Gouvernement ouvert : les enjeux du prochain partenariat

Lancement du PGO
Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, s’est rendue le 23 février 2021au Liberté Living Lab à Paris pour annoncer le lancement de la co-construction du troisième plan d’action de la France. Elle a échangé avec des acteurs particulièrement mobilisés pour le gouvernement ouvert : Démocratie ouverte, Madada, Code For France et Change.org.
©Liberté Living Lab - Twitter
Le 8 mars 2021

L’année 2021 sera celle de la co-construction de la feuille de route française du prochain Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO). Signé par la France en 2014, le PGO réunit 78 pays, ONG et acteurs de la société civile dans une gouvernance collégiale. Il repose sur trois piliers : la transparence, l’ouverture des données et la participation citoyenne.

 

Le plan d’action français pour un gouvernement ouvert pour 2021-2023 a été lancé mercredi 23 février par la ministre de la Transformation et la fonction publiques, Amélie de Montchalin, dans les locaux du Liberté Living Lab à Paris. L'objectif de ce nouveau plan est d'améliorer l’efficacité et la transparence des activités des gouvernements en associant encore davantage les citoyens et la société civile à sa conception, sa production et son évaluation. Une plateforme dédiée a été mise en ligne pour informer et associer plus largement les citoyens et l’ensemble des parties prenantes à l’élaboration de ce nouveau plan d’action. Cette plateforme comprendra un centre de ressources, un flux d’information en continu et un espace contributif. Les engagements du plan d’action seront élaborés via des contributions apportées en ligne, l’organisation de ministères ouverts, d’ateliers et de forum open d’état dématérialisés. La finalisation et la consolidation du plan d’action est prévue en décembre 2021.

 

C'est la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP) qui est chargée de piloter cette démarche de co-construction et de production des engagements du Plan de la France. Afin d'animer "la communauté de l'Open Gov", la DITP lance en ce début d'année 2021 « Micro Ouvert », un cycle de conversations pour celles et ceux qui ouvrent l’action publique au quotidien. Le prochain rendez-vous est fixé ce vendredi 12 mars, avec la participation de Mauricio Mejia, expert du gouvernement ouvert en Amérique latine et en France.

 

Quels sont les résultats du plan 2018-2020 ? Quels seront les enjeux du plan 2021-2023 ? Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique et Armel Le Coz, président de Démocratie Ouverte, avaient livré leur analyse, lors d'un webinaire organisé en novembre dernier par la DITP. Retour sur les principaux échanges.

Embarquer tous les ministères, les agents publics, les administrations dans la co-construction du prochain plan, à travers des forums ouverts et des concertations qui se dérouleront tout au long de l’année 2021, apparaît d’emblée comme l’un des enjeux majeurs du gouvernement ouvert.

Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, introduit le webinaire en indiquant que le gouvernement ouvert constitue une organisation essentielle pour une gouvernance responsable et inclusive. Après avoir oeuvré à louverture des données financières des responsables publics à la Cour des Comptes, en misant sur des outils de travail collaboratifs (data sessions, hackathon, ouvert les codes sources de certains outils internes), il poursuit cette mission à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Cette dernière a publié en 2019, en open data les déclarations de 2400 responsables publics. La Haute Autorité mène d’ailleurs une réflexion sur la diffusion des avis relatifs aux mobilités des agents entre secteur public et privé. Grâce à la publication des données en open data, dans plusieurs formats, les membres de la société civile notamment des ONG comme Transparency International, ont pu sen saisir, mesurer l’impact sur le processus normatif de la représentation d’intérêt et donc savoir qui influence les lois.

Didier Migaud rappelle aussi qu’en juillet 2022 l’extension du répertoire des représentants dintérêt aux collectivités territoriales marquera une nouvelle étape en matière de transparence de la décision publique.

Les attentes des acteurs de la communauté Open Gov

Le webinaire se poursuit avec une vidéo recensant les attentes, espoirs et ambitions des acteurs de la communauté Open Gov (Open Government Partnership) pour ce prochain plan d’action.

Mathilde Bras, directrice de la Fing (Fondation Internet Nouvelle Génération), émet trois propositions: l’organisation d’une convention citoyenne pour le numérique à l’image de celle organisée pour le climat pour instiller la démocratie participative autour de grands enjeux (intelligence artificielle, déploiement de nouvelles technologies), la création d’un budget d’investissement participatif national, et l’idée de tester l’impact sur l’égalité hommes/femmes des budgets nationaux.

Pour Kevin Gernier de Transparency International France, une bonne pratique innovante consisterait à publier, sous forme d’agenda ouvert, les rencontres des responsables publics avec des lobbyistes. Il faudrait également pouvoir croiser ces données avec celles d’autres bases de données pour détecter d’éventuels conflits d’intérêt et connaitre les influences des décisions publiques.

Une préoccupation partagée par Paula Forteza, députée des Français de l’Amérique Latine et des Caraïbes qui met en avant l’idée de travailler sur un parlement ouvert, de renforcer la traçabilité de l’activité législative et insiste sur l’association des citoyens à la fabrique de la loi. 

Samuel Goeta, chercheur et cofondateur de Datactivist, se prononce, quant à lui, en faveur de l’ouverture de données pour la commande publique. Derrière cette proposition, l’ambition consiste à suivre les marchés de la planification à l’exécution, ce qui permettrait notamment de détecter toutes les anomalies de la commande publique.

Une place du citoyen à repenser

Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique, est ensuite interrogé sur la manière dont la crise sanitaire conduit à repenser les enjeux du gouvernement ouvert. Il souligne deux aspects principaux. D’une part la manière descendante et centralisée de gestion de la crise. Selon lui, l’Etat n’a pas suffisamment cherché à accueillir la puissance créatrice de la société civile en favorisant les solidarités locales dans les rues, les quartiers,(fabrication de masques, partage d’information sur les respirateurs etc). A l’avenir, il conviendra d’utiliser les énergies de la société civile et de penser l’action publique comme une plateforme au service des citoyens. D’autre part, à l’heure des plans de relance, français et internationaux, il faut s’assurer que ces investissements financeront bien des intérêts réels des villes et des pays. 

Sur la question des bénéfices pour la France de participer à un dispositif international, Henri Verdier précise  qu’en finançant le PAGOF (programme d’appui aux gouvernements ouverts) l’Agence Française de Développement a exporté un nouveau discours sur les droits de l’homme et partagé des solutions concrètes. La rencontre d’innovateurs publics partageant un idéal de démocratie plus aboutie constitue un moteur de créativité, d’innovation, de solutions.

Les deux premiers plans de la France pour ce gouvernement ouvert se sont centrés respectivement sur la transparence (open data) et le e-government. Le prochain plan devra consacrer une place plus importante au citoyen. Ne pas parler de concertation dans des termes marketing mais bien replacer le citoyen au cœur du processus, selon Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique.

L’ambassadeur du numérique cite deux exemples allant en ce sens. La plateforme disinfo.quaidorsay.fr  visant à mieux cerner le processus de désinformation, à savoir si les services secrets de puissances étrangères manipulent l’information. En proposant de outils open source gratuits à des ONG et des journalistes permettant notamment de détecter des faux comptes, on partage cette connaissance avec la société civile.

Le deuxième exemple porte sur les conditions générales de vente (CGU) des grandes plateformes du numérique. Les tentatives de légiférer sur les CGU aboutissent systématiquement à une évolution de ces conditions sans que le consommateur en soit informé au préalable. L’outil Open Terms Archive lancé par la direction du numérique, suscitant l’intérêt de l’Arcep, de la Cnil et du CSA, permet d’ores et déjà de mesurer l’évolution des CGU de 500 entreprises.

La souveraineté numérique, une question clé pour la diplomatie française

Pour la France et l’Europe se pose ensuite la question de la souveraineté numérique. La France espère d‘ailleurs en faire l’un des axes principaux de sa politique lorsqu’elle prendra la présidence de lUnion européenne en 2021.

Un pays ne peut se dire souverain si les décisions se prennent à des milliers de kilomètres, si à tout moment le tarif, le format des données, le débit, peuvent varier, si l’on est dépendant pour innover de sociétés étrangères.

Henri Verdier insiste sur limportance des communs pour la souveraineté numérique. Wikipédia, Open Food Facts, Open Street maps, entre autres, sont produits et gérés en commun. Certains proviennent dinitiatives privées, dautres sont amorcés par lEtat et rejoints par des collectivités locales. Cette palette d’outils peut être améliorée, enrichie grâce à la contribution de tous. D’ailleurs pour les pays émergents, la question de l’accès à un internet neutre, libre et ouvert est essentielle. L’accès aux données et la capacité d’améliorer leurs propres ressources, leur évite de se placer sous la domination de pouvoirs étrangers.

Pour l’ambassadeur du numérique, il convient de rappeler l’apport d’Internet en matière d’accès à la culture, à l’éducation, à la santé, à la capacité à produire et diffuser ses idées. Plus de 3 milliards d’humains, près de la moitié de l’humanité, l’utilisent ce qui prouvent que l’efficacité des valeurs de décentralisation et de coopération. En parallèle la démocratisation d’Internet génère trois types de problèmes : les usages criminels et malveillants, des externalités négatives comme la libération d’une parole de haine; la croyance de certaines entreprises qu’elles peuvent faire mieux que les Etats sur certains aspects (rapports sociaux, monnaie, identité numérique etc.). La fragmentation d’Internet inquiète les Etats. Cependant la prise de conscience en Europe est réelle. La souveraineté numérique ne doit être ni une hégémonie stratégique comme le proposent certains puissances de l’Ouest ni un isolationnisme comme peuvent le souhaiter certains à l’Est. C’est une souveraineté proche de la capacité d’action. La portabilité des données téléphoniques d’un opérateur à l’autre, choisie par les Européens en constitue un bon exemple.

Les enseignements de la Convention citoyenne pour l’Occitanie

Armel Le Coz, président de Démocratie Ouverte, prend ensuite le relais pour témoigner de l’expérience menée en Occitanie. Menée dans 13 départements, réunissant 6 millions d’habitants, les participants à cette convention ont été tirés au sort cet été. Ils ont ensuite travaillé pendant 7 jours plein, répartis en 3 sessions pour remettre des avis à la présidente de la région. L’ambition de cette convention citoyenne était de nourrir un green new deal européen, de revoir le schéma régional d’aménagement et de développement au regard de la crise. Il s’agissait notamment d’inciter le territoire à être plus résilient face aux différentes crises: économique, sanitaire, écologique.

En tirant les citoyens au sort, on s’est assuré d’avoir une meilleure représentativité. Certains participants sont arrivés dans cet exercice délibératif sans avis tranché et en rencontrant des experts, en dialoguant, en entendant des avis contradictoires, ils se sont forgés leur propres opinions. La deuxième innovation de cet exercice a consisté à raccrocher la démocratie directe à la démocratie délibérative. A l’issue du travail réalisé par la convention, les citoyens de la région ont été invités à se prononcer, en ligne, sur les avis émis. Pour le président de Démocratie Ouverte, ces processus sont extrêmement formateurs et transformateurs pour les citoyens qui y participent. Ils deviennent une force d’engagement et de mobilisation.

Concernant les points à améliorer, Armel le Coz souligne l’effort à faire en terme de communication -on dénombre seulement 20 600 votants sur 4,5 millions de personnes en âge de s’exprimer-  et la construction des questions trop consensuelles ce qui n’a que trop peu alimenté le débat. Pour répliquer ce genre de convention citoyenne, il convient, selon lui, d’agir sur trois points essentiels: relier ces conventions à des moments de décision politique, travailler sur la qualité de la délibération et obtenir des garanties d’organisation indépendante de l’exercice.

En guise de conclusion, interrogés sur la mesure qu’ils appellent de leur voeux, Armel le Coz se prononce en faveur d’une convention citoyenne sur le renouveau de la démocratie et Henri Verdier, d’une plus grande participation des citoyens à la vie publique, en s’appuyant notamment sur leur capacité d’auto-organisation.

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