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Impliquer les citoyens dans la politique funéraire

Le 16 janvier 2025

Au printemps 2023, la ville de Nantes et Nantes métropole se sont lancées dans une démarche de participation citoyenne sur le thème des obsèques civiles. Sandrine Masson, responsable du service opérations citoyennes et cimetières, et Nolwen Le Chevalier, chargée de mission dialogue citoyen, reviennent sur cette démarche, baptisée « Les obsèques civiles, parlons-en ! », qui a permis de définir une feuille de route du funéraire pour les quinze prochaines années.

Qu’est-ce qui vous a amenés à réfléchir à cet enjeu ?

Sandrine Masson (S. M.) – Le point de départ a été un engagement de mandat, à la fois de la ville et de la métropole de Nantes sur la création d’un lieu de funérailles civiles, lié à une demande d’associations et de citoyens. Quand nous avons commencé à étudier cet engagement, nous nous sommes aperçus que cela revenait à partir de la solution avant d’avoir analysé les tenants et les aboutissants, la demande et les besoins réels. Finalement, c’était une petite brique parmi toutes les possibilités qui pouvaient s’offrir en termes d’obsèques civiles.

Nolwen Le Chevalier (N. L. C.) – À Nantes, le processus de dialogue citoyen est validé, porté par les élus et les directions depuis quinze ans. Quand nous menons une démarche de dialogue citoyen, nous le faisons en binôme avec une autre direction, la direction pilote qui a l’expertise sur le sujet, dans ce cas celle de Sandrine. Sur le sujet du funéraire, il y avait un historique notamment autour de la création d’une maison des adieux, un espace dédié aux obsèques civiles. Assez rapidement, il y a eu la volonté d’élargir le sujet, de questionner les obsèques civiles de façon plus globale. L’objectif n’était pas d’être dans une simple consultation citoyenne, mais d’aboutir à des engagements à l’issue de la démarche. D’ailleurs, cette démarche a permis de définir une feuille de route sur le funéraire pour les quinze ans à venir.

Avez-vous rencontré des craintes, des difficultés dans cette démarche ?

S. M. – Une fois la décision prise de mener un dialogue citoyen, la grande interrogation a porté sur la manière de parler de la mort – un sujet intime, tabou – avec des citoyens. Nous voulions éviter que cela ne devienne un groupe de parole ou d’être dans un discours froid et technique sur la façon de gérer les cimetières. Il fallait trouver l’équilibre dans le traitement de ce sujet – pas comme les autres – en parler tout en respectant les sensibilités, les convictions des uns et des autres, sans froisser personne. L’objectif était de parler de la mort avant tout, de pouvoir faire ressortir des expériences des citoyens dans un projet construit, opérationnel que l’on puisse déployer.

Cela a été très intéressant lors du recrutement des citoyens d’avoir en tête la nécessité d’une diversité de points de vue, avec des personnes de tous âges, approches et expériences.

Les citoyens nous ont amenés à relire différemment nos supports de communication, à nous rendre compte du décalage entre l’existant et les besoins des familles.

N. L. C. – Le panel citoyen comprend 23 personnes avec une parité quasi parfaite, le plus jeune a 17 ans, le plus âgé, 81 ans. Une de nos craintes portait sur la mobilisation de ce panel. C’est pourquoi nous avons cherché à diversifier au maximum les réseaux à mobiliser et les modalités de recrutement. Nous avons relayé un questionnaire sur la plateforme du dialogue citoyen de la ville de Nantes et de la métropole, visant à comprendre qui étaient les gens intéressés par la démarche. Nous avons également fait du recrutement dans l’espace public, notamment lors du Printemps des cimetières, un événement national. L’enjeu consistait à expliquer en face-à-face pourquoi nous avions lancé cette démarche, à préciser que nous nous rendions compte que le sujet était intime, sensible, voire tabou, et que c’était pour cette raison que l’on voulait s’en saisir.

Comment avez-vous déterminé les besoins de votre territoire, des citoyens ?

S. M. – Notre enjeu essentiel consistait à réussir à dézoomer de la question du lieu, à repartir des besoins et des attentes avant de trouver la solution.

Cela n’a pas été simple, car cette question du lieu est assez emblématique, elle est considérée comme une étape essentielle par la plupart des citoyens. Or, le parcours d’une famille endeuillée démarre par l’expression des dernières volontés et va jusqu’à l’avenir des cimetières.

N. L. C. – Les obsèques civiles n’ont pas de définition en tant que telle ni de règlementation qui les accompagnent. Nous avons souhaité mettre en débat cette question au sein du panel citoyen, c’est pourquoi nous n’avons pas défini en amont ce sujet d’un point de vue technique ou politique. Il s’agissait de définir collectivement la façon dont Nantes et Nantes métropole portent les obsèques civiles.

Quel a été l’apport spécifique d’un regard citoyen dans votre travail ?

S. M. – Cela nous a confortés dans certaines directions prises, notamment sur l’ouverture des cimetières sur la ville, et a largement élargi notre champ sur les obsèques civiles. Ce travail a abouti à des propositions qui sont un éventail de solutions pour les familles qui souhaitent organiser des obsèques civiles. Les citoyens nous ont amenés à relire différemment nos supports de communication, à nous rendre compte du décalage entre l’existant et les besoins des familles.

N. L. C. – Quarante préconisations citoyennes ont été partagées dans l’avis, 36 ont reçu une réponse positive. C’est fascinant de voir la diversité des propositions et l’ensemble des champs concernés en lien avec ce sujet initial des obsèques civiles. Cela peut aller de la transition écologique au lien avec les nouvelles générations.

S. M. – Nous avons étudié les 40 propositions, avec plusieurs modalités, certaines propositions correspondaient à des modalités qui existaient déjà, mais n’étaient pas connues par les citoyens. Cela nous a interpellés sur notre manière de les proposer et de les présenter. D’autres propositions paraissaient pertinentes et réalisables. Pour les quatre restantes, l’arbitrage politique et technique préconisait de ne pas les retenir pour plusieurs raisons.

N. L. C. – La démarche était co-portée entre la ville et la métropole, dès le début nous avons invité l’ensemble des communes du territoire métropolitain à se joindre à nous à travers différentes modalités (la ville de Rézé s’est associée dès le départ à la démarche). Concrètement, nous avons animé 16 réunions thématiques d’instruction en repartant des préconisations citoyennes, en les étudiant ensemble et en ouvrant les perspectives avec d’autres collègues qui n’étaient pas forcément associés dès le début de la démarche.

Sur la partie obsèques civiles, pendant un an, nous allons expérimenter deux lieux de funérailles civiles : une salle dédiée, une salle des mariages d’une mairie de quartier transformée en salle de cérémonie.

S. M. – Pour finir, nous avons défini plusieurs axes : le premier consiste à revisibiliser la mort dans l’espace public, notamment en mettant en place une action culturelle autour des cimetières et de la mort ; le deuxième porte sur l’organisation des obsèques civiles, la mise à disposition d’espaces pour faire des cérémonies, l’appui aux familles pour l’organisation de cérémonies ; le troisième concerne l’évolution des cimetières dans une logique de transition écologique et d’ouverture sur la ville ; le quatrième tenait à cœur aux citoyens, il consiste à lutter contre les inégalités sociales, qui existent dans la mort et jusqu’après la mort ; le dernier s’articule autour de la question de l’hommage et de la mémoire.

Ce sujet a-t-il nécessité une approche particulière en termes de participation citoyenne ?

N. L. C. – Sur les méthodes, il n’y a pas eu de dimension inédite. En revanche, le sujet en tant que tel avait cette dimension inédite, intime et sensible qui a nécessité un cadrage assez fin. Nous avons été accompagnés par deux sociologues de l’association Plan 9 pour mettre en place la méthodologie d’animation. Ils nous ont aidés à trouver le bon ton pour ne pas aller vers une dynamique de groupe de parole, mais plutôt vers un partage d’expériences individuelles tout au long des quatre ateliers.

À la fin du premier atelier, nous nous sommes questionnés sur les besoins des citoyens et citoyennes pour monter en compétences collectivement sur les sujets du funéraire. Quatre personnes ont été auditionnées pendant le deuxième atelier : un responsable de pompes funèbres privées, une personne de la coopérative funéraire, un représentant des cimetières de la ville de Nantes et une représentante de la maison des adultes. Cela a permis d’ouvrir des perspectives pour les personnes les moins sensibilisées au sujet, de proposer un point de vue objectif sur la situation pour cheminer vers des dimensions plus collectives.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui est en cours de changement dans votre politique funéraire ?

S. M. – Nous avons une feuille de route dont la mise en œuvre se fera sur deux mandats afin de pouvoir financer certains projets ambitieux et pertinents. Les citoyens nous ont amenés à avoir un autre regard sur la mort, à lever les freins que nous nous mettions nous-mêmes. C’est pourquoi nous sommes en train de réécrire totalement nos supports de communication.

Sur la partie obsèques civiles, pendant un an, nous allons expérimenter deux lieux de funérailles civiles : une salle dédiée, une salle des mariages d’une mairie de quartier transformée en salle de cérémonie. Tout cela en complément d’autres actions dans l’idée de pouvoir pérenniser cette offre à la population.

Sur l’ouverture des cimetières, la stratégie est bien lancée, cela a légitimé l’action que l’on pouvait avoir vis-à-vis des cimetières. Le dialogue citoyen nous a ouvert des portes, a été notre vitrine pour embarquer d’autres collègues, d’autres services qui y trouvent aussi un intérêt. C’est le cas de Cosmopolis, un lieu nantais de culture et de découverte du monde. En 2024, ils ont choisi de consacrer leur événement, « Décryptages », à la mort et aux rites funéraires dans le monde. L’événement a démarré début septembre 2024, il fonctionne très bien, toutes les visites sont complètes !

À la suite de votre consultation citoyenne, avez-vous également questionné la gouvernance structurelle de cette politique ?

S. M. – Pendant dix ans, la ville de Nantes a animé une commission des opérations funéraires portant sur des sujets en lien avec les cimetières, les crématoriums, etc. Cette instance s’est arrêtée en 2009 pour être reprise sous une autre forme. Le dialogue citoyen a réaffirmé ce besoin d’une instance de gouvernance ouverte avec les acteurs du funéraire.

Elle a été réinstallée le 12 septembre 2024, elle rassemble 26 membres : des associations en lien avec le deuil, l’accompagnement à la fin de vie, un représentant d’une association de défense des consommateurs, des représentants de tous les cultes excepté le bouddhisme, des opérateurs funéraires, le responsable des crématoriums, un organisme de formation, le centre hospitalier universitaire (CHU) et la police nationale. Son objectif : pouvoir – sur la base des thématiques prioritaires ressorties du dialogue citoyen – produire des avis, mettre à disposition des expertises, fournir des préconisations à la ville de Nantes pour se projeter sur le parcours des familles endeuillées, l’avenir des cimetières et tout autre sujet en lien avec le funéraire.

Lors de cette réunion du 12 septembre, les participants ont choisi trois thématiques prioritaires : l’hommage, l’évolution des rites et la lutte contre les inégalités sociales.

Nombreux sont ceux qui ne respectent pas la règlementation sur la dispersion des cendres, à tel point qu’on peut se questionner sur l’adéquation de la législation par rapport aux besoins des familles.

Avez-vous identifié des évolutions qui pourraient améliorer cette politique publique, mais qui ne relèvent pas de votre compétence ?

S. M. – Parmi les propositions citoyennes quatre sujets ne relèvent pas de la compétence de la ville, ils concernent la destination des cendres, l’hommage aux enfants nés sans vie, les nouvelles pratiques et l’intégration du sujet de la mort et du funéraire dans les programmes scolaires.

Nombreux sont ceux qui ne respectent pas la règlementation sur la dispersion des cendres, à tel point qu’on peut se questionner sur l’adéquation de la législation par rapport aux besoins des familles.

Concernant les enfants mort-nés, parfois la dépouille n’est pas réclamée par les familles, par manque de connaissance ou/et d’accompagnement, les restes sont crématisés et dispersés dans un jardin des souvenirs. Les familles peuvent regretter de ne pas avoir demandé le corps de leur enfant pour organiser une cérémonie. Quant aux nouvelles pratiques, comme l’humusation, si elles sont interdites, elles pourraient se développer à l’avenir. Enfin, sur l’intégration du funéraire dans les établissements scolaires, la mairie n’a pas le pouvoir de faire évoluer les programmes.

Si ces quatre sujets ne relèvent pas de la compétence de la mairie, les élus peuvent néanmoins porter ces préoccupations auprès des législateurs en vue d’une évolution de la règlementation.

Les obsèques civiles, parlons-en !

La démarche de participation citoyenne appelée « Les obsèques civiles, parlons-en ! » se déroule en plusieurs étapes. Un panel de 23 citoyens et citoyennes a participé à quatre ateliers en mai-juin 2023 pour définir un avis citoyen composé d’un ensemble de 40 préconisations. Après une phase d’instruction de six mois, une réponse argumentée a été partagée en décembre 2023. Un an plus tard, en décembre 2024, le droit de suite a permis d’évaluer si le calendrier a été respecté et de faire un point sur les engagements réalisés.

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