Revue
Anticipations publiquesComment serons-nous soignés en 2030 ?
En l’espace de quelques années, les innovations technologiques et thérapeutiques se sont multipliées. Dans le même temps, la société française, ses besoins et préoccupations en matière de santé et de bien-être ont évolué. Des paramètres à prendre en compte pour penser le système de soins de demain.
Des « ciseaux » capables de supprimer un gène et de le remplacer. Des nanovecteurs, pas plus grands qu’un 1/50 000e de cheveu, capables de transporter puis de libérer la substance active d’un médicament dans une cellule cible. Des cellules que l’on greffe pour restaurer un tissu ou un organe endommagé. CRISPR-Cas9, nanomédecine, thérapie cellulaire, thérapie génique, intelligence artificielle, etc. : ces dernières années, dans le domaine de la santé, les innovations technologiques et thérapeutiques ont ouvert à la voie à des progrès majeurs à l’horizon 2030. « Cette deuxième décennie du xxie siècle tient des promesses inimaginables il y a seulement dix ans : une forme de mucoviscidose peut être soignée, l’hépatite C est vaincue, et des cancers métastatiques (mélanome, certains cancers du poumon, certains lymphomes) peuvent être traités par les immunothérapies », énumère Philippe Tcheng, président du Leem, le syndicat des entreprises du médicament, en introduction de Santé 2030, une analyse prospective de l’innovation en santé, réalisée par le Leem avec l’appui du think tank Futuribles. « Chaque jour, ou presque, apporte sa lueur d’espoir ! Un espoir porté par les formidables avancées des sciences du vivant et, plus encore, l’alliance inédite de la génétique, des data, de l’imagerie, de la robotique, des nanotechnologies, etc., qui permet une compréhension fine de la maladie et de ses mécanismes », poursuit Philippe Tcheng.
Médecine de précision
Cette vague d’innovations, le Leem et Futuribles, entourés d’un comité scientifique et d’experts de renom, l’ont scrutée de près, dans une démarche prospective, afin de dessiner la façon dont nous serons soignés demain, en 2030. Des solutions thérapeutiques plus nombreuses et variées, une approche intégrée du parcours de soins du patient, des outils de diagnostic intégrés à la vie quotidienne des patients, etc. « La médecine de précision est donc désormais en passe de devenir la composante majeure des stratégies thérapeutiques, en bénéficiant des nombreuses avancées technologiques et de la prise de conscience générale de la nécessité de provoquer un changement de paradigme dans notre façon d’aborder la maladie », note le rapport Santé 2030.
De fait, la France de demain ne sera plus celle d’aujourd’hui, encore moins celle du siècle dernier. Le pays traverse de profonds bouleversements sociétaux dont il est indispensable de tenir compte. La population vieillit : les plus de 75 ans représenteront 16 % de la société d’ici 2040, contre 9 % actuellement. Un grand âge qui entraînera une augmentation du nombre de pathologies chroniques et de polypathologies. À ce vieillissement, s’ajoute une transition épidémiologique. Tandis qu’au siècle dernier, les Français souffraient principalement de maladies infectieuses, ils paient, et continueront à payer, un lourd tribut aux maladies dites de « civilisation », non mortelles, mais chroniques : diabète, cancers, troubles mentaux, obésité, etc. En 2030, 20 millions de Français souffriront d’une pathologie chronique. En parallèle, les addictions au tabac, à l’alcool, la consommation de stupéfiants connaît un niveau élevé. De nouveaux dangers apparaissent, liés à une pollution invisible. Les microparticules présentes dans l’air des métropoles, les perturbateurs endocriniens sont autant de préoccupations pour les Français. Les inégalités en matière de santé, d’accès aux soins, d’espérance de vie se creusent. Tous les Français n’ont pas les mêmes possibilités selon leurs revenus, selon l’endroit où ils vivent. « Contrairement à d’autres pays, l’espérance de vie en bonne santé stagne en France, constate François Bourse, directeur d’études à Futuribles. La population est de plus en plus stratifiée en matière de santé. Il y a les “investis”, des personnes bien connectées, des acteurs de leur santé, désireux de préserver leur capital santé. Ceux-là sont majoritaires, environ 40 % de la population. D’autres sont suivis, parce qu’ils sont en situation de pathologie chronique ou ce sont des personnes âgées. Et puis il y a les populations qui s’éloignent progressivement du système de santé. Pour faire progresser la santé, il faut comprendre et tenir compte de cette stratification croissante du rapport des Français à la santé. »
Aujourd’hui, notre système de soins est centré sur la maladie, nous devons passer à un système centré sur le patient.
Placer le patient au centre
Ces enjeux de santé publique, les attentes de citoyens, ont généré de nouveaux besoins et de nouvelles exigences. Autant de défis pour les acteurs de la santé, à l’heure de la révolution de l’innovation. Chacun y aura-t-il accès ? Les progrès scientifiques et technologiques ne risquent-ils pas de déshumaniser la médecine ? Quelle place auront les médecins, les soignants, les accompagnants ? Indéniablement, la santé en 2030 ne pourra se faire sans l’humain. La technologie n’a pas vocation à remplacer les hommes et femmes en blanc. Aussi pointue soit-elle, la médecine de demain ne peut se passer du lien entre le soigné et le soignant. « L’innovation n’est pas que technologique, elle est aussi philosophique, souligne le docteur Alain Toledano, médecin cancérologue et radiothérapeute, à la tête de l’Institut Rafaël, premier établissement de médecine intégrative en France dans le domaine de la cancérologie. La santé, contrairement à ce que l’on a l’habitude de penser, ce n’est pas l’absence de maladies. Aujourd’hui, notre système de soins est centré sur la maladie, nous devons passer à un système centré sur le patient. S’occuper de quelqu’un de façon globale plutôt que de ne s’occuper que d’une partie de son corps, ajoute-t-il. La première des transformations pour la santé de demain est là, sur une façon de penser. »
Nous entrons dans l’ère de la médecine de précision. Pour autant, la technologie n’a pas vocation à remplacer l’humain.
François Bourse
« Plus besoin de technologies, oui, mais pour plus de lien »
François Bourse est directeur d’études à Futuribles.
La santé des Français, en 2030, passera-t-elle par les innovations technologiques ?
Nous assistons à une révolution de l’innovation depuis quelques années dans le domaine du diagnostic, de la détection rapide et précoce, du dépistage et du suivi. Nous entrons dans l’ère de la médecine de précision. Pour autant, la technologie n’a pas vocation à remplacer l’humain. En 2030, nous compterons 20 millions de Français souffrant de maladie chronique, ils auront besoin d’être accompagnés. C’est pourquoi il est nécessaire de repenser l’organisation des soins. Plus de technologies, oui, mais pour plus de lien !
La France consacre près de 12 % de son PIB à la santé. Pourtant, l’espérance de vie en bonne santé des Français ne progresse plus. Pourquoi ?
Faire progresser l’état de santé des Français, c’est d’abord faire progresser l’état de santé des populations qui ont décroché. Entre 20 et 25 % de la population est en retrait en matière de santé, une petite partie a même totalement abandonné. C’est eux qu’il faut aller chercher. L’autre levier à actionner, c’est la réduction des facteurs de risques comportementaux. Les addictions sont très présentes en France, les niveaux de consommation d’alcool, de drogue, de tabac et le taux de suicide sont élevés, c’est une particularité française.
Comment agir alors ?
Une réorganisation de l’organisation des soins est nécessaire. Aujourd’hui, tout repose sur le professionnel de santé « classique », les médecins scolaires et la médecine du travail sont en train de disparaître. Les politiques de santé publique doivent prendre en compte les situations historiques, la variété des comportements et les besoins futurs. Garantir un accès aux soins égal pour tous nécessitera des solutions vraisemblablement plus différenciées par territoires et populations.
Santé 2020, des innovations scientifiques et technologiques
Les entreprises du médicament (Leem) et le think tank Futuribles ont identifié quatorze vecteurs d’innovation1 qui façonneront, demain, les progrès de la recherche, du diagnostic, des thérapies et de l’accompagnement des patients – une liste loin d’être exhaustive. Huit ont émergé ces six dernières années. « Les solutions thérapeutiques seront de plus en plus nombreuses et diversifiées et permettront une approche intégrée du parcours de soins du patient, du diagnostic au suivi et à l’adaptation du traitement », indique le Leem dans son analyse prospective de l’innovation en santé. Zoom sur trois de ces vecteurs d’innovation.
Les données de santé
8,9 milliards de feuilles de soins, 80 millions d’actes d’imagerie, des centaines d’applications de santé disponibles sur smartphone, etc., les données de santé proviennent de multiples sources. L’arrivée de l’intelligence artificielle permet de rassembler toutes ces data afin de faire progresser la recherche, les soins et l’innovation en santé. Début 2019, le Health Data Hub a été créé pour collecter les données de santé, proposer des outils pour mettre au point des algorithmes d’analyse, apparier et analyser les données. D’ici 2030, « les systèmes dotés d’intelligence artificielle, de techniques de machine learning et de puissances de calcul importantes permettront de synthétiser et de modéliser des données complexes pour affiner un diagnostic, identifier les mutations génétiques en cause, surveiller la croissance tumorale, aider à la prise de décision des médecins », souligne le rapport Santé 2030.
L’intelligence artificielle
La puissance d’analyse informatique et la production continue de données offrent de nouveaux outils aux médecins et chercheurs. D’ici 2030, l’intelligence artificielle devrait permettre d’intervenir sur tout le champ de la santé. Le rapport Santé 2030 identifie trois grands débouchés, dans le domaine de la prévention (identification de facteurs de risque pour certaines maladies grâce au recueil de données ; caractérisation plus rapide des maladies rares grâce à une analyse plus performantes des images ; construction de systèmes efficaces d’aide au diagnostic), de la prise en charge (personnalisation des traitements, notamment dans le cas de certains cancers grâce à une meilleure caractérisation en fonction des données génétiques), de la pharmacovigilance et l’efficience pharmacologique (réaction rapide en cas d’effets indésirables de médicaments), et de la recherche clinique (accès unifié aux cohortes).
La médecine intégrative
« Aujourd’hui, 97 % de la population atteinte de cancer est traitée par ce qui est démontré chez 3 % des patients, souligne l’analyse Santé 2030. Toutes les inconnues dues à l’hétérogénéité des patients ont été confinées derrière les données statistiques de manière à pouvoir prendre en charge tous les patients. » Une approche intégrée consiste à compléter ces statistiques avec les données biologiques de la tumeur et son environnement, et à faire appel à toutes les disciplines disponibles (intelligence artificielle, imagerie médicale, réalité virtuelle). Le but : mieux définir la stratégie thérapeutique adaptée. « Un changement de prisme s’opère en matière de prise en charge du cancer pour écrire des équations intégrant de nouvelles inconnues et fabriquer des médicaments à la carte », indique le rapport Santé 2030.
- Les quatorze vecteurs d’innovation identifiés par le rapport Santé 2030 sont : les « ciseaux génétiques » (CRISPR-Cas9), l’épigénétique, le microbiote, la microfluidique, la nanomédecine, la médecine régénérative, la thérapie génique, l’immunothérapie, la vaccination, les données de santé, l’intelligence artificielle, l’approche intégrative des technologies de pointe, la médecine intégrative, le patient autonome. Toutes sont décrites dans l’analyse prospective Santé 2030 réalisée par le Leem avec l’appui de Futuribles, think tank dédié à la prospective. Le rapport est disponible sur le site du Leem, www.leem.org