Camille Morio : «Il faut éviter la boîte noire participative»

Camille Morio
Le 8 septembre 2020

Camille Morio, chercheuse et enseignante en droit public à l’université Grenoble-Alpes, est actuellement maîtresse de conférences en droit public à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. Elle a été membre de l’Observatoire des débats sur le Grand débat national et a également participé à la mise en place du droit d’interpellation auprès du service Démocratie locale de la mairie de Grenoble.

 

Elle vient de publier Le guide pratique de la démocratie participative locale qui recense les différents dispositifs mobilisables par les collectivités (communes, intercommunalités, régions, etc.) pour lancer des démarches de consultation et de participation citoyennes.

 

Nous l'avons rencontré pour lui demander où en sont les collectivités locales dans l'appropriation de ces démarches, comment impliquer davantage les citoyens en milieu rural, dans les petites villes ou les quartiers populaires et quels sont les écueils à éviter lorsqu’on lance un dispositif de participation citoyenne.

La participation citoyenne est devenue en quelques années une composante essentielle de la fabrique des politiques publiques. Où en sont les collectivités et les élus locaux dans l’appropriation de ces multiples outils et dispositifs de participation ?

Sur le plan quantitatif, il n’existe pas de statistiques en matière de participation, encore moins de recensement officiel, ce que l’on peut regretter. Or, on sait qu’il existe tant des dispositifs obligatoires (conseils de quartier, conseils de développement, etc.) que des outils facultatifs (comités consultatifs, référendum, etc.) et des procédés à respecter. Je pense qu’un facteur primordial dans l’appropriation de ces outils est d’abord la volonté d’associer les habitantes et les habitants à la prise de décision publique. Toutefois, il semble qu’il y a une conscience grandissante de ces enjeux, en témoigne la multiplication des listes dites « citoyennes » aux dernières élections municipales. Un autre facteur important est… la connaissance des outils de participation ! Je trouvais qu’il y avait une lacune là-dessus, et c’est la raison pour laquelle j’ai écrit le Guide pratique de la démocratie participative locale.

Quels sont les outils ou les dispositifs qui peuvent faire la différence pour impliquer les citoyens notamment en milieu rural, dans les petites villes ou les quartiers populaires ?

Je crois qu’il y a un besoin commun, c’est celui d’entrer en résonnance avec ce qui se décide par les pouvoirs publics. D’une manière ou d’une autre, la démarche participative doit avoir un impact : il ne suffit plus de dire « nous avons entendu votre avis ». Si l’avis citoyen n’est pas repris par les pouvoirs publics, il devrait a minima y avoir une justification, avec une référence explicite à la proposition citoyenne. Il s’agit en somme d’éviter la « boîte noire » participative. Du point de vue de l’appropriation d’idées citoyennes par les pouvoirs publics, le budget participatif est un outil concret, et très simple dans son principe. Après, chaque collectivité, chaque territoire a ses spécificités. La bonne nouvelle, c’est qu’un véritable secteur professionnel est en train de se développer : le mieux est encore de se faire accompagner pour ajuster la démarche à ces spécificités.

Quels sont les écueils à éviter lorsqu’on lance un dispositif de participation citoyenne ?

On peut en identifier deux principaux. Le premier est à mon sens de ne pas être au clair, en tant que personne élue, sur sa propre démarche. Il est capital d’identifier le degré d’association avec les habitants que l’on veut mettre en place. Veut-on discuter de l’essence même d’une politique, ou bien veut-on en co-construire les options principales sans en changer l’essence, ou encore n’est-on prêt à entendre l’opinion des tiers que sur des points très secondaires de la politique en question ? Le deuxième est lié à un facteur de mobilisation : ne pas se placer dans une démarche de reddition des comptes risque fortement de faire capoter un dispositif de participation. Au début, les habitants pourront venir, mais lorsqu’ils verront qu’il n’y a pas de résultat concret, ou au moins une explication sur le refus de prendre en compte une idée venant du public, ils ne prendront plus la peine de venir, sauf les plus motivés d’entre eux, qui sont souvent toujours les mêmes.

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