Rapport Thiriez, la haute fonction publique l’échappe belle !

Rapport Thiriez
Le 18 février 2020

Si Emmanuel Macron a souvent fustigé l’inadéquation des grands corps d’État avec la réalité du pays, il n’en reste pas moins que la mission Thiriez, dont le rapport a été remis au Premier ministre le 18 février, a eu du mal à bousculer les bonnes vieilles habitudes. Un projet de loi serait en préparation pour la fin avril.

C’était l’un des contrefeux allumés par Emmanuel Macron en pleine crise des gilets jaunes. Les fameuses élites y étaient dénigrées, montrées du doigt par la France en colère mais pas que… Depuis des années, l’énarchie est une cible toute désignée, fustigée pour son éloignement de la vraie vie, accusée de ne pas être au cœur de ce que vivent les Français. Une déconnexion qui aurait pour conséquence de suggérer des lois et des réformes sans en apprécier les conséquences sociétales.

L’Élysée avait donc trouvé la parade : réformer la haute fonction publique d’État pour enrayer le discours anti-élite ambiant.

Pour ce faire, le président de la République avait demandé à l’avocat et conseiller d’État Frédéric Thiriez, plus connu comme ancien président de la Ligue national de football, de plancher sur le décloisonnement de la haute fonction publique. Pendant plusieurs semaines, les couloirs des grands corps de la haute fonction publique et des grandes écoles bruissaient des rumeurs les plus alarmistes. Certains directeurs refusaient de parler à la presse tant que la fumée blanche ne s’échapperait de la salle du conclave, de peur sans doute d’anticiper dans telle ou telle direction. Les énarques rasaient les murs, relayant les confidences du président Macron qui ne cessait de répéter qu’il voulait la disparition pure et simple de l’ENA, acronyme désormais trop lourd à porter.

« À l’image de la société »

De disparition, il en est question en effet dans le rapport Thiriez remis ce 18 février. Mais elle ressemble plus à un effacement linguistique qu’à une véritable révolution de palais. La marque ENA est morte, sauf à l’étranger où la marque ENA international n’a pas encore subi les foudres populaires et sauve ainsi sa peau. Vive l’EAP, l’École de l’administration publique ! Le président de la République poursuivait un objectif précis : générer une haute fonction publique « à l’image de la société », « en fonction du mérite des jeunes et pas de leur origine sociale ou familiale », assurait-il en avril dernier. Noble intention dont les spécialistes vont tenter de détecter les signes avant-coureurs dans le rapport Thiriez. Après des mois d’atermoiements, l’audition de plus de 250 spécialistes, le rapport, attendu fin novembre 2019 et repoussé de plusieurs semaines, est désormais entre les mains du Premier ministre qui devrait en tirer la substantifique moelle pour alimenter une réforme attendue en avril de cette année.

Sortir d’un « corporatisme funeste »

Au fil d’un texte de 95 pages, on apprend entre autres que la mission Thiriez propose la fin du classement de sortie, la fin du corps de l’inspection des finances, l’enterrement de l’épreuve de culture générale et la mise en place d’un «concours spécial» à l’adresse d’élèves sélectionnés sur critères sociaux, un système de discrimination positive qui a plutôt bien fonctionné du côté de Sciences Po.

L’ancien président de la Ligue de football tacle d’emblée l’ENA. « La démocratisation voulue par les pères fondateurs de 1945 n’est pas au rendez-vous. Les fils de cadres représentent toujours 70 % des promotions et ce chiffre ne baisse pas depuis 30 ans ».

La sortie possible dans les « grands corps » « garantit aux heureux élus (12 ou 15 sur 80 selon les années) une carrière sinon plus brillante, du moins beaucoup plus variée que les autres, et ce, sur la base d’une simple note chiffrée ». De l’Institut national des études territoriales (Inet) à l’École de magistrature, en passant par l’École de la police, la multiplication des grandes écoles de service public constitue un frein « à l’émergence d’une culture commune chez les grands serviteurs de l’État qui (...) favorise un corporatisme funeste et nourrit l’ignorance, voire le mépris des uns pour les autres», pose le rapport.

Six mois pour tâter de la vraie vie

Pour changer ce fonctionnement, la mission Thiriez propose l’instauration d’un tronc commun de six mois pour les candidats reçus aux concours administratifs des 7 écoles, à savoir le futur ex-ENA, l’École de la magistrature, l’École de la police, l’École de l’administration pénitentiaire, l’École des hautes études en santé publique, l’École nationale supérieure de sécurité sociale et l’Institut national des études territoriales.

Une période pendant laquelle les candidats iraient sur le terrain, pour vivre trois semaines de préparation militaire supérieure, puis trois autres consacrées à l’encadrement des jeunes du service national universel (SNU) et enfin quatre mois de stage opérationnel. Les élèves retrouveraient ensuite les bancs de leur « école d’application ».

La mission propose le classement de sortie, qualifié d’ « archaïsme » maintenu « par facilité ». La procédure d’affectation épouserait le classique rapprochement des « offres et des demandes ». Le système des grands corps ne sera pas complètement abandonné. Pour « casser l’effet de rente », le fait qu’un bon classement de sortie trace une voie royale de carrière jamais bousculée, les corps d’inspection, telle l’inspection générale des finances, seraient transformés en emplois fonctionnels, moins linéaires dans la fixation de la carrière. Les corps juridictionnels. Les corps juridictionnels (le Conseil d’État et la Cour des comptes) sauveraient leur peau, mais le recrutement serait différé après la sortie de l’école : après quatre années de services, les fonctionnaires auraient la possibilité de se porter candidats.

La mixité sociale passe par les quotas

Comment la future EAP se laissera-t-elle pénétrer par la mixité sociale ? Une vingtaine de nouvelles classes « égalité des chances » -une au moins par région-, regrouperaient des élèves sélectionnés sur des critères sociaux. Un concours spécial leur serait destiné, « dans la limite de 10 à 15% de l’effectif des promotions ». Il s’agirait donc de créer des quotas. Enfin, la mission propose de bannir « les épreuves socialement discriminantes ». La fameuse « composition » de culture générale serait donc supprimée. À la place, une « note sur dossier portant sur les grands enjeux du monde contemporain » est jugé plus pertinente.

Frédéric Thiriez propose de lancer les premiers recrutements en 2022. Il faudrait pour cela que les textes législatifs et réglementaires soient actés avant septembre 2020. Le temps presse. Or, le sentiment persiste que le débat ne fait que commencer.

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