Luc Rouban : « La consultation citoyenne est une forme de parodie de démocratie directe »

Luc Rouban
©Sciences Po.
Le 21 août 2018

Comment expliquer la crise de confiance entre les Français et leurs représentants ? En quoi la situation française est-elle différente des autres démocraties européennes ? En quoi la démocratie directe, ou la démocratie participative, sont-elles des perspectives d’avenir ? Comment concevoir de manière réaliste une amélioration de la vie démocratique ? Les éléments de réponse se trouvent dans le dernier ouvrage de Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS et au CEVIPOF, à Sciences Po.

Quelles sont les raisons de la crise de la démocratique représentative ?

Il y en a au moins trois. La première, c’est la perte de confiance des Français envers leurs représentants dans un contexte d’hyper-transparence et de contrôle permanent des médias. La visibilité du personnel politique est plus forte à l’ère des réseaux sociaux et de la twittosphère. L’élection d’Emmanuel Macron et de son mouvement En marche, en mai 2017, n’a pas remédié à cette crise de confiance. Le dernier baromètre CEVIPOF montre une dégradation de cette confiance six mois après l’élection. Deuxièmement, on a abandonné l’équation gaullienne, à savoir une part d’expertise assurée par la haute fonction publique associée à de la démocratie directe avec l’élection au suffrage universel du président. Derrière l’apparente solidité des institutions, les partis politiques sont revenus en force, avec des appareils partisans, cela a constitué un élément de défiance supplémentaire. Troisièmement, un sentiment partagé d’une perte de contrôle sur l’action politique, dans un contexte de mondialisation.

Les plateformes civic tech peuvent-elles contribuer à améliorer la vie démocratique ?

Elles fonctionnent bien au niveau local, quand il y a des problèmes précis à résoudre : plan d’aménagement, urbanisme, avec des mécanismes participatifs. À l’étranger, dans différents pays, on a les moyens de régler les questions qui concernent des populations bien ciblées. On sort des simples enquêtes publiques, ces outils font clairement émerger des solutions. Ce sont aussi des moments de pédagogie sur les institutions, pour redonner le goût de la politique. Le côté négatif, c’est que ces outils ne peuvent pas être généralisés. On ne peut pas systématiquement demander l’avis aux citoyens, il faut qu’il en sorte des décisions claires sur des sujets comme la bioéthique, la défense, où les experts sont nécessaires. Le rêve d’une démocratie directe sans politique n’est pas viable. Enfin, ces techniques participatives s’adressent déjà à des gens déjà socialisés et sensibilisés à la politique.

Quel regard portez-vous sur la multiplication des consultations citoyennes et la vaste réforme des institutions engagée par le gouvernement ?

Sur des sujets complexes comme la retraite, je ne suis pas certain que cela puisse résoudre les problèmes. Il y a déjà des bibliothèques entières de rapports, et de très bons experts, sur cette question. La consultation est une forme une parodie de démocratie directe. On fait croire qu’on va négocier mais, en fait, il s’agit de rechercher des arguments de légitimation. Après tout, la consultation citoyenne, c’est un peu comme un sondage d’opinion. C’est le côté un peu négatif de la politique moderne qui joue beaucoup sur la communication. Sur la réforme des institutions, le vrai enjeu porte sur la réduction du nombre de députés et de sénateurs, l’introduction de la proportionnelle, etc. Si vous réduisez le nombre de députés ou sénateurs, les représentants ne verront plus physiquement les citoyens. C’est une situation préoccupante avec un risque accru de séparation entre le local et le national.

À lire

La démocratie représentative est-elle en crise ?

Rouban L., La démocratie représentative est-elle en crise ?, 2018, La Documentation française, coll. Doc en poche-Place au débat, 7,90 €

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