Grand débat national: un bilan à prendre avec précaution  

Grand débat national
Le 19 avril 2019

Ouvert le 15 janvier 2019, le grand débat lancé par Emmanuel Macron est officiellement clos depuis la mi-mars. Quelques semaines pendant lesquelles se sont tenues 10 134 réunions publiques, 16 337 communes ont ouvert des cahiers citoyens, 1 932 884 contributions ont été faites en ligne, et 27 374 courriers ou courriels reçus par les organisateurs. L’opération a sans conteste mobilisé les élus, les citoyens, et produit un nombre de contributions considérable. Mais pour autant le bilan du grand débat apparaît mitigé, voire brouillé aux yeux des Français. Non tant sur le fond, car la plupart des propositions ou des idées qui sont « remontées » de ces consultations tous azimuts se rejoignent sur des points essentiels. Mais plutôt parce que le débat serait tronqué dès le départ, pour des raisons de périmètre et de méthodologie, ce qui jette une ombre sur la crédibilité et la justesse du bilan établi. Revue de détail.

Des thèmes imposés

Dans sa « Lettre aux Français » qui jetait les bases du débat, Emmanuel Macron a fixé quatre thèmes : la transition écologique, la fiscalité, l’organisation de l’Etat et des services publics, la démocratie et la citoyenneté. Ce qui laisse totalement de côté des sujets aussi essentiels – notamment au vu des revendications des Gilets Jaunes, qui a conduit à l’organisation du grand débat : le pouvoir d’achat, l’économie et l’emploi, l’éducation, la santé, la solidarité…Ce périmètre très contraint a de fait donné lieu à des frustrations nombreuses.

Selon l’Observatoire des Débats, seuls 8% des participants au grand débat se disent satisfaits des thèmes choisis. Près de 50% des participants auraient souhaité débattre de l’éducation ou de la santé, loin devant l’Europe, l’immigration ou le référendum.

Fiscalité contre démocratie ?

Quel thème a, au final, le plus retenu l’attention des participants au Grand débat ?

Selon le bilan du gouvernement, le thème arrivé largement en tête est celui de la démocratie et de la citoyenneté, suivi par la transition écologique, l’organisation de l’État et en dernier lieu la fiscalité. Ce classement est issu de la comptabilisation du nombre absolu de contributions (c’est-à-dire une réponse à une question ouverte ou à choix multiples ou encore fermée – oui/non).

Mais, selon le cabinet Vox Populi, cette répartition est trompeuse : en effet, chaque thème comprenait un nombre inégal de questions, ce qui introduit un biais statistique. « Le thème démocratie et citoyenneté offrant un plus grand nombre de questions, arrive logiquement en tête en raison d’un total mécaniquement plus important de réponses » soulignent les experts, ajoutant que « ce choix de poser davantage de questions sur certains thèmes était le fait du gouvernement, pas des citoyens ».

Vox Populi a donc procéder à un autre calcul, en pondérant le nombre de réponses par le nombre de questions liées à un thème donné, ce qui permet les comparaisons entre les thèmes. Et ce calcul aboutit à un « palmarès » tout à fait différent des thèmes privilégiés par les participants.

La fiscalité est le thème qui a suscité le plus fort taux de participation, avec en moyenne 138 K réponses pour chacune de ses questions. Viennent ensuite la transition écologique (116 K/question), la démocratie (75 K/question) et l’organisation de l'État (43 K/question).

Des contributeurs non représentatifs

Malgré les chiffres flatteurs en apparence, le grand débat n’a, au final, pas suscité un grand mouvement populaire. Seule 1% à 2% de la population a pris part d’une manière ou d’une autre au débat, ce qui affaiblit automatiquement la portée du bilan qui peut en être fait. De plus, souligne l’Observatoire des débats, « force en revanche est de constater qu’en dehors de la participation sur Internet, clairement comptabilisée puisqu’elle suppose une inscription sur le site, il n’y aura jamais que des estimations pour les autres dispositifs du « grand débat national » puisque aucun comptage n’a été réalisé ».

Quelque que soit le format de participation retenu,  -plateforme Internet, réunions d’initiatives locales, cahiers citoyens, courriers individuels, et à l’exception de réunions citoyennes régionales, il n’y a pas eu de dispositif permettant de connaître précisément les participants.

La sociologie et la géographie du débat montrent bien qu’il n’a pas touché de manière identique toutes les populations « non seulement les grandes villes ont davantage participé que les petites villes et que le reste de la population en proportion de leur démographie, mais en outre, « la participation a été plus forte dans les villes qui ont le plus voté Macron au second tour de la présidentielle ». Parallèlement, une cartographie des débats officiels fait apparaître que les débats officiels ont été organisés dans les territoires où la mobilisation des Gilets Jaunes a été la plus faible !

Plus citadin que rural, le grand débat a aussi réuni des Français très éloignés de ceux qui manifestaient sur les ronds-points. Le CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po) trace le portrait-robot des participants au grand débat : majoritairement des hommes (55 %), âgés (60 ans en moyenne), retraités (50 %) et actifs de plus de 50 ans (34 %), dotés d’un fort capital culturel et social (64 % déclarent détenir un diplôme de l’enseignement supérieur) et propriétaires de leur logement (75 %).

Cruellement absents, les jeunes, surtout les jeunes actifs âgés de 30 à 40 ans. Et, ajoute le CEVIPOF, « très peu de personnes des minorités visibles étaient présentes dans les salles du grand débat, du fait notamment du très faible nombre de réunions organisées dans les quartiers de politique de la ville ».

Une exploitation complexe des données

Compte tenu de la multiplicité des plateformes et des modes de contribution – débats, internet, courriers, questionnaires-, il peut sembler surprenant qu’un bilan puisse être établi et restitué dès le 8 avril, soit trois semaines seulement après la clôture des débats. Les modes de traitement informatique  –sans intervention humaine- ont été largement utilisés par les cabinets de conseils chargés par le gouvernement du dépouillement et de l’analyse. Ce qui, là encore, laisse planer le doute sur la qualité de ce bilan. Difficile, notamment d’établir que certaines contributions émanent d’une seule et même personne, ou qu'elles ne sont qu’un « copié-collé » d’un mot d’ordre émanant d’une organisation.

« Les « Paroles de Français » présentées le 8 avril par le gouvernement et ses prestataires ne forment pas un ensemble représentatif des priorités d’action souhaitées par les Françaises et Français, malgré la forme consultative et sondagière privilégiée par l’organisation du « grand débat national » », fait ainsi remarquer l’Observatoire des débats.

Il s’agirait au mieux d’un « instantané » non représentatif de la synthèse des avis collectés. « Aussi, Seules les analyses qui seront produites par différents collectifs de chercheurs ou de citoyens permettront de préciser la nature et la portée des attentes exprimées par les Françaises et Français et les variations observées entre les propositions formulées sur les divers sites du « grand débat national », poursuit l’Observatoire des débats.

«  Plus de 250 000 personnes ont rédigé des réponses aux questions du grand débat », plaide le collectif Code for France. « Mais aucune technologie n'est aujourd'hui capable de comprendre leur sens » Le collectif met ainsi en évidence au travers d’un exemple simple qu’une proposition analysée par l’Intelligence artificielle peut donner lieu à des interprétations totalement différentes. Il plaide donc pour l’initiative « La Grande Annotation », qui veut garantir que chacune des propositions sera lue et annotée par au moins un être humain.

Les observateurs cités

L’Observatoire des débats

Initiative citoyenne indépendante, lancée fin janvier 2019 par l’Institut de la concertation et de la participation citoyenne (ICPC) et le Groupement d’intérêt scientifique Démocratie et Participation, avec l’appui de Démocratie Ouverte et de Décider Ensemble, en s’associant à un projet de recherche du Centre de recherches politiques de Sciences po (Cevipof), l’Observatoire des débats réunit une centaine d’observatrices et d’observateurs bénévoles.

Vox Populi

 Vox Populi est l’union de deux expertises :

-Interférences, Cabinet d’études expert en analyse sémantique, concepteur de la solution Opinion miner® d’analyse semi-automatique de grands volumes de données textuelles

-Epiceum : Agence conseil dédiée à la communication d’intérêt général, spécialisée dans l’accompagnement des politiques publiques et des grands projets, incluant notamment leurs périodes de concertation.

Code for France

Code for France est un collectif qui développe des idées et invente des outils au service d'un monde numérique libre et ouvert. Les équipes travaillent actuellement sur quatre chantiers :

  • les outils numériques de la participation citoyenne
  • l'ouverture des données publiques et la data literacy
  • la transparence des procédures électorales et l'égalité de compétition aux élections
  • la formation, la médiation numérique et l'entraide entre pairs

Le TOP 10 du Vrai Débat

Le Vrai Débat, mené par un collectif formé de Gilets Jaunes venus de toute la France et accompagné d’acteurs tels que Démocratie Ouverte, Décidémos ou Acte 3, a organisé sa propre consultation en ligne, ouverte à tous les citoyens. Les dix premières revendications issues de cette consultation sont les suivantes :

  1. Suppression des rémunérations et privilèges de tous les élus (y compris le Président) après la fin d'un mandat
  2. Référendum d'Initiative Citoyenne dans la Constitution
  3. Casier vierge pour les élus
  4.  Prise en compte du vote blanc ou nul en tant que suffrage exprimé et invalidation d'une élection s'il est majoritaire
  5. Indexation des salaires et des pensions, arrêt de l'augmentation de la CSG
  6. hausse du seuil de pauvreté au niveau du SMIC
  7. Pénaliser et lutter contre l'évasion et la fraude fiscale
  8. Supprimer le CICE ou le limiter aux petites entreprises et remboursement des sommes perçues s'il n'y a pas de création d'emplois
  9. Obliger les parlementaires à être présent lors des votes et retenues sur leurs indemnités en cas d'absence
  10. Interdiction du lobbyisme au Parlement et dans les institutions

 

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