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Hélène Guillet : «L’IAG est un sujet politique, au sens vie de la cité, et stratégique, au sens de l’action publique»

Le 26 février 2025

Hélène Guillet est présidente du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) et directrice générale du Centre de gestion de Loire-Atlantique. Selon elle, le développement de l’IAG dans les organisations va s'accompagner d'une accélération de la réflexion en matière managériale, par exemple, sur les questions des rythmes de travail, de l’allégement des circuits de décision et plus largement de l’autonomie des agents. La priorité est de mettre « les mains dans le cambouis » dès à présent en expérimentant la mise en place de l’IAG dans les collectivités sur des périmètres ciblés, ce qui n’empêche pas de garder de la hauteur de vue. 

Vous aviez placé l’IAG et le management au centre de l’édition 2024 de Territorialis. Pourquoi ? Qu’en attendiez-vous ? Qu’en retirez-vous ?

Territorialis est avant tout la traduction de l’état d’esprit du syndicat, de son projet et des préoccupations quotidiennes des dirigeants territoriaux. Or, l’IAG fait beaucoup parler d’elle depuis au moins un an et occupe désormais une partie du paysage numérique, comme le montre le foisonnement d’évènements qui lui sont consacrés. Toutefois, il n’était pas question pour notre événement annuel d’être un énième épisode de cette série d’évènements sur l’IA, pas plus que d’être un lieu où se cristallisent les peurs versus l’enthousiasme ! Notre approche de l’IAG, durant Territorialis et au-delà, consiste précisément à dépasser l’appétence ou la répulsion pour présenter en quoi ce sujet relève bien de la préoccupation des directions générales (DG), qu’il s’agisse de ressources humaines (RH), par exemple sur le recrutement, ou du fonctionnement quotidien des différents services.

Néanmoins, le syndicat n’a pas la prétention de parler au nom de l’ensemble de ses membres à propos de l’IAG : chacun et chacune s’en empare en fonction de sa situation et de son contexte, car rien n’est similaire entre une petite, une moyenne et une grande collectivité. Les secrétaires généraux de mairie, par exemple, présents pour la troisième année consécutive à Territorialis, ont des préoccupations bien différentes des DG des métropoles, mais sont également concerné·e·s par l’IAG et se sont d’ailleurs montré·e·s très intéressé·e·s. Cette approche pragmatique de l’IAG, fidèle à nos principes d’action, a, je pense, porté ses fruits si j’en juge par les retours qui m’ont été faits sur cette édition de Territorialis, qui, je tiens à le souligner, a réuni plus de 1 600 participants, soit un niveau de participation inédit ! Preuve que le sujet est mobilisateur…

En effet, les participants ont fait montre d’un intérêt certain pour l’IAG mais aussi d’une certaine perplexité, voire d’une peur. Comment allez-vous prolonger Territorialis afin d’accompagner vos membres, car l’IAG est susceptible de remettre en cause le management par une redistribution de la carte des compétences et expertises et donc de la carte des pouvoirs ?

Le syndicat va rester à l’écoute de ses adhérents et regarder les projets que les uns et les autres développent en matière d’IAG. Nous allons également produire de la réflexion sur le sujet et diffuser les bonnes pratiques afin de nourrir et guider l’ensemble de nos membres, autant d’actions placées sous la responsabilité de la vice-présidence Transitions managériales.

Dans cette optique, il est essentiel d’avoir un pied dans les domaines de la recherche en management, et de la sociologie des organisations, des matières complexes qui pourraient être fort utiles quant à l’introduction de l’IAG dans les collectivités.

En effet, le développement de l’IAG dans les organisations va aller de pair avec une accélération de la réflexion en matière managériale, par exemple, sur les questions des rythmes de travail, de l’allégement des circuits de décision et plus largement de l’autonomie des agents. L’IAG va pousser à placer ces sujets au premier plan et à mener des réflexions en profondeur ; ce que j’estime être une bonne chose. Souvenons-nous du télétravail qui ne soulevait guère d’enthousiasme avant la pandémie !

C’est mon autre point : je pense qu’il n’est pas judicieux de débattre à l’infini sur les enjeux, les avantages et les dangers de l’IAG, d’autant plus qu’il est impossible de tout maîtriser. En outre, l’IA fait déjà partie de notre quotidien, et ce, depuis de nombreuses années. À mon sens, la priorité est de mettre « les mains dans le cambouis » dès à présent en expérimentant la mise en place de l’IAG dans les collectivités sur des périmètres ciblés, ce qui n’empêche pas de garder de la hauteur de vue. Les enjeux de l’IA sont tellement vastes, tant en matière de gestion et de sécurité/souveraineté de la donnée que d’impacts sur les différentes politiques publiques, qu’il est préférable de procéder par étapes plutôt que de s’engouffrer tête baissée.

L’introduction de l’informatique dans les organisations, puis du numérique pour la dématérialisation des démarches administratives n’ont pas donné lieu à des phases de concertation en amont, tant avec les agents qu’avec les citoyens. Va-t-on assister à la même façon de faire avec l’IAG alors que l’état des conditions de travail en France est déplorable, ainsi que l’on montré diverses études et travaux de recherche3, et que la méfiance des citoyens vis-à-vis des pouvoirs publics est au plus haut ?

Je considère que l’IAG est un sujet politique, au sens vie de la cité, et stratégique, au sens de l’action publique. Les implications de l’IAG dans la vie de la cité et des citoyens sont telles, car il ne s’agit plus cette fois d’automatiser une usine ou d’utiliser du courrier électronique mais de savoir quelle société nous voulons pour demain, qu’elles ne peuvent être l’apanage de cinquante femmes ou hommes dans des bureaux à Paris pour paraphraser l’expression de Christian Saint-Étienne dans vos colonnes4 appelant à confier la transformation aux opérateurs de terrain.

Quels services voulons-nous apporter aux citoyens, et ce, dès le premier kilomètre (pour prendre le contre-pied de la fameuse expression « le dernier kilomètre ») ? Quel lien social avec les habitants voulons-nous construire, et comment l’IAG peut être un outil – parmi d’autres – au service de l’action publique dans les territoires et non un instrument de fracture ? Comment piloter la modernisation du management en gardant le cap du sens de l’action publique dans les territoires ? Autant de questions qui ne pourront être résolues que par la co-construction avec les agents et avec les citoyens dans leurs domaines respectifs.

Cette participation entre acteurs égaux pour la prise en charge de la cité est indispensable si l’on veut désamorcer les craintes et les méfiances, d’autant qu’il n’y a pas de début et de fin de l’IAG : il s’agit plutôt d’un processus continu. Les différentes fonctions publiques sont parfaitement conscientes des enjeux de l’IAG, même si le sujet n’est pas saisi de façon homogène. Enfin, j’aimerais souligner que le racisme de l’intelligence, décrit par Pierre Bourdieu, entre ceux qui conçoivent et ceux qui exécutent, s’il reste d’actualité, est de moins en moins tenable et va devenir, avec le développement de l’IAG, de plus en plus illusoire.

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