Brieuc de Roscoat : «L'innovation ne relève pas d’une méthode mais de compétences transversales»

Futurs publics sofkills
Le 25 juillet 2019

Après avoir été entrepreneur, Brieuc de Roscoat est désormais président de ITI INSTITUTE (Institut de la Transformation et de l’Innovation) et chercheur en psychologie spécialisé en management et en innovation au LATI (Laboratoire Adaptations, Travail-Individu de l’université Paris Descartes). Dans ce cadre, il a co-organisé le 28 juin dernier pour la communauté Futurs publics (Direction interministérielle à la transformation publique) un atelier intitulé « Soft skills & Transformation Publique - Quelles compétences transversales pour innover dans le secteur public ? ». Ses recherches-actions menées en collaboration avec France Stratégie permettent de comprendre quelles sont les compétences transversales qui favorisent l’innovation et les processus de transformation au sein des organisations. Nous l'avons rencontré à cette occasion.

Quel est le lien entre innovation et transformation ?

Innover, certes c’est important en soi. Mais au-delà de cela, transformer l’organisation dans laquelle on se trouve est une manière d’innover. Or, l’innovateur se trouve, par essence, en posture hostile. Hostile, car la personne qui transforme et innove apporte des processus cognitifs différents, de nouvelles manières de faire et d’être.

L’innovateur s’oppose donc à la norme, car le cerveau est fait de telle manière que naturellement il va procéder au traitement de l’information par répétition des chemins cognitifs déjà pratiqués.

Naturellement, le cerveau souhaite s’économiser et donc emprunter des chemins déjà connus.  Il s’oppose donc à la transformation en organisant des biais cognitifs qui influencent sa prise de décision. Ce mécanisme est par ailleurs renforcé ou atténué par la capacité de l’environnement à interférer sur les habiletés à innover et à transformer les organisations. Ainsi l’intrapreneur se doit souvent de commencer, dans un premier temps, de transformer son milieu afin de pouvoir innover dans un second temps.

Quel est l’apport majeur de vos travaux ?

L’innovation est aujourd'hui trop souvent traitée par le prisme des “processus d’innovation” ou de “méthodes pour mieux innover”.

Or, en réalité,  la capacité d’innovation et de transformation ne relève pas d’une méthode : elle est liée aux capacités du cerveau humain et de la société à créer ou trouver de nouvelles solutions et à les mettre en œuvre. C’est le produit de multiples facteurs : compétences individuelles, relationnelles et contextuelles. Ainsi, mieux comprendre les compétences (soft skills) liées à l'innovation et à la transformation permet, comme nous le constatons d’agir et d’actionner des leviers clés de transformation.

Quelles sont ces compétences, ou capacités ?

Elles ont été modélisées par InnovationProfiler© suite à plusieurs années de recherches sur les innovateurs (qui sont-ils ? ont-ils des processus cognitifs différenciants ?). A partir de là, quatre grandes dimensions ont émergé :

  • les compétences cognitives, c’est à dire les processus mentaux liés au traitement de l’information. Par exemple,  la pensée divergente. C’est la capacité à générer des idées alternatives à partir d’une seule information initiale. (Ainsi un niveau élevé en pensée divergente indique une grande productivité idéationnelle et une certaine flexibilité cognitive.) Par exemple, la flexibilité mentale, qui est la capacité à changer de point de vue et de processus de pensée afin d’explorer de nouvelles directions. Elle se traduit aussi par la capacité à alterner entre différents types d’informations.
  • Les capacités conatives, la capacité à passer à l’action, interviennent également. À titre d'exemple, la tolérance et l'ambiguïté , c'est à dire la capacité d’une personne à tolérer la présence simultanée d’approches. Cette capacité conduit à mieux résoudre un problème ou à prendre une décision. Mais il y a, aussi la prise de risque, la motivation, l’ouverture, la persévérance...
  • Les facteurs émotionnels sont aussi très importants tels que la positivité et  l’empathie  qui permettent d’embarquer les équipes, de répondre à leurs besoins,
  • et enfin les facteurs liés à l’environnement, ou au contexte.

Quels sont ces facteurs « environnementaux » ?

On sous-estime souvent l’environnement en matière de transformation ; or innover demande un environnement propice. On n’innove pas sans mettre en place un contexte favorable, apprenant avec du sens.

D’ailleurs, la première chose que font les gens qui innovent, c’est transformer le terreau autour de leur équipe en favorisant la coordination – c’est-à-dire le fait d’avoir des objectifs communs et consensuels-  la collaboration, ou capacité à partager les informations et les tâches, la bonne organisation du travail, l’autonomie et la cohésion de l’équipe et le soutien dont elle peut bénéficier de la part de son environnement professionnel. 

Comment mettre toutes les chances de son côté quand on cherche à innover ?

Question difficile ! je crois que le premier point, c’est de comprendre et questionner son environnement. On n’innove pas dans un grand groupe comme dans une start-up. Dans les grandes organisations, il y a  une propagation exponentielle d’incertitudes, de complexités, et d'ambiguïtés à manager (l’enjeu est-il de se transformer pour innover ou d’innover pour se transformer ?). Dans ce contexte, le manager doit faire preuve de souplesse mentale. Il doit accompagner ses équipes dans la compréhension et la valorisation de leurs compétences transversales à travers des objectifs communs.

Pour y parvenir, le premier biais est le recrutement. On recrute par habitude toujours les mêmes profils, mais comment faire des choses différentes avec des profils identiques ?

Le deuxième, c’est de garder à l’esprit que les compétences évoluent. Nous pensons généralement que les compétences n’évoluent pas : c’est le biais cognitif de la certitude. Mais il s’agit en réalité d’un processus dynamique : un individu, un groupe peut modifier ses compétences en fonction de sa motivation, du contexte...  Ainsi les managers qui cultivent les compétences fournissent des leviers de transformation qui laissent place à l’autonomie des acteurs et favorisent le bien-être au travail. Le troisième point, c’est qu’il est nécessaire d’avoir des repères, des métriques pour se remettre en question, quitte à changer d’avis, afin de prendre les bonnes décisions dans ce contexte incertain.

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