Et si l’avenir de la démocratie participative reposait sur la pop culture ?

Pop démocratie
Pour Frank Escoubès, il est urgent de rallumer le désir de démocratie en s’appuyant sur la puissance de l'imaginaire de la pop culture.
©JuliPaper - AdobeStock
Le 25 septembre 2023

C’est la conviction de Frank Escoubès, cofondateur de la société Bluenove et auteur d’un essai intitulé Pop démocratie. La démocratie est (aussi) une fête1. Il préconise de réenchanter la démocratie grâce au soft power de la pop culture, en ayant recours aux techniques de l’éducation populaire et en faisant évoluer la façon dont les médias traitent l’information.

« La démocratie est devenue un objet froid, aride et très institutionnalisé sous toutes ses formes. Les conventions citoyennes se sont vite transformées en formats trop procéduriers, véritables usines à gaz avec avec échantillonnages complexes et surencadrements », confie Frank Escoubès dès les premières minutes de l’entretien qu’il nous a accordé à l’occasion de la parution de son court essai. Pour cet expert de la participation citoyenne, co-fondateur de Bluenove, une société de technologie et de conseil parisienne qui s’est fait connaître du grand public au moment du Grand débat national en 2019 – et qui a fait de « l’intelligence collective massive » une de ses marques de fabrique pour organiser des consultations et des débats dans les entreprises et les organisations publiques –, la démocratie a besoin d’un nouveau souffle. Du mouvement des Gilets jaunes à la réforme des retraites marquée par le recours au 49.3 pour contourner le débat parlementaire, la crise démocratique s’enracine progressivement dans notre pays.

La démocratie participative doit dépasser les figures imposées, entre quatre murs d’un bâtiment institutionnel.

Ceci, sans compter les taux d’abstention record aux élections locales comme nationales, la crise répétée de confiance envers les élus, les débats politiques devenus inaudibles pour une grande majorité de nos concitoyens ou encore l’impopularité chronique des présidents en exercice, etc. : « Nous jouons nos dernières cartouches en matière de démocratie participative. Il y a une vraie fatigue et une vraie désillusion. Il ne faut pas rater sa cible […]. Le dispositif participatif de la Convention citoyenne pour le climat a finalement été torpillé par la promesse du “sans filtre”. La Convention citoyenne sur la fin de vie est condamnée à être suivie d’effets », nous met en garde Frank Escoubès. L’erreur consiste aujourd’hui à faire, selon lui, de ce format de convention, l’alpha et l’omega, de la démocratie participative, qui traduit une incompréhension et une méconnaissance des dynamiques participatives. La démocratie participative doit dépasser les figures imposées, entre quatre murs d’un bâtiment institutionnel.

« Dans ce contexte, écrit Frank Escoubès dans l’avant-propos de son ouvrage, la question à se poser est de savoir comment faire de la “démocratie-repoussoir” que nous connaissons, et qui fabrique des records d’abstention, scrutin après scrutin, une “démocratie désirable” ? »

Trois nouveaux fronts pour réenchanter la démocratie

« Il faut désinstitutionnaliser la démocratie, la rendre plus accessible, populaire dans ses modes d’expression et de manifestation », explique ce fin connaisseur de la mécanique démocratique, co-auteur, en 2021, de La démocratie, autrement. L’art de gouverner avec le citoyen2, avec Gilles Proriol, qui militait déjà pour une démocratie inclusive et collective. Pour y arriver, il faut ouvrir trois nouveaux fronts pour réenchanter la démocratie : un front culturel, concitoyen et médiatique.

Le premier front, culturel, consiste à rallumer le désir de démocratie en s’appuyant sur la pop culture. Que signifie exactement la pop culture ? Selon la définition Wikipédia : « La culture populaire, parfois abrégée en “pop culture”, représente une forme de culture dont la principale caractéristique est d’être produite et appréciée par le plus grand nombre, à l’opposé d’une culture élitiste ou avant-gardiste qui ne toucherait qu’une partie aisée et/ou instruite de la population. »

« Si la démocratie a aujourd’hui un avenir, c’est (aussi) en dehors des limites du Gouvernement et du Parlement. C’est ailleurs que nous devons aller chercher des vitamines, hors de toute tradition figée, dans ce que la culture a de plus stimulant à nous proposer. Pour être plus précis, dans ce que la “culture populaire” – la pop culture – est capable, par la magie colossale de son impact, de nous transmettre, toutes classes et toutes générations confondues : musique, cinéma, roman, science-fiction, série télé, bande dessinée, jeu vidéo, photo, stand-up, podcast, mode, design, fiction, radio, documentaire, théâtre, animation, festival, pop art, street-art, etc., autant de formats dont la principale caractéristique est d’être produits et aimés par le plus grand nombre, à l’opposé d’une culture élitiste ou avant-gardiste qui ne touche qu’une partie aisée ou instruite de la population » : ce court extrait de Pop démocratie de son pamphlet pour la pop démocratie résume bien à lui seul le message.

Il faut s’appuyer sur la force de frappe, le pouvoir de séduction, bref le « softpower », comme disent les spécialistes, de la pop culture pour revivifier et redonner du souffle à la démocratie. Ainsi, par exemple, la bande dessinée Le monde sans fin de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, meilleure vente de librairie en France en 2022, peut faire bouger les lignes plus vite que les institutions. « La littérature de science-fiction est un outil majeur de la conscientisation. On pense à 1984 de Georges Orwell3 ou à La Planète des singes de Pierre Boulle4, mais aussi à Soleil vert5, sorti dans les années 1970, qui reste encore aujourd’hui un film culte qui dit tout de notre époque. Il raconte un New York submergé par une température caniculaire, face à une crise écologique majeure. Le scénario posait déjà les questions de la transition écologique et de la fin de vie ! Ce film visionnaire a eu plus d’impact que le rapport Meadows6 de 1972 à l’origine de la pensée écologiste », explique cet inconditionnel d’Émile Cioran et de Pierre Desproges.

Le deuxième front, concitoyen, est une démarche d’« aller vers » les citoyen·nes là où ils vivent, consomment, se divertissent, font du sport, voyagent ou se promènent. Pourquoi ne pas installer dans ces lieux de vie des petits « corners » de la démocratie ?

C’est l’idée avancée par Frank Escoubès, inspirée du mouvement d’éducation populaire, pour rallumer la flamme démocratique des citoyen·nes : « Les centres commerciaux et les gares, par exemple, ont changé de fonctions. Ce sont devenus des lieux de vie où les gens flânent, déambulent ou encore échangent. Pourquoi ne pas installer, comme aux Galeries Lafayette ou dans les grands magasins, de petits espaces, corners, pour parler de démocratie ? », confie-t-il. Les librairies indépendantes au nombre de 3 500 en France qui ont l’habitude de recevoir du public pourraient aussi figurer dans la liste de ces petits espaces de la démocratie.

Enfin, le troisième et dernier front est médiatique : « Nous vivons dans une monarchie, celle des médias, c’est la “médiarchie”, pour reprendre le terme inventé par Yves Citton, professeur de littérature et spécialiste de l’information. » Pour revitaliser le débat démocratique, le rendre plus désirable, les médias mainstream doivent repenser leur façon de restituer l’information. Leur manière actuelle de rendre l’information est encore trop pauvre, linéaire, textuelle, et génère un temps d’attention limité : il y a un vrai besoin de renouveau de l’information.

Pour Frank Escoubès, ce renouveau passe par une mutation de la fabrique de l’information, la diversification des formats : « Pourquoi ne pas traiter les informations en ayant recours plus souvent à des cartographies ? »

En associant les citoyens et lecteurs dans le choix des sujets : « La presse quotidienne régionale (PQR), comme Ouest France ou La Voix du nord, par exemple, associent régulièrement leurs lecteur·rices au choix des sujets à traiter. » Les médias ont leur part de responsabilité dans la crise démocratique, ils doivent se réinventer pour accompagner le réveil démocratique, c’est en quelque sorte l’idée portée par Frank Escoubès.

Et si finalement, pour raviver la démocratie, l’enjeu consistait à réformer purement et simplement les institutions ? « Parmi la réforme centrale, l’insertion du citoyen dans le débat parlementaire afin qu’il puisse être partie prenante de la décision politique. Par exemple en l’intégrant dans des commissions parlementaires mixtes, siégeant directement avec les députés. Plutôt qu’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), on devrait envisager des référendums à répétition. Un premier référendum-test (“un coup pour voir”), et un deuxième pour trancher définitivement (“tout bien réfléchi”). Cela aurait évité l’impasse du Brexit… ».

Imaginez que la démocratie soit invitée à un dîner… 7

Elle serait sans doute perçue comme le voisin de table teigneux, rabat-joie et méprisant, à fuir absolument. Il en va ainsi de la démocratie contemporaine : au mieux, elle nous ennuie, au pire, elle nous désole et nous exaspère. Trop institutionnelle, trop technique, trop froide.

Et si l’on ravivait la démocratie pour la rendre de nouveau fréquentable, voire désirable ? Est-ce que des fêtes de l’Huma ou des Nuits de la démocratie ne seraient pas le meilleur rempart contre l’abstention ? Ne devrait-on pas s’inspirer du punk d’hier et du rap d’aujourd’hui pour inventer une nouvelle culture engagée ? L’humour est-il soluble dans l’implication citoyenne ? Quelle architecture des bâtiments institutionnels nous aiderait à décider ensemble ? Où se cachent les petits corners du débat public ?

C’est en créant une véritable pop démocratie, culturelle et populaire, partout et avec tous, que nous retrouverons l’esprit des jours heureux.

  1. Escoubès F., Pop démocratie. La démocratie est (aussi) une fête, 2023, Éditions de l’Aube, Monde en cours.
  2. Escoubès F. et Proriol G., La démocratie, autrement. L’art de gouverner avec le citoyen, 2021, Éditions de l’Observatoire.
  3. Orwell G., 1984, 1949, Secker and Warburg.
  4. Boulle P., La planète des singes, 1963, Julliard.
  5. Soleil vert (Soylent Green) est un film américain d’anticipation, sorti en 1973, réalisé par Richard Fleischer, écrit par Stanley R. Greenberg, inspiré du roman Make Room ! Make Room ! (1966) de l’écrivain américain Harry Harrison.
  6. Meadows D. et Meadows D., Les limites de la croissance (dans un monde fini), rapport, 1972, Club de Rome.
  7. Quatrième de couverture de l’ouvrage Escoubès F., Pop démocratie. La démocratie est (aussi) une fête, op. cit.
×

A lire aussi