Didier Lechien, maire de Dinan

Le 8 novembre 2022

Dynamisme des petites villes, enjeux de la décentralisation, inquiétudes face aux crises multiples (énergétique, sanitaire, écologique...), adaptation au changement climatique, innovation publique... Didier Lechien s'est confié à Horizons publics à l'occasion du dernier Congrès des Petites Villes de France qui avait pour thématique « Des Petites Villes nommées Désir ? ».

1 – LE DYNAMISME POST-COVID DES PETITES VILLES

Dinan est une ville attractive. L’aménagement de territoire, en Bretagne, s’est fait autour des petites et moyennes villes en liaison avec leur arrière-pays rural. Ces villes ont accueilli les services publics et ont permis à la population de bénéficier de la présence, par exemple, d’un hôpital. Les petites villes sont attractives. C’est vrai sur l’ensemble du territoire national, nous l’avons vu lors des Assises de l’APVF. C’est en particulier le cas sur la côte Atlantique, la Bretagne et la Normandie. Cette attractivité s’est renforcée à l’aune de la crise sanitaire où l’on a vu arriver une population nouvelle venant des métropoles. Ces personnes ont choisi de s’installer dans nos villes où il y a une qualité et un cadre de vie agréable. À Dinan, nous avons une ville historique avec un patrimoine important. 79 bâtiments sont inscrits au titre des monuments historiques. Cela joue pour attirer, mais nous offrons aussi des services publics, des établissements scolaires, des collèges, des lycées, un hôpital, une bibliothèque et une école de musique. Nous avons une très belle saison culturelle et des infrastructures.

Cette attractivité pose une difficulté. Accueillir une population nouvelle a des conséquences. Par exemple, sur le prix du foncier. Aujourd’hui, il est très difficile de trouver à Dinan des appartements disponibles ou des maisons à vendre. Pourtant il faut continuer de proposer aux personnes qui naissent à Dinan un logement accessible. Il faut réfléchir afin de ne pas être attractif pour le plaisir de l’être. Il est très important que la population qui vit dans la ville continue à bien y vivre. Le développement et l’attractivité doivent suivre un développement raisonné. Par exemple, les services publics doivent être en adéquation avec l’augmentation de la population. Les nouveaux arrivants cherchent à s’épanouir en s’installant chez nous. S’il y a un côté déceptif, cela pourrait être dangereux et se retourner contre nous.

Didier Lechien

Diplômé comme professeur universitaire en 1990, puis élu en 1995 – en tant qu’adjoint aux affaires sociales et scolaire à la mairie de Dinan – Didier Lechien a été élu maire de Dinan en 2014 et président du comité de surveillance du centre hospitalier la même année.

 

2 – LES QUARANTE ANS DE LA DÉCENTRALISATION

Quand on parle de l’anniversaire en 2022 de la décentralisation, on se fixe sur les lois Defferre1. Elles ont quarante ans. La décentralisation et la déconcentration ont été une révolution dans le paysage politico-administratif local territorial. On était avant sur l’organisation républicaine qui était très centralisée. On s’en souvient : lorsqu’une commune voulait faire un projet, il fallait qu’elle soumette au préfet représentant de l’État. Elle lui posait la question de savoir s’il était opportun de le faire. Fort heureusement, on est passé aujourd’hui à autre chose. Avec depuis quelques années, mais c’est une tendance observée depuis les gouvernements de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, un retour à une certaine forme de centralisation.

Il faut réfléchir afin de ne pas être attractif pour le plaisir de l’être. Il est très important que la population qui vit dans la ville continue à bien vivre.

Il y a eu un contrôle accru, par exemple, à travers les appels à projets, les collectivités locales ont été mises en concurrence. On leur a dit : « Vous répondez à des appels à projets car vous avez tel ou tel critère, et vous vous retrouvez en concurrence pour bénéficier de financements. » C’est une forme de contrôle de l’État. Il décide si on retient un projet plus qu’un autre. Je suis interrogatif sur ce fonctionnement. Il faut donc aller plus loin sur la décentralisation. La crise sanitaire a révélé le rôle des maires. Ils étaient en première ligne. Il a fallu improviser aussi bien pour la distribution de base que pour l’organisation des centres de vaccination ou le fonctionnement des services publics. On retrouve aussi les maires en première ligne dans la crise de l’énergie. Même chose sur la gestion de l’eau. En Bretagne, c’est un vrai problème, nous devons trouver des solutions. Les maires sont la colonne vertébrale de la République. Si cette colonne venait à rompre, nous pourrions être extrêmement inquiets pour l’avenir du pays. Je crois que les habitants s’en sont bien rendu compte pendant la période du covid-19. On peut avoir l’impression que les relations sont un peu compliquées entre l’État et les maires. Pourtant, les derniers mois ont montré l’importance du couple préfet-maire2.

Il y a aussi un élément nouveau qu’il faut prendre en compte : le rôle des intercommunalités. Sur certains territoires, ça se passe bien. Dans d’autres, c’est plus compliqué. Chaque territoire a son fonctionnement mais l’articulation de ce mariage à trois doit être bien pensée. J’ai toujours trouvé que la taxe d’habitation était un impôt injuste. Chez nous, par exemple, certaines villes ont bénéficié des activités économiques développées à Dinan pour se développer. Leur taux de la taxe d’habitation était faible. De notre côté, il fallait financer les services publics donc nous devions avoir un taux élevé. La situation aujourd’hui pose une question. Qui va payer l’augmentation des matières premières ? Le contribuable ? Si personne ne paie, nous allons nous retrouver dans une impasse budgétaire. Donc oui, il y a des incertitudes sur le financement des collectivités.

La multiplication des appels à projets provoque une mise en concurrence des collectivités locales.

La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) va disparaître. Nous ne savons pas par quoi elle sera remplacée. Si c’est par une part de TVA, il y a de nombreuses questions sans réponse. La Cour des comptes a indiqué que les collectivités se portent bien. Mais nous l’avons rappelé au Gouvernement : c’est une photographie à un moment donné. Et de toutes manières, nous sommes dans l’obligation de présenter un budget à l’équilibre. En parallèle, l’État transfère des compétences vers le bloc communal, sans forcément les financements qui vont avec. Surtout que les attentes de la population sont de plus en plus importantes. Au milieu de ces inquiétudes, les petites villes, qui sont régulièrement des villes centres, ont des dépenses liées à cette centralité. Il y a donc bien une inquiétude aujourd’hui sur l’évolution des finances locales. Une ville comme Dinan, c’est à peine 50 % de propriétaires. On ne peut pas faire reposer sur 50 % de la population la totalité du fonctionnement des services publics.

3 – LES INQUIÉTUDES FACE AUX CRISES

La première question que l’on se pose, c’est comment va-t-on faire pour passer l’hiver ? D’un point de vue budgétaire, on va remonter notre prochain budget. Sur l’énergie, certaines factures vont augmenter de 40 %. La gestion de l’eau pose aussi des questions. Le tout alors que la population est aussi en souffrance. Elle doit, elle-même, payer son électricité. Sur les marchés publics, il y a des augmentations très fortes sur les matières premières comme sur les matériaux. Parfois, là où vous aviez prévu des travaux à 500 000 euros, cela peut passer à 700 000 euros. Il faut ajouter à cela l’angoisse de la population. La crise sanitaire n’est pas terminée. La crise internationale est présente. La situation économique est compliquée. Cela peut se traduire par du ressentiment et par une certaine forme de violence ou de colère. Cela peut se manifester à l’encontre des élus.

Les décisions peuvent ne pas plaire. Pour ma police municipale, cela devient parfois de plus en plus compliqué ! Notre crise sociétale est ancienne. Les dernières élections et les Gilets jaunes ont pu le montrer. Mais la crise économique l’a actualisée. Il y a aujourd’hui des citoyens qui ne peuvent pas toujours comprendre que l’on diminue les services publics. La question des piscines vient de montrer cet enjeu. Nous sommes dans une société individualiste. Sur l’éclairage public c’est très visible. Nous l’avons régulé dans nos quartiers périphériques. Économiquement et écologiquement c’est assez logique. Une partie de la population le comprend. Mais nous avons aussi des habitants qui viennent nous expliquer qu’ils payent leurs impôts et qu’ils ont donc le droit à la lumière. Mais si on ne prend pas de mesures, nous allons payer davantage d’impôts ! La réponse est souvent la même : « Vous n’avez qu’à faire payer les impôts aux autres. » Parfois certaines attentes sont contradictoires. Le maire est un personnage public en prise directe avec les problématiques des gens. Nous faisons partie de la population. C’est pour cela que je n’aime pas le concept des élus et de la société civile. Ça ne veut rien dire. Nous allons dans les prochains mois devoir expliquer. Être pédagogue. Mais nous sommes arrivés à un tel niveau de colère, parfois de ressentiment, que les gens ne sont pas forcément toujours en capacité d’entendre les explications. Lorsque vous avez un petit salaire et que vous vous payez une augmentation, par exemple, sur le prix du pain ou de l’épicerie, puis que vous recevez votre facture d’électricité avec la même augmentation, et que l’on vous explique que vous ne pouvez plus aller à la piscine ou déposer votre enfant au football… Tout peut servir de prétexte pour manifester sa colère. C’est la réalité. Il faut donc expliquer et être juste dans les décisions. C’est éminemment politique. Les élus ne peuvent pas être à la remorque des événements. Nous devons anticiper. Je crois que cela fait des décennies que nous n’étions pas dans un moment comme celui-là.

C’est un moment de bascule à tous les niveaux : politique, écologique, environnemental, international, économique, etc. Nous, élus locaux, mais aussi les responsables gouvernementaux, nous devons jouer pleinement notre rôle. Si ce n’est pas le cas nous aurons raté quelque chose et pourrons être inquiets pour l’avenir du pays.

4 – L’ADAPTATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Nos villes sont dans une phase d’adaptation. Je vais prendre plusieurs exemples. Sur les espaces verts, nous avons engagé une réflexion afin d’avoir des plantations qui soient moins consommatrices en eau. Nous abandonnons les jardinières et plantes annuelles. Pour protéger la biodiversité en ville, nous faisons beaucoup de fauches tardives ou de prairies fleuries. Dans les aménagements urbains, nous privilégions aussi des sols perméables. Il faut de moins en moins de bitume, car cela conserve la chaleur. D’autant plus que Dinan est un centre historique, il y a beaucoup de pavés. Nous essayons de débitumer pour ne plus avoir d’îlots de chaleur, ainsi nous plantons des arbres pour avoir des îlots de fraîcheur. Sur la mobilité, nous avons développé les liaisons douces, piétonnes ou cyclables. Ce n’est pas simple car nos rues sont très étroites donc impossible où que ce soit à Dinan de faire des pistes cyclables aux normes. Il faudrait refaire complètement la ville en démolissant les trottoirs. Nous avons aussi lancé une campagne d’économie d’énergie dans nos bâtiments publics. Il s’agit de revoir les ouvertures ou l’isolation. Ce n’est pas simple quand vous avez des bâtiments historiques. Là aussi, l’État devra un jour regarder cela de près.

Il y a parfois des conflits de normes. Par exemple, dans un monument historique, vous ne pouvez pas mettre de double vitrage. Faudrait-il donc conserver les passoires thermiques ? Les maires et les communes ont un rôle essentiel à jouer pour engager cette transition écologique. Ils peuvent également sensibiliser leur population. Toutes nos compétences sont impactées. L’été 2022 marque un tournant, notamment en Bretagne. Je crois que les Bretons ont pris conscience cet été qu’ils n’étaient pas épargnés par des événements climatiques exceptionnels. Ils se sont manifestés, à la fois, par une hausse de température, nous avons eu jusqu’à 40 degrés à Dinan ! Mais aussi par des incendies majeurs. Par exemple, en forêt de Brocéliande. Ce sont des événements que nous n’avions pas connus.

Nous sommes aussi concernés que les autres par ce qui se passe au niveau climatique. Aujourd’hui, sur le territoire, nous avons des problèmes d’eau sur les nappes phréatiques. L’hiver a été sec. Le printemps aussi. Les nappes n’ont pas pu se remplir et cet été nous avons connu une sécheresse importante avec de forts impacts. Il va falloir un petit peu de temps pour reconstituer les nappes phréatiques. Mais la ressource en eau potable a une origine de 3 % des eaux pluviales. Donc le problème est plus profond. Il va falloir là aussi montrer beaucoup de pédagogie. Ces événements vont être de plus en plus présents. Nous devons donc mieux les anticiper pour mieux les gérer.

Un moment de bascule à tous les niveaux.
C’est éminemment politique. Les élus ne peuvent pas être à la remorque des événements. Nous devons anticiper.

Il y a un point inévitable. L’adaptation au changement climatique nécessite beaucoup plus de coopérations. Sur l’eau, il est impossible de réfléchir à l’intérieur des frontières avec nos communes ou notre intercommunalité. Chez nous, par exemple, nous réfléchissons avec Rennes ou Saint-Malo. La transition écologique concerne tout le monde. Élus, habitants, mais aussi entreprises. Nous devons tirer dans le même sens. Ce que nous faisons au niveau local, même sous forme de petits gestes, aura des effets positifs pour le plus grand nombre. Rien qu’un changement de mentalité participe à améliorer la situation générale.

5 – L’HÔPITAL DE DINAN, UN EXEMPLE D’INNOVATION PUBLIQUE ?

La santé est un sujet qui préoccupe nos citoyens. La crise sanitaire a révélé aussi à quel point la situation de l’hôpital public était grave. Clairement aujourd’hui, dans ce pays, il y a une vraie problématique : les fermetures de lits – 20 000 en l’espace de quelques années –, la difficulté dans des hôpitaux de proximité comme le nôtre à trouver des médecins – des spécialistes, mais aussi des généralistes –, et la désertification médicale est une réalité. Pendant des années, le système français a été cité en exemple dans le monde entier. Aujourd’hui, il est en souffrance. Il y a des hôpitaux où les urgences ferment à 18 h 00 car il n’y a plus personne pour les faire fonctionner ! Les hôpitaux sont dans une situation financière épouvantable. C’est l’effet de la tarification à l’activité (T2A), de l’évolution de la prise en charge aussi. La population est vieillissante et il y a de plus en plus de maladies chroniques. Il y a une forte évolution de l’attente des nouveaux médecins, ils ne souhaitent plus aller travailler seuls dans un cabinet ou dans un service hospitalier. La médecine est de plus en plus technique, il y a un besoin de confronter les diagnostics, par exemple, avec un spécialiste d’une autre spécialité : il faut donc des équipes pluridisciplinaires. Et ils veulent du temps pour eux, ce qui est tout à fait être légitime. Nous sommes donc devant un défi : nous devons innover.

Notre approche du monde hospitalier doit être différente. Il y a des tentatives. Par exemple, les groupements hospitaliers de territoire (GHT). L’idée est de faire collaborer les hôpitaux d’une même zone. Cela marche moyennement bien. Sur notre territoire, nous avons essayé d’imaginer autre chose. Ce n’est pas encore abouti, mais nous essayons de travailler dessus. Nous souhaitons conserver les deux hôpitaux de proximité, Saint-Malo et Dinan, tout en mutualisant un plateau technique pour les cas et les pathologies les plus techniques. Les hôpitaux de proximité accueillent des services de médecine polyvalente avec des consultations de spécialistes. On maintient les deux services d’urgence.

La transition écologique concerne tout le monde. Élus, habitants mais aussi entreprises.

Nous devons tirer dans le même sens.

Nous allons faire de Dinan le centre de référence pour la prise en charge des maladies chroniques avec un centre de rééducation. L’idée est de faire fonctionner un réseau hospitalier, en renforçant son attractivité. Les patients trouveront dans leur hôpital des équipes afin d’être pris en charge en sécurité par des équipes pluridisciplinaires. Et lorsqu’ils auront besoin d’une approche plus technique, nous les redirigeons vers le plateau technique. C’est une expérimentation qui est une première à l’échelle nationale. C’est un projet pilote, retenu lors du Ségur de la santé. C’est une démarche globale qui nécessite aussi de repenser l’architecture de nos hôpitaux. Nous allons refaire tout l’intérieur de ceux de Dinan et de Saint-Malo. Il est vrai que cela suscite des réactions. Certains habitants nous disent que c’est la fin de l’hôpital. Il ne faut pas rester sur des conceptions traditionnelles de l’hôpital. Sinon on fonce dans le mur. Sans rien changer, dans quelques années, il n’y aura plus aucun médecin dans les hôpitaux de proximité. C’est déjà le cas dans de nombreuses villes. Il y a urgence à inventer une nouvelle organisation hospitalière sur les territoires. Les Allemands ont anticipé cette crise de l’hôpital public. Nous sommes en plein dedans.

  1. L. n82-213, 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ; L. n83-8, 7 janv. 1983, relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État ; L. n82-663, 22 juill. 1983, qui complète la loi n83-8.
  2. À ce sujet : Boulay F., « La diversité des parcours des préfets confrontés à la crise sanitaire », Horizons publics mars-avr. 2021, n20, p. 36-41.
×

A lire aussi