Les tiers-lieux de Seine-Saint-Denis en perpétuel mouvement

Carte des implantations de tiers-lieux en Ile-de-France - Situation 2020
Carte des implantations de tiers-lieux en Ile-de-France - Situation 2020
©Carine Camors - Institut Paris-Région
Le 29 mars 2022

La troisième édition de TECH4GOOD Summit en Seine-Saint-Denis, organisé fin 2021 par Cap Digital en partenariat avec le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis a été l'occasion de mettre en lumière l'importance et le rôle des tiers-lieux sur le département le plus pauvre de la métropole, notamment pendant la crise sanitaire. Ils participent pleinement à la « résilience » du département selon Jean-Luc Parisot, directeur adjoint de lemploi de linsertion et de lattractivité territoriale du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis.

 

Une étude sur les tiers-lieux en Ile-de-France

Carine Camors, socio-économiste à l’Institut Paris Région a mené une étude sur la dynamique des tiers lieux en Ile-de-France. Elle rappelle les origines des tiers-lieux. Phénomène né dans une grande ville, San Francisco, il est plutôt urbain au départ. À Paris, c’est La Cantine qui lance le mouvement en 2008 répondant à de nouveaux impératifs : la flexibilité du travail et la limitation des déplacements pendulaires. La crise sanitaire n’a fait que renforcer le mouvement.

Construite par l’américain Ray Oldenburgh et présentée dans son ouvrage The Great, Good Place en 1989, la notion de Tiers-lieu s’assimile à un lieu de sociabilité, hybride, urbain, entre lieu de travail et domicile.

C’est le mouvement des indépendants et des Makers, ainsi que la volonté de réduire les déplacements domicile-travail qui ont favorisé l’émergence des tiers-lieux. Dans son étude, Carine Camors organise les tiers-lieux selon quatre catégories : bureaux mutualisés (centres d’affaires, télécentres) , coworking (avec pour certains, animation d’une communauté), ateliers de fabrication numérique (Fablabs), lieu d’accompagnement (incubateurs , pépinières). En général, ces espaces hybrides par essence entrent dans plusieurs de ces catégories d’où la nécessité de mener un travail de recensement de l’existant. En 2020, la France comptait 900 tiers lieux dont 34% de bureaux mutualisés, 29% d’espaces de coworking, 14% de Fab Labs et 24% de pépinières. Cette dynamique rapide s’est accentuée dans les cinq dernières années. En effet 45% des tiers-lieux ont ouverts depuis 2017.

En Ile-de-France, 80% des lieux sont situés à Paris ou en proche couronne avec une forte dynamique à l’Est de la région. Ce sont en majorité des espaces hétérogènes : tiers-lieux sociaux, d’innovation ouverte, culturels avec des friches, de service public etc.

Carte des implantations de tiers-lieux en Ile-de-France - Situation 2020

Carte des implantations de tiers-lieux en Ile-de-France - Situation 2020

Parmi les lieux étudiés, Carine Camors cite deux espaces orientés business, Wojo et WeWork, deux lieux culturels, le 6B et l’Orfèvrerie, deux espaces orientés innovation sociale l’Oasis et le château à Nanterre; en grande couronne Stop&work à Fontainebleau, le 50 coworking à Méré et enfin deux Fab Labs, Ici Montreuil et le Liberté living Lab.

Ces lieux revêtent un certain nombre de caractéristiques communes. Leviers de développement et d’attractivité économiques, ce sont des outils au service de la régénération des territoires. Lieux d’innovation et de fabrique territoriale, ils favorisent la rencontre entre professionnels d’horizons extrêmement divers. Ils partagent aussi un certain nombre d’enjeux : la structuration de la filière, le fait de favoriser l’hybridation, l’adaptation de leur gouvernance, la formation et l’acculturation des citoyens et des élus, la volonté d’encourager le maillage hors de la métropole.

Pour conclure, la socio-économiste rappelle la coexistence de modèles variées, la multitude de transitions et de territoires d’implantations et l’espoir que ces lieux portent en termes d’emploi, d’attractivité et de dynamisme économique. S’ils sont, à ses yeux, trop nombreux pour être réalistes, il convient d’adapter le tiers-lieu à son territoire, de co-construire avec lui, afin de répondre aux attentes et aux enjeux locaux.

Transfert des savoirs et circularité des compétences, noyau dur des tiers-lieux de Seine-Saint-Denis

Selon Axelle Poulaillon, directrice du marketing territorial au conseil départemental Seine Saint Denis, responsable de la marque In Seine Saint Denis depuis 5 ans, la spécificité des tiers-lieux séquanodionysiens réside dans leur vocation : le transfert des savoirs et la circularité des compétences. Depuis trois ans, une plateforme web recense ces lieux. Aujourd’hui ils sont plus de 150, en perpétuel mouvement. Ce recensement favorise l’accès à l’information pour ceux qui recherchent un lieu ou qui ont pour ambition d’en créer un nouveau de façon partenariale.

Pour donner un exemple de ces évolutions permanentes, Axel Poulaillon cite le Médialab93, à l’origine un tiers-lieu culturel, aujourd’hui lieu de formation et de production. Le site du In Seine Saint Denis raconte la création, le développement, les mutations de ces espaces. Cette base de données a pour ambition de mieux répondre aux besoins, aux attentes des habitants et aux enjeux locaux du territoire. S’il n’y a, pour l’heure, pas d’appel à projet dédié aux tiers-lieux, l’objectif du département est de les accompagner afin qu’ils puissent à terme y répondre.

Le département de Seine Saint-Denis a d’ailleurs décidé de soutenir financièrement 7 tiers-lieux par le biais d’un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) baptisé Autonomie dans mon quartier », lancé en juillet 2020. Il s’agit de les encourager à poursuivre le travail engagé favorisant l’accès des personnes âgées et handicapées à une vie de quartier riche et active. L’ambition du département consiste à ouvrir la voie à un réseau des tiers-lieux « autonomie dans mon quartier » élargi à 18 autres porteurs de projets d’ici 2024.

« Ces tiers-lieux autonomie sont en train de s’inventer sur le territoire. Ils s’appuient sur le respect et l’agilité au service de l’inclusion dans les quartiers » explique Axelle Poulaillon.

Le tiers-lieu comme fabrique de projets de nouvelles collaborations

Convergence Entrepreneur à Aulnay-sous-Bois réunit plusieurs services interconnectés, une mission locale, une maison de l’emploi, un programme d’accompagnement à la transition numérique, un autre dédié à l’incubation, une pépinière.  Labellisé fabrique numérique de territoire depuis 2019, le lieu qui accompagne près de 2600 jeunes tient une longue liste d’attente. Il mène des actions à une échelle ultra locale, au cœur des quartiers, en signant notamment des conventions avec des bailleurs sociaux ou en accueillant la fabrique Simplon dans ses locaux et des actions à une échelle plus large avec son campus du numérique et de l’entrepreneuriat. Ici la volonté municipale était clairement d’avoir un guichet unique, la garantie du succès selon Carole Soucaille, directrice générale des lieux.

Le projet des Chaudronneries, résidence d’économie sociale et solidaire à Montreuil, est née d’une volonté de proposer un environnement de travail et de réflexion aux acteurs locaux rencontrant des difficultés financières ou de réseaux pour développer leur projet. Ce lieu de coopération accorde une place centrale à la transition écologique. La résidence accueille des personnes pendant 5 ans afin qu’elles puissent travailler sur un projet tout en sortant d’une logique de rentabilité immédiate. Comme l’économie est mouvante, les entrepreneurs doivent se repenser en permanence, être agiles, souples. Le projet part du postulat que, tout comme les grandes entreprises investissent dans la R&D, les petites structures doivent pouvoir le faire. Il propose un lieu de recherche en continu à la croisée de trois quartiers dont un QPV. Un travail est mené avec une médiatrice de proximité afin de faire remonter les signaux faibles, les sentiments et observations de terrain.

Les tiers-lieux misant sur les industries culturelles et créatives

Ouvert en juin 2021 à Bagnolet, le Sample est un lieu culturel, solidaire et durable créé par l’association Ancoats, de 1500 m2 et doté d’un jardin de 2000 m2. Ce lieu d’urbanisme transitoire, propose une programmation et des espaces pour des résidences ponctuelles d’artistes avec l’objectif d’accueillir à la fois des associations et des habitants de Bagnolet. Selon Julie Rigourd, représentante du Sample, démontrer l’impact d’un tel lieu permettrait d’en favoriser la pérennisation ou du moins celle de certains des espaces.  La convention du Sample, signée jusqu’en mai, pourrait être un frein. Selon Julie Rigourd, l’avantage c’est que les acteurs se placent dans une dynamique de l’action. « On bâtit, on expérimente, quoi qu’il arrive, sans penser au calendrier. De plus Bagnolet manque d’espace pour les associations, le Sample offre une multitude de possibilités ».

À l’origine du Médialab93 à Pantin se trouve Farid Mebarki. Pendant plus de vingt ans, il travaille dans la presse associative issue des quartiers populaires, avec cette volonté de raconter, de véhiculer une image différente de celle transmise par les médias dominants. En 2017, il confonde le Médialab93 aux Magasins généraux afin de réunir en un seul et même lieu les compétences mais aussi des acteurs de l’accompagnement de projets digitaux portés par des jeunes. Pourquoi Médialab ? Car les médias font partie de son ADN et qu’il voit cet espace comme un lieu d’expérimentation destiné à des porteurs de projets innovants ayant une forte dimension de recherche et développement. Quant au 93, il s’agit, selon lui, d’un lieu ouvert, d’un espace où se côtoient des acteurs des quartiers populaires et des porteurs de solutions. « Le mélange qui permet d’avancer ». Médialab93 est le fruit d’une longue réflexion. La voix des acteurs des quartiers est inaudible à la fois par manque de moyens et par incapacité de créer un discours. « On émettait des informations depuis des lieux désertés par les relais d’opinion. C’est pourquoi avec ce lab, nous nous sommes rapprochés des lieux ressources, des carrefours entre des publics venant des industries culturelles, des médias et de la publicité. Attirer diverses franges de la population est à la fois une gageure et un véritable tremplin pour les populations éloignées de ces ressources » conclut Farid Mebarki.

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