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Claire Edey Gamassou : « Le surengagement des fonctionnaires dans les trois fonctions publiques n’est ni reconnu, ni valorisé. »

Le 15 juin 2023

Claire Edey Gamassou est maîtresse de conférences à l’université Paris-Est Créteil rattachée à l’Institut de recherche en gestion (IRG). Elle enseigne notamment la psychologie sociale des organisations et la gestion des ressources humaines. Ses travaux de recherche portent sur le comportement organisationnel, le management public et la santé au travail, notamment au sein des collectivités locales où elle a mené de nombreuses enquêtes auprès de fonctionnaires ou agent·es contractuel·les. En 2021, Claire Edey Gamassou a co-coordonné l’ouvrage Dé-libérer le travail. Démocratie et temporalités au cœur des enjeux de santé au travail1. Cet ouvrage collectif revient sur les transformations managériales et organisationnelles qui se sont produites depuis les années 1980 et qui ont notamment eu pour effet une intensification du travail, qui a « fortement progressé », une autonomie qui « reste à un niveau particulièrement faible » et des pénibilités du travail qui « n’ont pas régressé ».

Claire Edey Gamassou, chercheuse en sciences de gestion, constate que les organisations publiques, caractérisées aujourd’hui par de grandes diversités de situations et de statuts des personnels, « tournent » grâce au surengagement des fonctionnaires, viscéralement attachés au service public, et aux recrutements massifs de contractuel·les dont une grande partie en contrats courts. La chercheuse estime que les collectivités locales devraient enfin reconnaître et valoriser de façon tangible ce surengagement des fonctionnaires, tant en interne qu’auprès du public, car le surengagement a aussi ses limites. Quant à l’attractivité, même si les niveaux des salaires dans les trois fonctions publiques ne sont pas un obstacle infranchissable pour recruter, plus particulièrement dans la fonction publique territoriale, ils constituent néanmoins le frein principal.

Les travaux de Kurt Lewin, le père de psychosociologie, ont démontré, voici tout de même plus de quatre-vingt ans, que pour emporter l’adhésion d’individus à une décision, mieux vaut qu’ils y aient auparavant participé !

Notre dossier s’intitule « Vocations publiques : sursaut ou crise durable ? ». Vous qui prenez régulièrement le pouls des organisations publiques, plus particulièrement au sein de la fonction publique territoriale, quel est l’état du « patient », au point de vue des vocations ?

Je pense que si la crise du recrutement est indéniable (mais est-ce la première ?), il n’y a pas pour autant de crise des vocations. En effet, selon la rationalité économique des comportements, il ne devrait plus y avoir de candidats à la fonction publique, ni même de fonctionnaires, en raison des niveaux de salaires dont les écarts avec ceux du secteur privé n’ont cessé de croître. Il existe d’autres raisons, personnelles et collectives, d’intégrer ou de rester dans la fonction publique, j’y reviendrai.

Mais avant toute chose je trouve qu’il faut absolument nous départir des images, des « mots-valises », simplificateurs à l’extrême, qui ne reflètent en rien la diversité et la complexité des situations et induisent des mauvaises perceptions et erreurs de jugement, car les conséquences de cette simplification sont préjudiciables pour tous : l’image des « fonctionnaires-fainéants » ou « fonctionnaires-privilégiés », véhiculée depuis une bonne vingtaine d’années au moins par certains discours politiques et relayés dans les médias, a notamment eu pour conséquence d’écorner sérieusement l’image de la fonction publique auprès des citoyens et de contribuer ainsi au défaut d’attractivité dont elle souffre. Et si demain les difficultés à recruter venaient mettre à mal la continuité du service public dans certains domaines, faute d’avoir pu trouver des candidats pour remplacer les départs en retraite massifs qui vont avoir lieu dans les cinq prochaines années dans la fonction publique territoriale ?

Qu’est-ce qui a changé ?

À partir de la première moitié des années 1980, le paysage de la fonction publique a considérablement évolué en France. Ainsi, depuis bientôt quarante ans, il existe non pas une, mais trois fonctions publiques qui obéissent à des communautés de règles différentes les unes des autres. Beaucoup de nos concitoyens continuent d’ignorer cette transformation. Or, à l’intérieur de ces trois fonctions – dont les régimes indemnitaires notamment varient – des catégories d’agents travaillent dans des structures très diverses : ministères, agences, hôpitaux, intercommunalités, métropoles, etc. Prenez la fonction publique territoriale qui compte 1,6 million d’agents et sur laquelle portent mes travaux de recherche : elle réunit sous une même communauté de statut 250 métiers avec des réalités très différentes. Où réduire ces fonctionnaires qui jouent un rôle essentiel dans le quotidien des habitants en matière d’énergie, d’eau, de transports ou encore d’éducation et de plus en plus de santé ?

En outre, le phénomène des contractuels vient encore ajouter à la variété des situations. En 2017, plus d’un agent de la fonction publique sur cinq était un contractuel, soit 1,4 million d’agents contractuels répartit comme suit : 26 % dans la fonction publique territoriale, 23 % dans la fonction publique hospitalière et 20 % dans la fonction publique de l’État. Cette tendance à l’emploi de contractuels, notamment dans la fonction publique territoriale, n’a pas faibli, bien au contraire2. Or, il existe différents statuts de non-permanents dans la fonction publique !

Ainsi lorsque l’on fustige l’entité « les fonctionnaires » en parlant de « fainéants » ou de « privilégiés », et lorsque l’on déclare que 1 fonctionnaire sur 2 ne sera pas remplacé, de qui parle-t-on ? Quels sont les métiers mis en cause ? De quelles entités est-il question ? Employer le terme générique « les fonctionnaires » ne reflète plus la réalité et ne sert qu’à alimenter le « fonctionnaire bashing ». Quant au statut du fonctionnaire, souvent vilipendé, car synonyme d’emploi à vie – ce qui d’ailleurs ne fait plus rêver les jeunes générations – on oublie trop souvent sa signification : le fonctionnaire n’obéit pas à une hiérarchie, mais à des règles. Ce statut le protège, par exemple, en cas de corruption ou d’autres manquements à ces règles, qu’il sera à même de dénoncer sans craindre de perdre son emploi. Malheureusement ce point est ignoré et l’emploi à vie se retourne alors contre les fonctionnaires qui, aux yeux de la société, n’ont pas le droit de se plaindre.

Il me semble que l’on oublie également un peu vite les heures supplémentaires effectuées dans les trois fonctions publiques. En 2018, la Cour des comptes a conduit une étude spécifique pour mesurer le stock d’heures non payées et non récupérées qui s’élevait alors à 23 millions dans la police nationale, 18,5 millions dans l’hôpital public et 6,2 millions dans la fonction publique territoriale.

Nous sommes loin de l’image du fonctionnaire fainéant… Peut-on parler de surmenage, de burn-out ?

Oui, on peut ! Je rappelle à ce propos que le burn-out – « popularisé » par des exemples de cadres du secteur privé malmenés et hyperstressés – est, à l’origine, venu d’Amérique du Nord et est issu des métiers du secteur social. Donc « burn-out » et « fonction publique » ne sont pas incompatibles ! Mais sans aller jusqu’à de telles situations, j’observe que les organisations publiques fonctionnent aujourd’hui grâce au surengagement des fonctionnaires dans les trois fonctions publiques. Je le vis au quotidien dans mon université où j’ai pu voir l’implication – le travail fourni – qui allait au-delà des attributions de leurs postes, de collègues en charge de la préparation d’un audit dans le cadre de l’obtention de la certification pour la formation continue. En tant que chercheuse, j’ai également pu constater lors des entretiens de terrain ce surengagement : malgré l’isolement professionnel, l’émiettement des tâches, une hiérarchie qui connaît mal son métier et des situations de violences externes, une infirmière scolaire a eu cette phrase, à propos de ses conditions de travail, qui résume tout : « J’aime tellement mon métier et les gamins que ce n’est pas quelque chose qui m’obnubile. Les gamins me nourrissent tellement, ça glisse, on fait avec. »

Pour reprendre l’intitulé de votre dossier, je parlerai de « crise » et de « survie » plutôt que de « sursaut ». Il est vrai que les fonctions publiques ont contre elles les niveaux de salaires qui demeurent le problème en termes d’attractivité, notamment pour attirer des talents dans les nouveaux métiers de la transition écologique et énergétique ou du numérique qui pour certains sont des ressources rares et donc chères.

Or, ce surengagement n’est ni reconnu de la part de l’encadrement, ni valorisé de façon tangible tant en interne qu’auprès de la société. Le sentiment d’être utile à la population se retrouve aussi dans la fonction publique territoriale : lors d’une enquête qualitative, un directeur des services techniques opérationnels d’une commune de montagne utilisant des chasse-neiges a mentionné que : « L’hiver, les agents attendent la neige avec impatience, c’est incroyable… Là, ils se sentent vraiment utiles ! » Dans l’Éducation nationale, combien d’enseignants viennent travailler même souffrant, car ils ont conscience que, s’ils s’absentent, leurs collègues déjà surchargés vont l’être davantage, ce qui représentera un risque pour leur santé, tant physique que psychique.

Reste que le surengagement a des limites et parfois, lorsque le point de rupture est atteint, l’organisation peut s’arrêter de fonctionner. C’est ce qui vient de se passer à l’Institut de l’administration des entreprises (IAE) de Nantes, qui a suspendu ses activités d’enseignement et administratives au moins pour une journée. Cette décision, rarissime, intervient pour donner suite à une série de démissions, d’arrêts de travail – dont la directrice de l’IAE –, pour « épuisement professionnel », de situations de mal-être, voire de souffrance au travail. En cause, le manque de moyens en termes d’encadrement enseignant et administratif, la non-reconnaissance, notamment en termes de salaires, du travail fourni, le manque de perspectives d’évolution et la précarité des contrats courts. Pourtant sans les vacataires, la plupart des universités ne pourraient pas offrir aux étudiants un service public de l’enseignement de qualité : les vacataires assurent, sur l’ensemble de l’enseignement supérieur, environ un tiers des heures de cours.

Ces problèmes ont pour conséquence un taux de turn-over important qui met la pression sur les personnels qui restent, puisqu’il faut tout à la fois, du côté des enseignants, assurer les cours, les activités d’encadrement et de recherche pour les enseignants-chercheurs !

Mais ce qui vient d’arriver dans cet IAE pourrait arriver dans n’importe quelle structure de ce type, voire dans d’autres organisations publiques, tant la question des moyens pour bien effectuer son travail, d’en être fier, d’être reconnu notamment au niveau du salaire, est prégnante partout et pas seulement dans l’éducation. Cela montre que la motivation du service public, la « vocation », pour reprendre le terme de votre dossier, si elle anime toujours les fonctionnaires n’est cependant ni une garantie de bien-être ni un rempart absolu contre la fatigue.

Finalement les facteurs psychosociaux de risque au travail semblent concerner aussi bien les fonctions publiques que le secteur privé ?

La pression sur les moyens, humains et/ou financiers dans le secteur public aboutit en fin de compte aux mêmes effets que la course aux profits dans le secteur privé. Mes collègues Emmanuel Abord de Chatillon et Céline Desmarais se sont d’ailleurs posé la question suivante : « Le nouveau management public [NMP] est-il pathogène ? » 3 Leurs travaux ont permis de démontrer que l’injonction de « faire plus ou mieux avec moins », centrale dans les changements liés au NMP, exprime clairement l’idée d’intensification du travail. Or, ces changements portent atteinte aux collectifs de travail, ce qui passe à la fois par une dégradation des relations sociales, et par l’émergence de climats de travail délétères. Le NMP se révèle donc bien pathogène puisqu’il a un impact sur l’épuisement professionnel par l’intermédiaire de ses effets sur la charge de travail perçue par les agents et sur le climat de violence psychologique. En outre, il faut préciser que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne concernant les risques psychosociaux dans les collectivités territoriales : les exécutants (catégorie C) présentent des niveaux significativement plus élevés de fatigue que les cadres (catégorie A). Ces derniers, en revanche, sont proportionnellement plus nombreux à envisager de quitter la collectivité qui les emploie. Les résultats de nos enquêtes traduisent ainsi une situation inégale entre ces deux catégories : les subordonnés sont plus exposés aux facteurs de risques psychosociaux comme la charge de travail, l’absence ou le manque d’autonomie, ou encore la violence de la part du public.

Notons au passage que ce type de risques vient, par ailleurs, amplifier les carences des risques physiques. Les suicides chez France Télécom liés à de la mobilité forcée ont ainsi contribué à faire entrer cette notion de troubles psychosociaux dans le secteur public.

Par ailleurs, ces risques ne concernent pas que les agents titulaires. Une enquête récente4 à laquelle j’ai participé, fait ressortir, en ce qui concerne les conditions de travail et les risques professionnels, l’alarmante fréquence des situations de harcèlement, au point que moi et mes collègues sommes tentés d’en faire le principal « risque » professionnel pour les contractuels de la fonction publique. Souvent réduite à des problématiques interpersonnelles, la résolution de ces situations n’implique jamais un changement organisationnel et peut même conduire au retrait de la victime.

Cette vocation publique pourrait-elle, au fil du temps et des épuisements professionnels, finir par disparaître ?

Avant d’en arriver là, il serait surtout préférable de tout mettre en œuvre afin d’être attentifs aux signaux, forts comme faibles, qui font ressortir de l’anxiété, de l’angoisse, des regrets de ne pas avoir les moyens de bien faire son travail, de l’amertume à ne pas pouvoir, s’agissant des contractuels, aller jusqu’au bout d’une mission, d’un projet avec en toile de fond le respect des agents et la reconnaissance de la qualité du travail, pour les personnels fonctionnels comme pour les administratifs. Il peut s’agir, par exemple, de créer des espaces de discussions où un temps collectif d’échanges informels pourra permettre de faire ressortir ce qui empêche le travail de bien se faire. Le management doit laisser s’exprimer les voix des agents et mobiliser pour cela plusieurs disciplines, à savoir sociologie des organisations, psychologie et psychosociologie. Il faut faire évoluer les pratiques pour faire en sorte que les motivations des individus profitent aux collectifs et inversement. L’une de nos recommandations vis-à-vis du management de la fonction publique territoriale est de s’appuyer plus largement sur le désir d’être utile de leurs collaborateurs, en concevant les tâches de telle sorte que les agents voient davantage le résultat de leur travail sur les clients et les usagers. Les travaux de Kurt Lewin5, le père de psychosociologie, ont démontré, voici tout de même plus de quatre-vingt ans, que pour emporter l’adhésion d’individus à une décision, mieux vaut qu’ils y aient auparavant participé !

Vous venez d’évoquer les collectivités territoriales et les initiatives qu’elles prennent en matière de santé et de bien-être au travail. Est-ce que cette fonction publique est mieux lotie que ses consœurs en matière d’attractivité ?

Je le pense, car plusieurs facteurs sont à l’avantage des collectivités territoriales, outre cette préoccupation pour le bien-être des agents. Du point de vue des salaires, le point noir de l’attractivité, le régime indemnitaire de la fonction publique territoriale est plus avantageux que ceux des autres fonctions publiques. En outre, il est possible de créer des primes spécifiques pour recruter des métiers en tension comme c’est le cas pour les mécaniciens. Après, la collectivité en a-t-elle les moyens ? Cette prime sera-t-elle pérennisée ? Cela reste à voir, mais au moins la possibilité existe. Ensuite, la proximité de la collectivité avec le lieu d’habitation peut être intéressante du point de vue de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ce qui est aujourd’hui très recherché. S’agissant des moyens, la fonction publique territoriale, qui offre des services publics de proximité, a, compte tenu des enjeux pour les élus locaux, en prise directe avec les citoyens, une capacité certaine à mobiliser des ressources via l’expérience et les réseaux de ses agents. On l’a bien vu lors de la crise sanitaire. Au total, la fonction publique territoriale dispose de réelles marges de manœuvre. Enfin, la quête de sens dans le travail que cherchent nombre de travailleurs, jeunes et moins jeunes, peut être facilement identifiable dans une collectivité pourvu qu’elle soit mise en avant : participer à la construction d’écoles en paille et en bois, à la revégétalisation des sols ou au développement de la mobilité vélo s’inscrivent parfaitement dans la transition écologique, de même que servir des repas bio dans les cantines scolaires participe à la démocratie alimentaire, des thèmes susceptibles d’attirer les jeunes talents. Il y a également deux autres éléments positifs qui toutefois ne sont pas propres à la fonction publique territoriale, à savoir l’honnêteté et la transparence : contrairement aux entreprises qui ont des discours bien rodés sur le bien-être des salariés – discours qui ne se vérifient pas toujours dans les actes – la fonction publique n’aura pas de discours si elle ne sait ou ne peut pas faire.

En fin de compte qu’il s’agisse de salaire, de condition de travail, de reconnaissance – notamment sociétale –, les fonctions publiques partent avec des désavantages, par rapport au privé, dans la course aux recrutements et présentent un risque certain d’épuisement des forces vives. Pourtant, elles continuent d’être au service de toutes et tous. Qu’en concluez-vous ?

Pour reprendre à nouveau l’intitulé de votre dossier, je parlerai de « crise » et de « survie » plutôt que de « sursaut ». Il est vrai que les fonctions publiques ont contre elles les niveaux de salaires qui demeurent le problème en termes d’attractivité, notamment pour attirer des talents dans les nouveaux métiers de la transition écologique et énergétique ou du numérique qui, pour certains, sont des ressources rares et donc chères. Ou si elles arrivent à attirer ces talents, les collectivités territoriales doivent se faire à l’idée qu’elles ne les garderont que quelques années, compte tenu des aspirations des jeunes générations à la mobilité, ce qui implique au passage une gestion prévisionnelle particulièrement efficace !

Toutefois, je l’ai constaté à maintes reprises dans mes échanges avec les fonctionnaires territoriaux, qu’ils soient cadres ou agents en position d’exécution : il existe un attachement viscéral à la fonction publique. Y compris et c’est plus surprenant chez les jeunes qui ont fait un passage dans le public puis sont partis dans le privé, ces derniers se demandant alors si une organisation qui n’a pas le profit comme objectif principal, mais l’intérêt général, le service public étant « le bien de ceux qui n’en ont pas », n’est finalement pas préférable !

L’abnégation et les convictions des fonctionnaires permettent de « survivre » aux niveaux des salaires, aux conditions de travail soumises à l’injonction « faire plus avec moins » et à la non-reconnaissance sociale, mais cela donne aussi beaucoup de vitalité pour faire évoluer les organisations publiques comme nous l’avons évoqué plus haut. Au-delà, dans une société en quête de sens du travail, les fonctions publiques, et tout spécialement la fonction publique territoriale, sont en mesure d’attirer les talents en revoyant les copies sur la forme et la méthode de recrutement, en proposant des emplois et des projets porteurs de sens, et en étant proactives sur les perspectives d’évolution, et ce dès l’embauche. Il faut donc convaincre et pour cela « aller vers » les candidats ce qui est une posture totalement nouvelle pour les fonctions publiques et poursuivre cette posture une fois les candidats embauchés.

Attractivité du service public local :
les grandes questions

Les cinq centres de gestion des Pays de Loire, dans le cadre d’une coopération régionale, ont organisé fin mars 2023 une webconférence sur le thème épineux de l’attractivité. Épineux, car derrière les constats connus (fonction publique territoriale vieillissante, recrutement difficile, vive concurrence avec le privé et entre collectivités, statut des fonctionnaires territoriaux peu souples, etc.) se profilent des enjeux de société impliquant des choix d’ordre politique : « Quels services publics souhaite-t-on offrir à la population et par conséquent quels moyens faut-il mettre en œuvre ? Qui veut-on recruter et sous quel statut, me semblent être, au préalable, les questions fondamentales à se poser. Quant à la question du statut, d’où découlerait le problème de l’attractivité selon certains discours politiques, car personne ne voudrait plus s’engager à vie, c’est oublier un peu vite que les problèmes d’attractivité des fonctions publiques résident avant tout dans les niveaux de rémunérations et les conditions de travail », a observé Émilien Ruiz6, historien et professeur assistant à Sciences Po. De son côté, France Burgy, directrice générale du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), a déploré ne pas entendre de messages politiques de la part des élus publics locaux sur leur service public local, ni de souhaits de la part des employeurs publics sur ce qu’ils veulent dans leur fonction publique territoriale : « Ce manque d’affirmation politique du service public local explique sans doute en partie le manque d’attractivité », a-t-elle estimé. Si les questions propres à la gestion des ressources humaines (intitulé des petites annonces, communication autour des métiers, marque employeur, plan de formation, conditions de travail, etc.) doivent absolument être traitées par les employeurs publics, les participants au webinaire ont également souligné que le problème de l’attractivité découlerait d’abord des réponses à de grandes questions telles que : quelles fonctions publiques souhaite-t-on pour quelle société ? Ou encore à un niveau plus technique quel modèle de management veut-on dans ces fonctions publiques ?

  1. Edey Gamassou C. et Mias A. (coord.), Dé-libérer le travail. Démocratie et temporalités au cœur des enjeux de santé au travail, 2021, Teseo.
  2. « Contractuels : les agents publics de demain ? », Horizons publics nov.-déc. 2018, no 6.
  3. Abord de Chatillon E. et Desmarais C., « Le nouveau management public est-il pathogène ? », Management international printemps 2012, vol. 16, no 3, p. 10-24.
  4. Mias A., Barlet B., Edey Gamassou C., Mascova E. et Tranchant L., Conditions de travail et trajectoires d’emploi des contractuels de la fonction publique de l’État : une approche qualitative par cas-type, rapport, 2023, DGAFP.
  5. Lewin K., Psychologie dynamique. Les relations humaines, 1967 (trad.), PUF, Bibliothèque scientifique internationale.
  6. Ruiz É., Trop de fonctionnaires ? Histoire d’une obsession française (xix-xxie siècle), 2022, Fayard, L’épreuve de l’histoire.
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