Revue
DossierDes rites funéraires plus écologiques à Lyon

Depuis 2022, Lyon modernise sa politique funéraire en s’appuyant sur trois axes : l’écologie, avec des pratiques novatrices comme l’humusation1 ou les funérailles naturelles, la justice sociale, via une tarification progressive des concessions et une prise en charge des défunts sans ressources, et la participation citoyenne, grâce à des enquêtes et consultations publiques. Laurent Bosetti, adjoint au maire chargé de la politique funéraire, détaille cette transformation.
Pourquoi avoir lancé cette nouvelle politique funéraire ?
À la ville de Lyon, la délégation aux cimetières a longtemps été intégrée à la délégation aux espaces verts, associant surtout le funéraire à la gestion paysagère du cimetière, à un cadre de vie soigné et agréable, en hommage à nos défunts. En 2022, le maire de Lyon a fait le choix de désigner un adjoint délégué à la politique funéraire, tant il lui paraissait important de définir une véritable stratégie funéraire pour notre commune. Le cimetière est, en effet, le reflet d’une société, d’une organisation sociale, empreint d’humanisme et de dignité, mais aussi en mouvement dans ses pratiques, dans ses rites, dans ses mœurs, et pouvant parfois susciter des divergences ou des frictions, voire de l’exclusion ou des inégalités.
La ville de Lyon a décidé de donner toute sa place à cette politique publique avec pour mission de promouvoir ce « bien commun ». Cela se traduit notamment par trois axes forts : l’élaboration d’un document-cadre d’orientations pour la période 2023-2026, une première dans les collectivités territoriales ; plan massif d’investissements, avec plus de 8 millions d’euros mobilisés sur le mandat ; un engagement pour le développement d’un service public des pompes funèbres (pôle funéraire public [PFP]). La ville assure en effet la gestion administrative et technique de quatre cimetières, à savoir ceux de la Guillotière, de la Croix-Rousse, de Saint-Rambert et de Loyasse.
Le service public funéraire est central, et embrasse des enjeux sociaux, économiques, écologiques, mémoriels, patrimoniaux ou encore spirituels. Nous souhaitons notamment inscrire le service public funéraire dans son époque, celle de la transition écologique, avec un plan d’investissement pour la renaturation des cimetières, avec des projets écologiques territorialisés comme une trame verte à Guillotière, une ferme pédagogique à Loyasse ou encore un partenariat singulier sur la biodiversité dans nos différents cimetières. Avec l’évolution des mœurs, nous explorons aussi des funérailles écologiques et sobres, dans les prestations comme dans les matériaux proposés aux familles, jusqu’à l’expérimentation d’un « carré naturel » 2 qui permet d’être inhumé dans une prairie, avec un impact environnemental limité.
En 2022, le maire de Lyon a fait le choix de désigner un adjoint délégué à la politique funéraire, tant il lui paraissait important de définir une véritable stratégie funéraire pour notre commune.
Quels besoins ou signaux faibles ont motivé l’évolution de la politique funéraire de la ville de Lyon ?
La décision d’évoluer dans ce domaine est née d’un constat d’invisibilisation des rites funéraires. Ces pratiques, essentielles, mais souvent ignorées, méritaient d’être remises au centre des préoccupations. L’objectif principal a été de revisibiliser le service funéraire, tout en lui donnant une véritable portée politique. Il ne s’agit pas seulement de la gestion des cimetières ou de leur végétalisation, déjà assurée par d’autres délégations, mais de traiter des enjeux plus larges, tels que la justice sociale et le rôle du service public. Nous avons voulu structurer cette ambition dans une stratégie funéraire claire, inscrite dans un document-cadre d’orientations. C’est aussi pour cela qu’une délégation spécifique à la politique funéraire a été créée. Ce choix traduit la volonté de dépasser les simples aspects administratifs pour aborder des questions fondamentales, comme celle de la régulation du marché funéraire. En effet, depuis la libéralisation des pompes funèbres en 1993, les tarifs ont explosé. Un rapport de la Cour des comptes en 20193 souligne comment les grands opérateurs profitent de la vulnérabilité des familles pour proposer des devis souvent incomparables et aux prestations inégales. Face à cela, la ville de Lyon, en coopération avec 15 communes actionnaires, a renforcé le rôle d’un acteur public du funéraire à travers le PFP. Cet opérateur public agit comme un régulateur du marché, garantissant des prestations au juste prix, sans objectif de profit. Ainsi, l’évolution de cette politique repose sur une double ambition : rendre au funéraire sa visibilité et sa dimension politique, tout en assurant des services justes et accessibles pour tous les Lyonnais.
À quels enjeux écologiques souhaitez-vous répondre avec cette réforme de votre politique funéraire ?
Notre réforme funéraire s’articule autour de trois objectifs principaux en matière écologique. Premier objectif : préserver l’environnement et la biodiversité. Les cimetières, souvent perçus comme des espaces figés, sont de véritables refuges pour la biodiversité. Nous travaillons avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) pour garantir une gestion respectueuse de la faune et de la flore dans nos sept cimetières lyonnais. Cet accompagnement se traduit par des actions concrètes, comme la végétalisation du cimetière de la Guillotière, où un million d’euros ont été investis. L’objectif est de planter des arbres, verdir les allées, ouvrir davantage les cimetières pour faciliter la circulation et offrir de nouvelles perspectives paysagères, tout en les intégrant pleinement dans le tissu urbain.
Deuxième objectif : faire évoluer les pratiques funéraires vers plus de naturel. Nous souhaitons également rendre les rites funéraires plus respectueux de l’environnement. Nous testerons d’ici l’automne 2025 un carré naturel expérimental au cimetière de la Guillotière, c’est-à-dire un espace dédié aux enterrements naturels, sans caveau bétonné, avec des cercueils en bois local non traité, sans produits chimiques ni accessoires métalliques. L’environnement de ces sépultures sera volontairement sobre, semblable à une prairie. Nous proposons aussi depuis janvier 2024 le pack Naturalis, une nouvelle formule qui propose des funérailles écologiques à un coût plus accessible que les prestations traditionnelles.
Troisième objectif : promouvoir de nouvelles pratiques. Nous militons pour des procédés comme l’humusation ou la terramation (transformation en compost organique), déjà autorisés dans certains états américains et en Allemagne. Ces alternatives, bien que perçues comme innovantes, voire disruptives, répondent à une attente croissante des Français : selon une enquête4 de la MAIF, 73 % seraient favorables à des funérailles plus écologiques. Ces initiatives visent à proposer une véritable diversité de choix funéraires, en phase avec les sensibilités écologiques et spirituelles des familles. La crémation représente aujourd’hui 40 % des pratiques (contre seulement 3 % dans les années 1970). Nous voulons offrir une troisième voie, permettant un retour direct à la nature, avec dignité et respect. En somme, cette démarche s’inscrit dans un engagement global pour allier respect de l’environnement, innovation et réponse aux aspirations contemporaines en matière de rites funéraires.
Quelle est l’approche sociale de votre politique funéraire ?
L’approche sociale constitue l’un des points les plus novateurs de notre stratégie funéraire. Nous avons adopté, lors du conseil municipal du 12 décembre 2023, une mesure inédite en France : la première tarification sociale des cimetières. Jusqu’à présent, le coût des concessions funéraires n’était pas modulé en fonction des revenus, contrairement à d’autres services municipaux tels que les crèches ou les piscines. Désormais, cette tarification progressive permettra une réduction de 35 % pour les familles modestes, un tarif intermédiaire pour les classes moyennes et une majoration de 35 % pour les foyers plus aisés. Cette mesure inscrit la politique funéraire dans une démarche équitable et accessible, comparable à d’autres politiques municipales. Nous avons pris des mesures pour permettre un service public funéraire plus équitable et solidaire. Je vous cite à titre d’exemples quatre mesures : le gel des tarifs des funérailles publiques en 2025 malgré l’inflation, le versement de primes liées à la satisfaction des usagers et non des ventes des conseillers funéraires, la prise en charge améliorée des funérailles pour les personnes sans ressources et la garantie de carrés confessionnels en nombre suffisants pour ne pas être discriminant dans les cimetières.
Nous gelons les prix des pompes funèbres en 2025 pour garantir un service abordable. Contrairement aux groupes privés, notre structure publique réinvestit ses excédents au bénéfice des familles et des défunts, sans chercher le profit. Nous versons des primes à nos conseillers funéraires en privilégiant des critères d’accompagnement qualitatif, comme le taux de transformation (devis souscrit versus devis proposé), et non les volumes de vente. Une enveloppe de 20 000 euros est aussi dédiée cette année à offrir des funérailles dignes aux personnes décédées dans la rue ou sans moyens. Cette somme permet notamment d’assurer des temps de recueillement en salons funéraires, en collaboration avec des associations. Enfin, nous veillons à ce que chacun puisse trouver un lieu adapté à ses rites. À Lyon, bien que des carrés confessionnels existent, notamment pour les musulmans, ces espaces sont souvent saturés. Pour y remédier, nous avons planifié la création de plusieurs centaines de nouvelles places.
En résumé, cette approche sociale redéfinit la politique funéraire en la rendant plus juste, inclusive et respectueuse des réalités économiques et culturelles de tous les Lyonnais. Nous faisons le pari d’un service public funéraire exemplaire, au service des vivants comme des défunts.
Cette réforme s’est accompagnée d’une participation forte des usagers, pourquoi est-ce essentiel dans ce champ spécifiquement ?
La participation des usagers est cruciale pour adapter notre politique funéraire à leurs attentes et perceptions, tout en répondant aux enjeux contemporains. Dans le cadre de notre démarche « À votre écoute », nous avons mené une enquête avec un universitaire au printemps 2024 pour comprendre comment les habitants s’approprient les cimetières municipaux. Cette enquête a révélé des points de divergence entre générations :
- les personnes âgées privilégient une vision traditionnelle du cimetière, considéré comme un sanctuaire où le recueillement prime ;
- les jeunes générations, en revanche, tendent à souhaiter une ouverture des cimetières, plus intégrée dans le tissu urbain, avec des espaces de nature et de vie.
La question de la végétalisation illustre bien ces tensions. Si certains usagers apprécient les cimetières plus naturels, d’autres, contrariés par la présence d’herbes folles, associent encore cette évolution à un manque d’entretien. Cette transition devra donc s’opérer progressivement, en accompagnant les changements culturels.
Nous organisons aussi des événements (visite guidée, conférence et débat) pour sensibiliser les Lyonnais et les Lyonnaises sur ces nouveaux enjeux. Par exemple, lors des Journées européennes du patrimoine 2024, nous avons organisé une visite guidée du crématorium, une conférence sur les nouveaux rites funéraires naturels et les offres écologiques et un débat ouvert intitulé : « Le cimetière peut-il être un lieu de vie ? »
Enfin, nous réalisons une enquête annuelle de satisfaction auprès des familles utilisant les services funéraires. Les résultats de 2023 montrent que 93 % des usagers se déclarent satisfaits ou très satisfaits, ce qui nous conforte dans notre démarche participative. Cette écoute active des citoyens est donc essentielle pour faire évoluer nos politiques tout en respectant la diversité des attentes, qu’il s’agisse de traditions ou d’innovations. Elle permet de garantir une transformation progressive et adaptée des pratiques funéraires lyonnaises.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans votre mission ?
Les enjeux funéraires, souvent peu abordés, soulèvent des problématiques complexes liées à la justice sociale, à la transition écologique, la participation citoyenne et à la transformation des pratiques. Les principales difficultés auxquelles nous sommes confrontées résident dans la nécessité de moderniser des équipements coûteux, de gérer efficacement des ressources foncières limitées et de surmonter les réticences sociales et politiques autour de la création et de l’aménagement des cimetières.
Le funéraire est un bien commun qui nécessite des investissements conséquents pour être entretenu et modernisé. Nous avons une dette patrimoniale importante sur le funéraire. Nos infrastructures nécessitent des travaux importants pour rester opérationnelles : la réhabilitation de l’ossuaire municipal du cimetière de Loyasse représente un coût de 3 millions d’euros. Au crématorium de la Guillotière, nous devons aussi dégager un budget important (1 million d’euros) pour rénover le four du crématorium et créer un four à reliquaire spécifiquement dédié à l’incinération des ossements. Ces investissements, bien qu’indispensables, restent souvent invisibles aux yeux du public, ce qui rend leur acceptabilité plus difficile.
Autre difficulté, c’est le manque de terrains disponibles pour agrandir les cimetières municipaux. Pour y faire face, nous devons intensifier les reprises administratives des concessions arrivées à échéance, avec un objectif de 650 reprises par an. Cette opération, essentielle pour libérer des places, mobilise à elle seule 4 millions d’euros sur le budget de fonctionnement du mandat. Entre les reprises administratives et les investissements, le budget est déjà de 8 millions d’euros par an pour notre politique funéraire.
En parallèle, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (dite « loi MAPTAM ») de 20145 a transféré à la Métropole de Lyon la compétence de créer de nouveaux cimetières. Bien que deux cimetières métropolitains aient déjà vu le jour, les besoins restent supérieurs aux capacités actuelles. La création d’un troisième cimetière, pourtant nécessaire, fait face à des oppositions locales, comme dans la commune de Charly. Cela illustre une problématique d’acceptabilité sociale, les cimetières étant parfois perçus négativement.
À Lyon, malgré l’existence de carrés confessionnels, notamment pour les rites musulmans, ces espaces sont saturés. Sur l’agglomération, seulement 15 communes sur 60 proposent ce type d’aménagement, ce qui limite l’accès à ces pratiques. Leur implantation rencontre également des résistances, accentuant les tensions liées à la gestion des cimetières.
Quelles évolutions législatives pourraient améliorer les marges de manœuvre des collectivités en matière funéraire ?
Actuellement, le droit funéraire repose principalement sur la jurisprudence et un ensemble de textes épars. Il manque un Code funéraire structuré, qui permettrait de clarifier et d’harmoniser les pratiques. Le droit funéraire reste encore trop souvent un impensé. Formaliser un tel code serait une avancée essentielle pour mieux encadrer les politiques funéraires locales. Trois sujets mériteraient l’attention du législateur : la reconnaissance et la généralisation des carrés confessionnels, l’autorisation de nouvelles pratiques funéraires écologiques et la transparence et l’encadrement des tarifs funéraires.
Les carrés confessionnels, bien qu’abordés dans des circulaires gouvernementales, restent une compétence laissée à l’appréciation des maires. Cela engendre des disparités importantes d’une commune à l’autre. Une clarification législative rendant leur existence obligatoire, tout en garantissant la neutralité républicaine des cimetières, serait nécessaire. Par exemple, permettre des aménagements spécifiques – comme l’orientation des tombes vers La Mecque pour les musulmans – tout en maintenant la laïcité, favoriserait une meilleure inclusion des pratiques culturelles et religieuses.
Le législateur devrait aussi autoriser l’expérimentation de pratiques innovantes telles que l’humusation ou la terramation. Déjà légales dans certains pays, ces méthodes répondent à une demande croissante pour des funérailles respectueuses de l’environnement, notamment chez les jeunes générations. Des évolutions législatives permettraient d’encadrer ces pratiques et de mesurer leur impact en termes de dignité et de durabilité.
Enfin, le secteur des pompes funèbres est encore marqué par des abus tarifaires. La Cour des comptes a déjà dénoncé les excès et le manque de lisibilité des devis proposés aux familles. Bien que des devis types soient théoriquement imposés, ils restent souvent inadaptés ou mal exploités, rendant les comparaisons difficiles. Une réforme législative pourrait imposer des standards plus clairs et une transparence renforcée, notamment via la mise en ligne des devis pour faciliter leur comparaison.
- Technique permettant d’enterrer le corps à même le sol afin qu’il puisse se transformer en humus sain et fertile.
- Un carré naturel (ou écologique) est une parcelle végétalisée, sans caveau, pierre tombale ou soins au formol (uniquement en cas d’absolue nécessité). Les cercueils et les urnes cinéraires utilisés dans ces carrés sont en bois non traité et les vernis certifiés sans solvant. Ces carrés naturels favorisent la biodiversité et participent à la renaturation des espaces.
- La gestion des opérations funéraires, une réforme à poursuivre, rapp., 2019, Cour des comptes.
- Étude sur l’acceptabilité de la terramation. Recueil et analyse des représentations, intentions et préférences de procédés, 2024, MAIF-Humo Sapiens.
- L. no 2014-58, 27 janv. 2014, de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.