Revue
DossierFaire des cimetières des lieux de vie et de biodiversité
Depuis 2012, la ville de Brest a banni l’utilisation des produits phytosanitaires dans les six cimetières de la ville. Elle veille à conjuguer développement durable et aménagement de ces espaces de commémoration, également envisagés comme des lieux de vie. Karine Coz-Elléouet, première adjointe au maire de Brest, détaille la feuille de route de la politique funéraire de la ville.
Dans une récente communication, vous évoquez des évolutions sociétales en matière funéraire. À quelles évolutions faites-vous référence ?
Essentiellement le fait que les gens se tournent de plus en plus vers la cinéraire. La crémation a connu une évolution importante ces dix dernières années, elle a pris le pas sur les enterrements. Nous offrons pour l’accueil des cendres différentes possibilités : des columbariums classiques ou des petites tombes cinéraires. La palette des services se multiplie sur le cinéraire.
En parallèle, nous recensons de plus en plus de tombes abandonnées, elles ne sont pas reprises par les familles. Elles peuvent être remises en service ou donner lieu à une réflexion sur l’organisation du cimetière. Quand on voit un groupe de tombes en situation d’être reprises administrativement, avant de les remettre dans l’offre, nous nous questionnons sur le fait de transformer ces espaces-là, de planter un bel arbre, par exemple. Dans la durée, nous pouvons transformer ces cimetières en beaux espaces paysagers, propices au recueillement, leur fonction première, mais qui deviendront aussi des espaces de respiration dans la ville.
Comment déterminez-vous les besoins de votre territoire, des citoyens ?
Nous avons confié une étude à l’agence d’urbanisme sur les conséquences de l’évolution des dynamiques démographiques sur le territoire. Conjugué à ce que l’on observe, cela permet d’imaginer des tendances en termes de funéraire. L’ensemble de ces éléments orientent notre politique. Nous essayons d’anticiper le plus possible, mais notre volonté c’est avant tout d’accompagner la demande des familles.
Quels sont les grands principes de la démarche développement durable entreprise dans les cimetières ?
Nous n’utilisons plus du tout de produit phytosanitaire depuis 2012. Cette évolution a été assez compliquée à accompagner du fait des nombreuses réactions d’usagers. Dans la durée, certaines personnes vivent mal ce qu’ils estiment être des « mauvaises herbes » que l’on rencontre, car l’on ne met plus de produits phytosanitaires. Cependant, cela bouge, nous avons de moins en moins de courriers de réclamation. Le fait de ne plus désherber s’inscrit dans la durée.
Parallèlement, nous nous essayons d’engazonner davantage, c’est la deuxième étape. Avant, entre les tombes, c’était très minéral. Désormais, nous engazonnons entre les tombes, dans tous les cimetières, tout en laissant les allées carrossables pour les convois.
Selon les cimetières et l’espace dont nous disposons, il peut avoir des petits jardins partagés ou des espaces de biodiversité. Nous évitons de faucher pour permettre aux insectes de s’installer durablement, nous privilégions aussi l’éco-pâturage dans certains carrés sans tombes : nous allons mettre des moutons en enclos pour entretenir les terrains et éviter la prolifération de certaines espèces invasives. Toutes ces initiatives procèdent d’une même logique environnementale.
Ensuite, il y a toute la question de la gestion des eaux pluviales. Nous les récupérons pour les mettre à disposition des usagers qui veulent arroser leurs fleurs.
Enfin, nous sommes dans une logique consistant à revégétaliser, à remettre des arbres dans les cimetières. Parfois ils ont été coupés, car les feuilles qui se déposent sur les tombes, les gens n’aiment pas beaucoup. En résumé, nous essayons de repenser les espèces par rapport aux usages des cimetières, par rapport aux îlots de chaleur, de ré-engazonner entre les tombes et de replanter des arbustes et arbres.
Vous allez consacrer davantage d’espace aux plantations : où allez-vous gagner cet espace ?
Essentiellement sur les espaces que l’on récupère, des tombes reprises administrativement. C’est un processus très cadré et très long. Nous en avons énormément dans cette situation. Le processus normal consiste à les reprendre et les remettre à disposition des familles qui ont un défunt à enterrer, mais nous constatons que l’on a de moins en moins de demandes d’enterrement au bénéfice du cinéraire. Nous répondons d’abord au besoin premier, à la demande des familles. Ensuite, lorsque nous avons plusieurs espaces contigus, cela devient intéressant de revégétaliser. Nous savons que c’est traumatisant pour l’arbre quand il n’a pas l’espace pour prospérer, c’est pourquoi nous laissons des fosses suffisamment larges et profondes – en général entre quatre et six tombes – pour pouvoir assurer leur développement.
La gestion de l’eau fait partie de vos préoccupations. Comment vous assurez-vous d’une gestion éco-responsable ?
Nous nous assurons essentiellement de pouvoir récupérer les eaux de toitures des bâtiments techniques au sein du cimetière pour les mettre à disposition des usagers pour l’arrosage. S’il y en a trop, de pouvoir les infiltrer. Le fait d’avoir engazonné les espaces entre les tombes, cela permet l’infiltration des eaux. Il y a un projet consistant à recréer une mare, un espace humide dans un de nos cimetières. La mare alimentée par l’eau de pluie temporise le ruissellement, limitant ainsi les inondations. C’est aussi un espace de biodiversité très intéressant.
Quelle est la situation des six cimetières ?
Ils ne sont pas tous dans le même état. Nous avons deux grands cimetières historiques en centre-ville, l’un d’entre eux a un patrimoine historique, des tombes très anciennes et une valeur patrimoniale ; l’autre, un bel espace paysager, avec de très beaux arbres qui n’ont pas été coupés. Les autres sont plus petits, dans les quartiers et diversement paysagers. Nous mettons l’accent sur ceux-là actuellement pour que l’ensemble de nos cimetières soient des espaces agréables par rapport à leurs usages et pour le public en général. Pour la fin de l’année, nous serons sur le même type d’offre de services funéraires partout.
Quels types d’activités pédagogiques et éco-citoyennes développez-vous ?
Entre juillet et novembre 2023, neuf assistantes maternelles, accompagnées de 24 jeunes enfants (de 2 à 4 ans) ont participé à des ateliers jardinage au cimetière de Kerfautras. Les enfants sont venus toutes les semaines entretenir un petit carré, planter puis voir le développement, sentir, toucher, etc. Les ateliers organisés par des animatrices du relais petite enfance et un animateur horticole leur ont permis de se familiariser avec le jardinage.
Depuis longtemps, nous proposons des visites patrimoniales, notamment dans les cimetières du centre-ville avec des parcours de médiation culturelle retraçant l’histoire des personnes illustres des lieux.
Enfin, nous organisons des résidences d’artistes avec des compagnies de spectacles vivants. Elles montent des spectacles en lien avec le funéraire qui ensuite se jouent dans les cimetières. Nous veillons à ce que cela se passe dans le respect de tous, mais en réalité cela fonctionne très bien. Les gens apprécient de venir dans ces lieux-là pour ce genre de manifestations.
Vous autorisez les ateliers de méditation et de yoga dans les cimetières…
Dans le règlement de service, nous indiquons que le lieu est à disposition des associations, des individus. Des activités comme la méditation et le yoga nous semblent compatibles avec le lieu. Les cimetières en centre-ville sont des espaces non urbanisés, de respiration dans des endroits denses en termes de bâti. Quand les gens cherchent un endroit calme pour lire, réfléchir, méditer et qu’ils vivent en appartement, sans jardin, ils y vont spontanément. Certes, si un club sportif souhaite organiser ce type d’activité, cela doit passer par une demande d’autorisation.
Faites-vous face à des difficultés dans le respect de la réglementation ?
Notre problème principal, ce sont les animaux et plus spécifiquement les chiens. Nous recensons un certain nombre d’incivilités : certains ne respectent pas l’obligation de les tenir en laisse, donc le chien déambule, circule entre les sépultures, voire fait ses besoins dessus. Nous nous sommes posé la question d’interdire la présence des chiens, mais cela n’est pas dans la ligne de ce que l’on souhaite en faire et cela pénaliserait la majorité des usagers qui jouent le jeu. En effet, de nombreuses personnes âgées viennent se recueillir sur la tombe de leur proche avec leur petit animal de compagnie.
Pourquoi est-ce important de faire des cimetières des lieux de vie ?
Ce sont des espaces très particuliers, en plein centre-ville, qu’il serait dommage de ne pas investir. À titre personnel, je pense que c’est une façon d’honorer la mémoire des défunts que de venir plus fréquemment dans ces lieux-là, même avec une autre intention première. En ouvrant les cimetières, les défunts font davantage partie de notre vie. C’est plutôt positif pour leur mémoire.
Quelle part accordez-vous à la participation citoyenne dans votre politique funéraire ?
Nous réfléchissons à avoir un conseil citoyen sur le sujet. La question des chiens, par exemple, mériterait d’être partagée avec les citoyens. Nous devons nous poser la question du partage de l’espace et des usages.
Comment accompagnez-vous les personnes en difficulté financière ou seules ?
Nous conduisons une politique sociale qui passe par une tarification selon les moyens des personnes. Cela s’inscrit dans la logique de reprise des concessions funéraires. Nous récupérons les monuments, les remettons en état et nous les cédons à des tarifs potentiellement très bas, en fonction du quotient familial. Même avec des petits moyens, on peut avoir de très beaux monuments.
Nous menons également une politique très volontariste d’accompagnement des personnes seules et isolées socialement dans l’organisation des obsèques. Nous travaillons avec le collectif Dominique. Quand nous n’arrivons à joindre aucune personne de la famille, nous sollicitons ce collectif pour gérer les obsèques. Par des enquêtes de terrain, en tirant le moindre fil, il va trouver des éléments comme le lieu d’habitation, pour organiser une cérémonie. La ville leur met un lieu de cérémonie à disposition, nos services espaces verts les accompagnent en termes de fleurissement de la sépulture. Tous les ans, ils organisent une cérémonie à la mémoire des personnes accompagnées pendant l’année au cimetière de Kerfautras.
Quels sont les changements dans les habitudes funéraires que vous constatez ?
La tendance principale est celle du cinéraire, nous avons désormais plus d’incinérations que d’enterrements. L’autre tendance, plus à la marge : les gens prennent des concessions de courte durée, de quinze ans en moyenne. Il existe aussi un questionnement plus récent sur les enterrements respectueux de l’environnement. Certaines personnes recherchent des cercueils moins traités, voire en carton, sans soins de conservation pour éviter de polluer les sols. Elles veulent aussi également des carrés réservés à ce type d’accompagnement. Les enterrements sans cercueil et les pratiques de compostage, s’ils sont parfois demandés, ne sont pas autorisés en France. Des expérimentations existent en Belgique.
Le funéraire attire-t-il les jeunes recrues ?
Il s’agit d’un service assez méconnu qui peut rencontrer des difficultés de recrutement. Pourtant, quand les gens y sont, ils y restent. C’est un service public de proximité par excellence. C’est un sujet très pointu réglementairement, très humain au quotidien. Les agents sont confrontés à des moments difficiles de la vie des gens, ils les accompagnent individuellement et ils se sentent très utiles. C’est extrêmement enrichissant et gratifiant. Cela mériterait d’être plus connu.
Des exemples d’autres villes françaises ou à l’internationale vous inspirent-ils pour innover en matière de politique funéraire ?
Lorsque je me rends à l’étranger, je regarde toujours les cimetières. Nous notons des approches totalement différentes. Globalement, nous avons une vraie marge de progression en matière de végétalisation ; les cimetières honorent d’autant plus les défunts lorsqu’ils sont paysagers. Les services me rapportent des tendances comme le compostage des corps. Ils mènent une veille sur les évolutions qui pourraient survenir tout en sachant que notre cadre législatif est très présent et très normé en matière funéraire. Indépendamment de notre volonté d’accompagner, c’est très cadré. Nous appliquons la législation, qui est une limite importante à ce que nous pourrions développer.
Nous veillons aussi à ouvrir nos cimetières dans des logiques de mobilités douces afin que les gens puissent les traverser notamment à vélo ou en trottinette. Cela passe par de la signalétique, par le fait de penser la végétalisation pour accompagner ces usages-là et donc d’indiquer les lieux où l’on peut circuler de façon assez intuitive.
S’inscrire dans une démarche de développement durable
L’aménagement des cimetières de la ville de Brest s’inscrit dans une démarche de développement durable depuis plus de dix ans. Elle passe par plusieurs mesures :
- l’anticipation depuis 2012 de l’interdiction de l’usage de produits phytosanitaires dans les cimetières, désormais encadrée par l’arrêté interministériel du 15 janvier 2021 interdit, à compte du 1er juillet 2022, l’utilisation des produits phytosanitaires chimiques dans les propriétés privées, les lieux fréquentés par le public et dans les lieux à usage collectif. Cet arrêté vient compléter la loi Labbé (L. no 2014-110, 6 févr. 2014, visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national) ;
- le développement d’un engazonnement intertombes dans tous les cimetières permettant de limiter l’imperméabilisation des sols ;
- le développement de jachères fleuries à composante mellifère (coquelicot, souci, tournesol, lin, bleuet, sarrasin, etc.) qui sera aussi expérimenté cette année dans les carrés qui ne peuvent pas recevoir d’engazonnement. Ces jachères, du fait de leur composition floristique riche en pollen et nectar, contribuent à la fois à l’augmentation des ressources alimentaires pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux et à l’acceptation, peut-être, par les usagers, de l’étalement des travaux d’entretien des cimetières, en particulier au printemps, lors de la pousse simultanée des 23 hectares des cimetières brestois ;
- la tonte des espaces enherbés sans ramassage et le tri des déchets verts et plastiques, visant la réduction de ceux-ci, ainsi que la mise en place d’espaces dédiés au compostage, d’abord en expérimentation, et qui vont être déployés sur chacun des cimetières ;
- depuis 2022, l’éco-pâturage qui permet une gestion naturelle des espèces végétales invasives par des moutons.