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Boris Cyrulnik « La résilience est un mécanisme évolutif »

©Forum Sécurité et résilience - WE DEMAIN
Le 9 juin 2019

Médecin, philosophe et neuropsychiatre, Boris Cyrulnik, qui vient de publier La nuit, j’écrirai des soleils1, a contribué à populariser en France le concept de résilience. Ses travaux explorent l’idée de notre capacité à reprendre le cours de notre développement, de notre vie, après un événement traumatique. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la deuxième édition du « Forum Sécurité et résilience, l’enjeu des métropoles », organisée par la revue We Demain, au fort d’Issy-les-Moulineaux, siège de la direction générale de la gendarmerie nationale.

Pourriez-vous nous redonner la définition de la résilience ?

La résilience, c’est la reprise d’un nouveau développement après un blocage traumatique. Ce blocage peut être physique, psychologique ou social, c’est la même définition. Après tout blocage, c’est un mécanisme évolutif, c’est-à-dire que s’il y a un traumatisme psychologique, le cerveau arrête de fonctionner, le cerveau est hébété.

Que faut-il faire pour le remettre en marche ?

Si le traumatisme est social, c’est-à-dire si la société subit un effondrement, une guerre ou un blocage, comment faire pour la remettre en marche, non pas comme avant, car c’est la reprise d’un nouveau développement après un traumatisme. Bref, la définition est simple, ce qui est compliqué, c’est de savoir quels sont les facteurs qui permettent cette reprise évolutive. Les recherches scientifiques comme la biologie, la psychologie, la sociologie, la neurologie, et maintenant le traitement des données et l’intelligence artificielle permettent de mieux connaître ces facteurs.

Le concept de résilience a-t-il été détourné de son origine à force d’être utilisé à tout bout de champ ?

La résilience peut s’appliquer dans beaucoup de domaines différents car c’est un mécanisme évolutif : on peut parler d’évolution de la nature, d’évolution des mœurs, de tout nouveau type d’évolution. Il peut donc s’appliquer dans de nombreux domaines, d’où la nécessité de travailler en équipe lorsqu’on a recours à cette approche, comme le recommande le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou l’Agence nationale de la recherche (ANR). En revanche, le mot est souvent employé par des gens qui ne connaissent pas la définition, mais cela est vrai pour tous les concepts scientifiques. À titre d’exemple, l’ADN, employé dans tous les domaines, traduit la métaphorisation d’un concept scientifique. Nous assistons au même phénomène inévitable avec le concept de résilience.

Le processus de changement de la société est en marche, l’administration va changer de forme. D’autant plus qu’elle est face à une contrainte écologique majeure, elle est obligée de se transformer.

Pourrions-nous avoir une « administration résiliente » ?

Si l’administration a été traumatisée par une réforme brutale ou par l’assassinat de plusieurs de ses membres, on peut parler d’une administration résiliente. Il faudra la réorganiser ; il faudra retrouver des principes d’un nouveau développement, et dans ce cas-là, on pourra parler de résilience administrative, qui en a bien besoin car elle est en train d’évoluer vers la sclérose. En étant sclérosée, elle sclérose tous les gens qui subissent les règles administratives.

Quelles seraient selon vous les caractéristiques d’une administration résiliente ?

Tout dépend du contexte, puisque la définition est évolutive. Si le contexte est une société à reconstruire, à rebâtir, dans le cadre d’une transition écologique. C’est inévitable. L’intelligence artificielle, par exemple, va tuer l’ancien mode d’administration, et va amener un nouveau mode d’administration qui aura ses bénéfices et ses maléfices. Lorsque j’étais doyen de l’École nationale de magistrature, l’enjeu était de n’avoir plus un seul papier et de préparer les juges à travailler uniquement avec des machines. Chaque juge devra apprendre à utiliser les machines… Le processus de changement de toute la société est en marche, donc l’administration va changer de forme. D’autant plus qu’elle est face à une contrainte écologique majeure, elle est obligée de se transformer.

  1. Cyrulnik B., La nuit, j’écrirai des soleils, avr. 2019, Odile Jacob.
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