Revue
DossierComment l’IAG va-t-elle transformer le travail du manager ?

La plénière d’ouverture de Territorialis 2024 a mis à l’honneur l’intervention de Cécile Dejoux, conférencière, professeure des universités au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et directrice de l’Observatoire des transformations managériales et ressources humaines (RH), le Learning Lab Human Change. Retour sur les points clefs de son intervention centrée autour de l’exploration de l’intelligence artificielle générative (IAG), l’importance d’être « IA compatible » et de privilégier le « care management ». La technologie est un outil, mais c’est avant tout une transformation humaine qui doit être pilotée avec une vision stratégique.
L’IAG est la troisième rupture technologique majeure, après celle de l’Internet et du smartphone. Dans un long billet de blog sur le futur de la technologie, intitulé « L’ère de l’IA a commencé » 1, Bill Gates, l’ancien PDG et cofondateur de Microsoft, considère le modèle GPT d’OpenAI comme le progrès technologique le plus révolutionnaire des quarante dernières années. « L’IAG a permis de créer des usages inimaginables, c’est la troisième disruption en technologie qui se confirme dans les investissements des pays, avec les États-Unis qui investissent le plus. Les revenus de l’IAG devraient croître de 80 %, la bataille mondiale est en cours », rappelle Cécile Dejoux.
L’IAG, des opportunités mais aussi des risques
Les opportunités de l’IAG sont nombreuses : productivité décuplée, gain de temps, créativité augmentée, levier d’innovation, automatisation des tâches répétitives ou encore personnalisation poussée.
Après avoir passé en revue tous les aspects positifs des usages de l’IAG, la conférencière a aussi évoqué les nombreux risques liés à cette technologie disruptive : génération d’erreurs ou/et d’hallucinations, collecte permanente de data, impact sur l’environnement, problème d’éthique, conséquence sur la santé mentale, dérives et manipulations en tout genre de type Deepfakes, cyberattaques à grande échelle auto-alimentées par l’IA, exploitation de données sensibles ou personnelles… « L’IAG doit être utilisée sur des cas d’usage et sur des problèmes bien spécifiques […] le rôle de l’humain est de vérifier et superviser la vérité donnée par les machines qui doivent en permanence être remises en question », a-t-elle mis en garde. Aux États-Unis, il y a un débat sur une restriction à créer sur les téléphones qui affichent des macarons « créés par l’IA ». Autre risque identifié : l’IAG est la première technologie qui va beaucoup plus toucher l’estime de soi au travail et faire douter des compétences. Les métiers déjà impactés par l’IAG tombent dans la dépendance. L’IAG peut développer chez la femme et l’homme de la paresse. « Pourquoi faire un effort alors que l’IAG peut très bien le faire à ma place », voilà un autre risque.
« L’IAG a permis de créer des usages inimaginables, c’est la troisième disruption en technologie qui se confirme dans les investissements des pays, avec les États-Unis qui investissent le plus. Les revenus de l’IAG devraient croître de 80 %, la bataille mondiale est en cours », rappelle Cécile Dejoux.
Mais il y a de l’espoir avec la régulation de l’IA. Après l’entrée en vigueur de l’European Artificial Intelligence Act (AI Act) (voir encadré), « il y a une volonté internationale de réguler l’IAG. La Chine, le Canada et l’Europe se parlent pour avoir une IA de confiance (principes sur la transparence, d’inclusion, etc.). On peut aussi faire des choses nouvelles dans un cadre local autour d’une charte, d’une certification, d’un label, et de l’AI Act », précise notre intervenante.
Éclairage juridique
Le règlement européen sur l’intelligence artificielle (RIA) ou « IA Act » est entré en vigueur le 1er août 2024. Il vise à favoriser un développement et un déploiement responsables de l’IA dans l’Union européenne (UE)2.
Le règlement sur l’IA traite les risques pour la santé, la sécurité et les droits fondamentaux des citoyens. Il établit pour les développeurs et les déployeurs des exigences et des obligations claires concernant les utilisations spécifiques de l’IA, tout en réduisant les charges administratives et financières pesant sur les entreprises.
Le règlement sur l’IA introduit un cadre uniforme dans tous les pays de l’UE, axé sur une définition prospective de l’IA et une approche fondée sur les risques :
- risque minime : la plupart des systèmes d’IA tels que les filtres anti-spam et les jeux vidéo fondés sur l’IA ne sont soumis à aucune obligation au titre du règlement sur l’IA. Les entreprises peuvent néanmoins adopter volontairement des codes de conduite supplémentaires ;
- risque spécifique en matière de transparence : les systèmes d’IA tels que les dialogueurs (chatbots) doivent indiquer clairement aux utilisateurs qu’ils interagissent avec une machine, tandis que certains contenus générés par l’IA doivent être signalés comme tels ;
- risque élevé : les systèmes d’IA à haut risque tels que les logiciels médicaux fondés sur l’IA ou les systèmes d’IA utilisés pour le recrutement doivent respecter des exigences strictes, notamment en ce qui concerne les systèmes d’atténuation des risques, la qualité des ensembles de données utilisés, la fourniture d’informations claires à l’utilisateur, le contrôle humain, etc. ;
- risque inacceptable : par exemple, les systèmes d’IA qui permettent une « notation sociale » par les gouvernements ou les entreprises sont considérés comme une menace évidente pour les droits fondamentaux des citoyens et sont donc interdits.
5 niveaux de maturité dans l’adoption de l’IAG3
Alors que la régulation se met en place en Europe pour encadrer les risques, Cécile Dejoux explique qu’il y a cinq niveaux progressifs de maturité dans l’adoption de l’IA par le manager.
Le 1er niveau est celui de l’augmentation de la productivité : « Quand l’IA générative peut être comparée à un(e) stagiaire bien formé(e). » Dans ce cas précis, l’IAG est utilisée pour automatiser des tâches faciles et répétitives (écriture d’e-mails, préparation de présentations PowerPoint, etc.) afin de libérer du temps pour se concentrer sur des actions à plus forte valeur ajoutée. Le 2e niveau d’adoption est celui de la génération de contenu : « Quand l’IA générative peut être comparée à un free-lance expert. » À ce niveau de maturité, les outils d’IAG peuvent apporter une expertise sur des tâches précises. Le 3e niveau est celui de l’individualisation et de la relation personnalisée : « Quand l’IA générative peut être comparée à un(e) secrétaire dévoué(e). » Gestion des tâches prioritaires, résumé d’une journée, contenu sur mesure, etc., les outils d’IAG permettent de personnaliser au maximum ses requêtes. Le 4e niveau de maturité est celui de l’automatisation : « Quand l’IA générative peut être comparée à un processus certifiable. » Ce niveau de maturité requiert des compétences plus poussées, comme l’usage par de GPT Builder d’OpenAI qui permet de créer ses propres chatbots avec ses propres données… Enfin, 5e et dernier niveau de maturité identifiée par l’intervenante, c’est celui de l’augmentation des potentialités du manager : « Quand l’IA générative est comparée à “un assistant personnel”, un double virtuel qui pense, ou non, comme moi… »
Ce qu’il faut se poser avant tout comme questions, c’est quelle est la stratégie IAG de mon organisation ? Quel est le cadre éthique (label, charte)?
Développer le « care management »
La dernière partie de l’intervention a porté sur l’enjeu et l’impact de l’IAG plus spécifiquement dans le secteur des ressources humaines. Selon la professeure au Cnam, les outils d’IAG offrent une action à 360 degrés pour les managers RH : recrutement, learning, audit, qualité de vie au travail (QVT), administration RH, gestion des compétences, gestion des talents, etc. Ce qu’il faut se poser avant tout comme questions, c’est quelle est la stratégie IAG de mon organisation ? Quel est le cadre éthique (label, charte) ? Quelles sont les règles dans mon organisation ? Quels outils d’IAG possibles (fermés ou en test) ? Y a-t-il une stratégie « prompt » dans mon organisation (librairie de prompts par métier) ? Concernant l’impact de l’IAG sur les métiers4, il faut aussi partir de questions de fond : comment le collaborateur va-t-il continuer à créer de la valeur ? Par exemple, un expert-comptable peut évoluer en termes de compétences et passer au niveau du conseil.
Enfin, concluant son intervention, elle a insisté sur l’importance de trouver un juste équilibre entre l’usage de l’IAG et des temps sans numérique, pour se concentrer sur l’humain. Le développement des relations humaines de proximité avec chacun des membres de l’équipe restera une valeur sûre et indispensable du manager de demain. Bref, il faudra investir dans le management par le « care », expression anglophone qui désigne l’ensemble des pratiques qui placent au cœur de leurs préoccupations le soin et l’intérêt porté à l’attention des salariés.
Pour aller plus loin
- Dejoux C., « Peut-on encore manager sans IA générative ? », Harvard Business Review 6 déc. 2024 ;
- Cnam, Mooc – Ce sera l’IA générative et moi : une introduction en trois heures pour mieux comprendre l’IAG et son impact dans les entreprises, avec des cas d’usages et de nombreuses interviews ;
- www.ceciledejoux-ia.com : ce site complète le Mooc – Ce sera l’IA générative et moi du Cnam. Il se présente comme un mode d’emploi pour managers et RH, visant à éclairer sur l’impact et la puissance des IA génératives dans le monde du travail, ainsi que sur les compétences à développer. Ce cours distinctif offre une analyse approfondie des différences entre l’IA traditionnelle et l’IA générative, tout en abordant les défis éthiques et la transformation des professions liées à ces technologies ;
- « Devenez IA Compatible certifié » : une micro-certification du Cnam conçue pour les décideurs. Vingt heures de formation à votre rythme, avec les meilleures pratiques d’IA appliquées au monde de l’entreprise ;
- « Mener une transformation dans une organisation (agilité, design thinking, intelligence collective, métavers, IA et IA générative) » : formation du Cnam ;
- Dejoux C., Ce sera l’IA générative et moi. Comprendre l’intelligence artificielle et transformer son métier, 2025, Vuibert.
- Gates B., « The Age of AI has begun », gatesnotes.com 21 mars 2023.
- Commission européenne, « Entrée en vigueur du règlement sur l’IA », Article d’actualité 1er août 2024.
- Dejoux C., « Peut-on encore manager sans IA générative ? », Harvard Business Review 6 déc. 2024.
- Benarousse L. et Chagnaud A., « L’impact de l’IA générative sur l’emploi en France », rolandberger.com 16 nov. 2023.