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Au-delà du guichet : l’art de l’accueil dans les lieux de soins

Au-delà du guichet : l'art de l'accueil dans les lieux de soins
Guillaume Couillard, le directeur général du GHU Paris psychiatrie et neuroscience, accueille les participants lors de la journée d'études "Au-delà du guichet : l'art de l'accueil dans les lieux de soins", dans le grand amphithéâtre de l'hôpital Sainte Anne à Paris.
©JN
Le 1 août 2022

Le laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité (lab-ah) du groupe hospitalier universitaire (GHU) de Paris psychiatrie et neurosciences a organisé une journée d’étude le 1er avril 2022 pour explorer les multiples ressorts de l’accueil physique dans les lieux de soins. L’occasion de partager des expériences inspirantes et de recueillir des témoignages avec une vision à 360 degrés de l’accueil. Morceaux choisis de cette journée pas comme les autres.

Cette journée un peu particulière, intitulée « Au-delà du guichet : l’art de l’accueil dans les lieux de soins », qui s’est déroulée dans le grand amphithéâtre du site de Sainte-Anne, dans le XIVe arrondissement de Paris, a démarré part une séquence insolite : à la demande de Guillaume Couillard, le directeur général du GHU Paris psychiatrie et neuroscience, les participants présents sont invités à prendre le temps de se présenter à leurs voisins immédiats durant quelques minutes pour faire connaissance. Une illustration vivante de ce qu’est l’accueil, mais aussi « une tradition de la maison pour accueillir les nouveaux arrivants », selon un chargé de communication de l’établissement. Invité à ouvrir cette rencontre, Guillaume Couillard a tenu à marquer le coup avec cette entrée en matière en précisant que « l’accueil est une notion complexe et universelle qui revêt un caractère systémique et qui va bien au-delà des locaux. »

La difficulté d’accueillir la souffrance des usagers à l’hôpital

Deuxième séquence, avec l’intervention de Frédéric Mougeot, sociologue et auteur de l’enquête de terrain Le travail des infirmiers en hôpital psychiatrique1. Selon lui, il existe clairement une césure entre le monde des usagers et le monde des professionnels de la santé : « Du point de vue des usagers, l’accueil est parfois violent et désingularisant. Le passage à l’hôpital est souvent vécu dans la douleur comme une expérience traumatique, un trouble lié à l’hôpital avec une prise en charge déshumanisée et violente », explique-t-il. Faisant référence au travail d’Erving Goffman2 sur les asiles, Frédéric Mougeot, qui a passé plus d’un an au sein de deux services psychiatriques dans le cadre de son enquête, a pris le soin de détailler les routines et les violences de soins, la difficulté d’accueillir la souffrance des usagers à l’hôpital, surtout depuis que l’hôpital est devenu gestionnaire, privilégiant la logique des flux (des patients entrants/sortants). Une souffrance partagée par les équipes et les usagers : « L’accueil des malades est un moment pivot. Un travail de vigilance, comme le fait le lab-ah, est nécessaire. […] L’accueil est un temps d’évaluation et de jauge envisagée uniquement du côté du professionnel. Ce premier temps d’accueil donne souvent le ton et contribue à définir les conditions dans lesquelles les personnes s’engagent, conditionnent l’alliance, le cadre des relations au cours de l’hospitalisation, le jeu ou le rôle sur la scène hospitalière. […] C’est un temps d’observation simultanée », explique-t-il. Repenser l’accueil implique un « désapprentissage » qui porte sur plusieurs dimensions : les comportements individuels et collectifs, l’organisation et les règles, estime le chercheur.

Cette journée consacrée à l’accueil dans les lieux de soins a permis de revenir sur les démarches innovantes du lab-ah du GHU Paris psychiatrie et neurosciences3 et du laboratoire régional d’innovation publique en Bretagne (Ti Lab)4. Une autre initiative destinée à améliorer l’accueil des parents et des enfants dans les maternités prenant en charge les naissances prématurées a été présentée par Olivier Roux, représentant de SOS Préma (première association française d’aide et soutien aux familles d’enfant prématuré) et Laetitia Pirrodi-Grandjean, infirmière puéricultrice au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Besançon, réseau de périnatalité en Franche-Comté : « Les parents d’enfants prématurés ont souvent du mal à trouver leur place dans les maternités de type 2 (accueil prématuré) et de type 3 (accueil grand prématuré, avec des soins plus conséquents). Ce sont des moments difficiles à vivre, vécus avec beaucoup d’appréhensions. […] Les transferts et l’accueil sont très douloureux et anxiogènes, les parcours d’hospitalisation très longs », explique Olivier Roux, qui a lui-même vécu cette situation. En France, il y a environ 1 000 naissances prématurées par an (cela représente 8 % des naissances), c’est donc une question à prendre en compte. Afin de rassurer les parents et favoriser la communication entre parents et soignants et soignants entre eux, il a eu l’idée, avec Laetitia Pirrodi-Grandjean, de réaliser pendant trois ans des films courts de quatre à cinq minutes présentant les équipes et les unités de soins, les modalités de transferts et les témoignages de parents, comme au CHRU de Besançon, par exemple : « Ce sont des films destinés aux parents qui traitent de questions pratiques : le parking ? Un lieu pour manger ? Où dormir ? Comment se passent les transferts ? Dans quelles conditions ? », détaille Laetitia Pirrodi-Grandjean. Une manière d’humaniser les soins, qui a impliqué 35 professionnels de santé et 150 personnes (40 familles). Enfin, pour clore cette matinée, Céline Forest et France de Langenhagen, responsables de la mission expérience usagers à la direction interministérielle à la transformation publique (DITP) sont venues parler de la démarche Servicespublics+, un programme d’amélioration continue des relations entre les administrations et leurs usagers : « L’accueil des usagers est un enjeu d’innovation publique, qui fait l’objet d’un département au sein de la DITP mobilisant plusieurs expertises : le design de services, les sciences comportementales et l’innovation managériale », précise Céline Forest. Une intervention plutôt destinée à mieux faire connaître cette démarche.

Regards et expériences d’agents d’accueil

Le lab-ah, qui organisait la journée consacrée à l’accueil dans les lieux de soins, a eu la très bonne idée d’inviter à s’exprimer, une fois n’est pas coutume en la matière, des agents d’accueil afin de recueillir leurs regards et leurs expériences. Sibel Kurt, agente d’accueil à l’hôpital Bichat a donné le ton sur l’image et la reconnaissance qu’elle perçoit : « Nous ne sommes que des agents d’accueil, rien de plus, vu comme en bas de l’échelle, et avons parfois le sentiment de n’être pas pris au sérieux, car on minimise notre rôle. » La jeune femme et sa collègue subissent en outre les humeurs des usagers, mais aussi du personnel hospitalier. Comme si l’accueil n’était qu’une simple formalité que des machines allaient bientôt pouvoir traiter à la place des humains. Or, « il n’existe pas à ce jour de machines d’accueil. Il s’agit plutôt de gestion de file », rappelle Solène Barat-Clerc, directrice déléguée du pôle de neurologie de Sainte-Anne au GHU Paris. Remplacer des agents par des machines serait d’autant moins pertinent dans un hôpital que l’accueil y est vu comme un soin et que, comme le soulignait Solomon Asch, l’un des pionniers de la psychologie sociale : « On n’a jamais l’occasion de faire deux fois bonne impression. » Un accueil qui se passe mal et c’est toute la suite d’une hospitalisation qui pourra même se révéler problématique.

L’accueil est un soin

Les agents d’accueil intervenants lors du colloque ont d’ailleurs souligné les dimensions d’empathie, de calme, de pédagogie, d’apaisement vis-à-vis des familles tout en gardant ses distances : « C’est très difficile au début, car on a tendance à s’identifier. Un jour un patient a eu une crise juste devant l’accueil et j’ai cru reconnaître mon fils. Trouver l’équilibre entre l’empathie et l’écoute n’est vraiment pas évident », a confié Fatima Et-Tahery, agente d’accueil au GHU Paris. « La meilleure école reste celle du terrain », estime Sibel Kurt. Son collègue Mohand Hamitouche, souligne que l’arrivée d’un patient à l’hôpital est une épreuve qui génère de l’angoisse et que l’accueil est la première vitrine de l’hôpital : « L’accueil est partie prenante des soins. » La crise sanitaire est venue d’ailleurs rajouter des contraintes puisqu’il a fallu séparer les lieux d’accueil et de soins afin d’éviter les croisements. Mais l’accueil ne saurait être correctement appréhendé à travers les seuls savoir être des agents. Les savoir-faire sont tout aussi importants. Un agent doit, par exemple, respecter le secret professionnel lorsqu’il communique des informations et être capable, face à des demandes complexes, de reformuler, de synthétiser la demande d’un usager tout en s’assurant que cette reformulation convient à ce dernier. Ces savoir-faire font d’ailleurs l’objet d’une évaluation dans le cadre de l’entretien professionnel que passent chaque année les agents, évaluation effectuée en fonction de la fiche de poste.

Il s’agit d’une fiche métier de niveau national avec des attendus précis. Sur un plan général, l’accueil est une mission de service public et en matière de santé la qualité de l’accueil des malades inclut le droit à l’information. Le patient a donc pris une place importante à l’hôpital, ce qui rend la mission d’accueil d’autant plus essentielle. De fait, pour la remplir correctement, l’agent doit, par exemple, bien connaître le site où il travaille pour être en mesure d’accompagner, d’orienter les usagers et de rechercher des personnes dans les locaux. Dans son rôle de filtre à l’accueil, lorsqu’il contrôle l’identité des visiteurs, l’agent doit aussi se montrer physionomiste afin de repérer les comportements potentiellement dangereux ou à risque. Dans sa mission d’information et de conseil aux tiers (patients, familles, autres agents, etc.) il doit être précis tout en respectant le secret professionnel, sujet sensible s’il en est en milieu médical. L’agent d’accueil a également pour tâche le recueil et la collecte de données ou informations spécifiques à son activité. Il découle de ce qui précède que le métier d’agent d’accueil requiert des qualités relationnelles, de la rigueur et une grande polyvalence. En tant que point d’entrée de l’hôpital, l’accueil a même une vision très large de l’établissement que les autres services forcément bien plus verticaux ne peuvent avoir. À ce titre, il devrait être davantage entendu, car il dispose de précieuses informations notamment sur les comportements des usagers : « 30 % de nos patients se présentent d’eux-mêmes dans notre établissement pour une prise en charge. Il s’agit d’un indicateur important pour l’établissement via l’accueil de la relation de confiance qui est établie avec les patients et qui montre son attractivité. Mais nous ne sommes jamais conviés aux projets de réorganisation de l’hôpital afin de procéder à un échange d’informations avec d’autres services », regrette Mohand Hamitouche. En outre, la notion d’attractivité ne concerne pas uniquement les patients : « Nous rassurons aussi les intérimaires, nombreux, qui se présentent pour être embauchés à l’accueil et les aides-soignants qui viennent pour un entretien d’embauche. Si l’accueil n’est pas à la hauteur, le recrutement risque de ne pas se faire. Nous devons être vigilants vis-à-vis de tous ceux qui viennent dans notre institution », insiste Mohand Hamitouche.

Aménager les espaces d’accueil en vue de leur reconnaissance

Néanmoins, si les tâches accomplies par les agents d’accueil sont nombreuses, il ne s’agit pas non plus du bureau à tout faire. Ce ne sont pas des brancardiers ni une ligne d’accueil téléphonique, car il n’y aurait alors plus personne pour accueillir les usagers ! Toutefois, si beaucoup d’efforts restent à accomplir afin de reconnaître l’importance de l’accueil et de valoriser les agents en leur offrant, en premier lieu un véritable management – certains agents ne savent pas vraiment de qui ils dépendent ! – et ensuite des perspectives d’évolution afin de tirer parti de leur vision d’ensemble et de leur capacité d’improvisation. Certaines initiatives commencent à émerger ici et là pour redonner à l’accueil les lettres de noblesse de l’hospitalité, ce qui signifie un travail de réflexion de fond sur l’espace d’accueil. Ainsi dans un bâtiment en cours de construction au sein du GHU Paris – qui ne disposait plus d’accueil depuis longtemps – les architectes ont dû intégrer qu’il fallait aller au-delà de la simple signalétique pour accueillir les usagers ! « Nous les avons challengés à partir de l’idée d’être accueilli avec un sourire et en partant des usages tant des patients que des professionnels », se souvient Solène Barat-Clerc. Malheureusement on voit davantage d’espaces d’accueil inadaptés dont les surfaces sont sous-estimées et qui sont réalisés d’après le travail prescrit et non le travail réel et d’où la dimension psychologique est absente, par exemple avec des agents assis et des usagers debout : « La configuration de l’espace en dit long sur la façon dont l’institution reconnaît et considère l’accueil », souligne Julien Boudarham qui plaide pour une visibilité de la complexité du travail des agents et l’exploration des dimensions symboliques et psychologiques afin de procéder à des aménagements des espaces d’accueil qui auront un impact positif en termes de reconnaissance et d’estime de soi.

Certes cela relève de la compétence et surtout de la volonté des directions des diverses institutions hospitalières, mais cette reconnaissance passe aussi par des structures de représentation au niveau local, régional et national des agents d’accueil. Or, et contrairement aux professions de directions, d’encadrement, aux ordres professionnels (médecins, infirmiers) qui sont, elles, très bien structurées pour défendre leurs intérêts, les agents d’accueil ne disposent malheureusement d’aucune structure de représentation qui leur soit propre. Une nouvelle étape dans la reconnaissance de ces métiers avec la création d’une communauté des agents d’accueil ? Peut-être au sein du GHU. À suivre…

  1. Mougeot F., Le travail des infirmiers en hôpital psychiatrique, 2019, Éditions Érès, Clinique du travail. Cet ouvrage porte sur l’expérience de l’hôpital psychiatrique du point de vue de ses soignants, en particulier infirmiers. Leur travail en première ligne face aux patients, auprès desquels ils représentent l’institution, constitue un observatoire pertinent des transformations de l’hôpital gestionnaire.
  2. Sociologue américain rattaché à la Deuxième école de Chicago (un courant de pensée sociologique américain du début du xxe siècle), Erving Goffman privilégie l’observation participante dans ses recherches sociologiques. Pour l’un de ses livres les plus connus (Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux, 1968 [trad.], Éditions de minuit), il est resté trois ans pour étudier la vie hospitalière et la condition sociale des malades mentaux dans un asile américain.
  3. Coirié M. et Delanoë-Vieux C., « L’accueil est un soin : penser l’expérience d’accueil à l’hôpital », Horizons publics juill.-août 2022, n28, p. 44 et s.
  4. Vallauri B., Zadrosynski S., Mazet P. et Sorin F., « Comment évolue l’accueil dans un contexte de dématérialisation ? », Horizons publics juill.-août 2022, n28, p. 38 et s.
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