utilise sa possibilité d’auto-saisine afin de missionner une commission sur ce sujet. Nous ne nous saisissons pas d’une pétition en particulier, mais de la problématique soulevée par la (ou les) pétition(s) identifiée(s) par le comité de veille. L’assemblée a pu, au travers de cette procédure, se saisir de sujet au combien préoccupant pour les Français, par exemple, les déserts médicaux (décembre 2017), la fin de vie (avril 2018), ou encore vieillir dans la dignité (avril 2018), et les enjeux relatifs aux conditions d’élevage, de transport et d’abattage en matière de bien-être animal (travail en cours). Les pétitions dont les problématiques ont été intégrées dans nos travaux, et bien souvent les organisateurs entendus, représentent environ au total 5 500 000 signataires.
C’est par ailleurs le regard attentif de ce comité de veille sur ces pétitions qui nous a permis de sentir monter la contestation d’une partie de la population sur le sujet de la taxe carbone lors de sa réunion du 7 novembre (donc avant l’essor des mobilisations). Au regard du succès croissant et inhabituel (par son nombre et sa rapidité) des pétitions et signatures à ce sujet, le bureau du Conseil a décidé de s’autosaisir de cette question. La prise de conscience de l’ampleur de la mobilisation a entraîné la création d’une commission temporaire. Celle-ci travaille actuellement autour de quatre thématiques : lutte contre les fractures sociales et territoriales, accompagnement de la transition écologique, amélioration du pouvoir d’achat, des conditions de vie et garantie de justice fiscale, et l’instauration de modalités de participation des citoyens à l’élaboration des décisions.
Face à une crise de défiance envers les politiques, ainsi qu'envers les institutions et les organisations intermédiaires, crise qui aujourd’hui est à son paroxysme avec les Gilets jaunes, j’ai, dès 2015, considéré que nous devions envisager notre propre réforme pour aller plus loin dans la prise en compte des préoccupations des citoyens. Un enjeu nécessaire d’oxygénation de notre démocratie.
La participation des citoyens aux travaux de la commission « Fractures et transitions : réconcilier la France »
Après avoir ouvert ses portes aux citoyens ordinaires non-engagés par les plateformes de consultation en ligne et la mise en place de ce comité de veille, c'est aux côtés de la société civile organisée, que nous expérimentons aujourd’hui la pratique du tirage au sort et la participation des citoyens aux travaux des commissions de travail, toujours dans un objectif volontariste d’entendre la plus grande part possible de citoyens son sein. En effet, on le sait, la participation politique en ligne n’est pas une évidence pour l’ensemble des citoyens. En cause, les fractures numériques bien évidemment (le défenseur des droits a d’ailleurs récemment rappelé leurs importances), mais également la reproduction de la logique abstentionniste et d’auto-exclusion électorale, ce que le politiste Daniel Gaxie nomme le « cens caché » du vote, faisant référence au suffrage censitaire, une restriction du droit de vote pratiquée notamment aux xviii et xixe siècles. Le tirage au sort permet de contourner cet obstacle, allant chercher une population habituellement hors du jeu politique, et de rechercher dans notre assemblée la représentation de la globalité de la société, dans toutes ses particularités.
C’est au sein de cette commission temporaire qu’est expérimentée cette ambition déjà présente depuis quelque temps au CESE de la pratique du tirage au sort des citoyens pour travailler d’unisson avec les conseillers. Ving-six citoyens ont ainsi été tirés au sort (la commission temporaire comprend vingt-neuf conseillers, c’est donc un chiffre quasiment égal). Ce groupe des citoyens est invité à produire une contribution écrite qui a vocation à être intégrée dans la contribution finale du Conseil au Grand débat national. Afin d’assurer un échange entre le groupe de travail des citoyens tirés au sort et celui des conseillers de l’assemblée, cinq membres de chaque groupe participeront aux travaux de l’autre. Cinq citoyens tirés au sort sont donc présents dans la commission temporaire des conseillers du CESE, au même rythme qu’eux, avec les mêmes documents, et cinq conseillers seront présents lors des week-ends où le groupe de citoyens travaillera sur ces thématiques. Cette contribution au Grand débat national sera proposée au vote des conseillers du CESE en séance plénière le 12 mars.
Cette commission temporaire « fractures et transitions : réconcilier la France » met en œuvre l’articulation de l’ensemble des dispositifs de représentation et de participation des citoyens : le comité de veille des pétitions en ligne (qui nous a permis de nous saisir de la question de l’acceptabilité de la fiscalité écologique avant la structuration du mouvement dit des « Gilets jaunes »), les représentants de la société civile organisée (représentant les intérêts d’une large part de la population, qui de par leur engagement possèdent une réflexion sur ses enjeux et ont l’habitude de produire des consensus par la confrontation des intérêts parfois divergents), la plateforme de consultation en ligne (afin de faire participer l’ensemble des citoyens, y compris non-engagé dans une organisation, à la réflexion), et enfin le tirage au sort des citoyens (afin de faire entrer dans notre assemblée les populations habituellement les plus éloignés de la participation politique, mais qui ont le droit à cette parole). Le tirage au sort est une première et ce d'autant plus que des citoyens participent aux travaux de la commission. C’est une première et une particularité que seule notre assemblée peut mettre en œuvre. Au-delà de la consultation de groupe de citoyens pour contribuer et donner un avis, le CESE intègre des citoyens à sa commission pour construire et rédiger l’avis. C'est cette composition et cette co-production qui donneront sa force à notre rapport. Signe du caractère résolument moderne de notre assemblée, nous sommes fiers aujourd’hui de travailler en permanence à l’amélioration de la participation des citoyens dans l’élaboration des politiques publiques et à la construction de travaux de qualité.
Le CESE est prêt, par le biais de ces nouveaux dispositifs, à être la seule assemblée, puisque non législative, à pouvoir intégrer des citoyens au cœur de ces travaux.
Le CESE, dans cette société dont on constate si souvent qu’elle est éclatée, est l’assemblée qui rassemble en son sein des organisations, ONG, syndicats, associations qui, à l’extérieur s’affrontent, et au CESE travaille à élaborer des solutions partagées.
1. Discours d’Emmanuel Macron devant le Parlement en Congrès le 3 juillet 2017.
2. Sondage Ifop, « Les Français, la société civile et le CESE », févr. 2018.