Johan Theuret  DGA, chargé du pôle ressources à la ville et métropole de Rennes

Johan Theuret
Le 14 décembre 2021

Johan Theuret est l'un des membres fondateurs du think tank Sens du service public, crée en octobre 2021 par quinze fonctionnaires issus des trois versants de la fonction publique. Ils souhaitent « rappeler la richesse et l’intérêt de promouvoir les services publics ». Travaillant par groupe, ils publieront début 2022 une plateforme de contributions dans le cadre de l’élection présidentielle. Objectif : « Rappeler que s’il y a des réflexions à mener sur le service public, cela doit être avec des sens et des valeurs et non avec une approche comptable ou financière. » Trois axes de travail ont été déterminés autour de l’égalité d’accès au droit pour toutes et tous, l’exemplarité écologique et sociale et l’écoute démocratique. 

1- La modernisation de la fonction publique

Je crois qu’il est important de rappeler que le service public a dans ses principes fondateurs, celui de mutabilité. Il s’adapte en permanence et sait évoluer. Il ne faut pas non plus faire croire que nos administrations sont sclérosées. C’est important pour lever certains clichés. Se moderniser, pour moi, c’est améliorer la qualité de service de l’usager, revoir le périmètre du service public et de ses missions. C’est impossible de voir les choses uniquement par le prisme des économies. Sinon, on peut se demander ce que deviennent les missions abandonnées. Nous devons répondre aux demandes des usagers. C’est essentiel pour parler de modernisation. Dans la relation usager, la modernisation passe par le fait de réinterroger les pratiques services publics.

Ce que nous constatons, c’est que nous avons eu ces dernières années des politiques appelées de « modernisation de la fonction publique » qui avaient seulement une portée économique. La modernisation de l’action publique passait par l’idée de faire des économies financières et budgétaires. L’administration est perçue comme un coût. Cette vision est étroite. La modernisation doit se reposer sur des valeurs partagées. Il faut donner du sens et sortir d’une logique de gestionnaire. Il y a eu des fermetures d’espaces publics sur tout le territoire national. C’est un bon exemple. Elles ont été réalisées en pensant aux coûts engendrés et non au bon maillage territorial. On se retrouve donc aujourd’hui avec des usagers très éloignés des services publics. Nous ne sommes pas hostiles à réfléchir aux périmètres. Il n’y a pas de souci mais cela doit être pensé et réfléchi. Est-ce que cela améliorera le service pour l’usager ? C’est la seule question qui importe.

La crise du covid-19 a notamment été révélatrice pour une chose : il est impératif de préserver le service public. Le service public hospitalier en est la preuve. Il a montré toute sa réactivité et son adaptabilité de manière continue ces derniers mois.

Mais, globalement, nous avons aussi réussi à préserver le fonctionnement de tous nos services publics. De l’école aux crèches en passant par les ordures ménagères. C’est une satisfaction. Cette crise covid a montré, aussi, que sur la question de la digitalisation il faut être très vigilant. Il peut très vite y avoir un isolement de certains usagers. Il est nécessaire de garder une présence humaine, sinon on se trouve face à une fragilisation.

Si on veut baisser les impôts, il faut réduire le périmètre des services publics car il a un coût, mais après il y aura des conséquences. Quand on est usager, on veut que tout soit près de chez soi. Mais quand on ne l’est pas, on a tendance à oublier cela. L’administration peut apprendre de ses propres expériences. Elle peut tirer des leçons de ce qui marche dans le secteur privé. C’est le cas, par exemple, dans la gestion de la relation usagers. L’UX Design est un bon exemple. Mais tout n’est pas tout noir d’un côté et tout blanc de l’autre. La data peut être un puissant outil pour améliorer le service public. Il y a la possibilité de faire du croisement de données. Nous pouvons progresser sur le fait qu’un utilisateur ne doive donner une information qu’une seule fois à l’administration. Avec de la simplification, on gagnera en efficacité, et cela créera de la productivité.

2- Le monde public après la crise du covid-19

Avant le covid, il était de bon ton de taper sur le service public. Nous étions vus comme une somme de coût et de postes de dépenses. De la bureaucratie. Il n’empêche que nous avons été très utiles. Quand on pense à toutes les aides économiques versées au secteur privé en plein cœur de la crise, il a fallu des fonctionnaires pour les verser. Quand j’entends Valérie Pécresse parler de supprimer des postes « d’administration administrante », cela ne veut rien dire. Il faudra toujours des comptables dans les administrations, des contrôles douaniers, des services d’URSSAF ou de l’Inspection du travail. Il n’y a pas d’opposition à chercher, entre des services publics utiles et d’autres, qui seraient source de lourdeur. C’est stigmatisant. Il faut espérer que dans les prochains mois, les Français se souviendront de l’efficacité des services publics pendant la crise.

Le premier changement de l’après covid concerne le télétravail. Nous avions, à Rennes, la chance d’avoir initié une dynamique dans ce sens avant la crise sanitaire. Il y avait des habitudes et des dotations informatiques. Mais globalement, cette crise a accéléré le déploiement et la montée en puissance du télétravail pour les agents du service public. Nous ne pensions pas que le télétravail pouvait être appliqué pour autant de missions. Il y a tout de même un impératif : il faut se donner les moyens de le rendre possible. Les nouvelles technologies et les outils de visio permettent d’être efficaces. La crise sanitaire nous a aussi fait réfléchir sur la délivrance de politiques publiques, que ce soit dans la dimension sociale ou la relation à l’usager. Je pense que le télétravail correspond à une demande des agents mais après il faut se poser la question au niveau de la collectivité. À Rennes, nous avons décidé d’être très facilitateurs. Nous pensons que c’est une occasion d’améliorer les conditions de la vie professionnelle des agents. Mais c’est aussi l’occasion de toucher à l’aménagement urbain. Nous sommes un gros employeur à l’échelle locale, en facilitant le télétravail, nous évitons des déplacements quotidiens domicile-travail. Nous contribuons à limiter les émissions de gaz à effet de serre et l’engorgement urbain. À terme, il peut y avoir des enjeux sur le patrimoine immobilier. Il y aura peut-être une réflexion à mener pour savoir si l’on a besoin de garder la même surface de bureau quand les agents ne viennent pas tous les jours au travail. Des adaptations pourraient être nécessaires.

Il est un peu tôt pour faire un bilan mais la période traversée nous conforte dans l’idée que l’on peut avoir une organisation efficace et beaucoup d’agents qui télétravaillent en même temps. Les obstacles techniques et organisationnels ne sont pas aussi importants qu’on voudrait bien le croire pour développer le télétravail dans la fonction publique. C’est important, car jusqu’ici le discours ambiant était que la plupart des missions n’étaient pas « télétravaillables ». La première leçon est donc que le télétravail de masse est possible. Il y a tout de même des points de vigilance à avoir, par exemple, sur nos collectifs de travail, il faut les protéger avec un équilibre travail à distance et présentiel sur le terrain.

3 - Le management public

C’est aussi l’une des conclusions de la crise. Nous devons aller beaucoup plus vers un management de résultats et d’objectifs que sur un management de contrôle. Le télétravail renforce cela. Il faut faire confiance aux équipes et donner plus d’autonomie et de responsabilités. Notre idée est de tendre vers un management beaucoup plus participatif. On sait que c’est vers cet objectif qu’il faut aller. Mais il y a tellement d’organisations publiques qu’il est compliqué d’envisager une généralisation. Pour arriver à un management de résultat, il ne faut pas se focaliser sur les moyens et les différentes étapes. On renforce la confiance donnée aux agents et salariés. C’est le pari qu’ils vont y arriver et que l’on doit les aider. Il n’y a pas besoin de les « fliquer » et de les suivre en permanence pour qu’ils y arrivent. Se reposer sur la responsabilisation, il y a beaucoup plus de liberté sur le processus. Le principal est d’arriver au résultat demandé. Après, sur certaines missions, les processus ont des vertus et sécurisent les choses. Il faut donc veiller à éviter de faire de la procédure pour de la procédure.

Mais je trouve que le service public est souvent caricaturé à ce niveau. Regardez les organisations privées comme les banques et les assurances. Elles sont aussi très procédurales. Et quand il y a eu des grands mouvements, il y a plusieurs décennies, pour aller vers le privé comme sur la gestion de l’eau ou la restauration collective, je ne sais pas s’il y a une amélioration du service. Aujourd’hui, on est plus vers un retour en arrière, vers un fonctionnement en régie. Le privé n’a pas fait mieux que le public. Et il était plus coûteux.

Les administrations publiques correspondent souvent à de gros services publics. Elles font face à des situations individuelles multiples et souvent complexes. Il faut les traiter. Il y a un traitement de masse à faire tout en tendant vers une individualisation. Nous pouvons renforcer la présence des usagers dans nos fonctionnements. C’est certain.

4 - Le rôle des collectivités dans la transition écologique et sociale

C’est un des grands axes de notre think tank. Il est impératif d’avoir une administration exemplaire socialement et écologiquement. Pour nous, l’administration, dans son fonctionnement doit promouvoir une certaine sobriété énergétique et accompagner les transitions écologiques sur le territoire. Pour la sobriété énergétique, cela passe par le volet rénovation des bâtiments. Il faut savoir investir pour avoir de moindres consommations énergétiques. Cela passe aussi sans aucun doute par le volet numérique. Nous devons aller vers un numérique responsable et éviter d’avoir des consommations très importantes sur le volet digital.

Les marchés publics sont également un levier important. Nous avons la capacité à soutenir des prestataires qui s’inscrivent dans la transition écologique. Et pas toujours le moins cher. Toutes les échelles publiques sont intéressantes pour agir sur la transition écologique. La collectivité locale peut notamment agir dans son lien avec les citoyens. Par exemple, dans le soutien à la rénovation des habitats énergivores ou sur la mobilité. Elle peut insister et inciter aux déplacements collectifs ou doux comme le vélo.

Il faut espérer que dans les prochains mois, les Français se souviendront de l’efficacité des services publics pendant la crise.

L’augmentation du prix de l’énergie actuelle, que ce soit le gaz, le pétrole ou l’électricité, nous pousse à multiplier les actions de rénovations des bâtiments publics. Cela doit nous inciter à avoir des politiques ambitieuses de rénovation thermique pour limiter les dépenses énergétiques. Pour les particuliers, il y a des mécanismes incitatifs à trouver. Mais sur nos bâtiments publics, ce sont des investissements financiers qu’il faut réaliser. Il faut savoir le faire pour être exemplaire. Le plan de relance peut aider mais il y a surtout des arbitrages à faire. La rénovation thermique est moins visible politiquement que la construction d’un nouveau bâtiment, mais l’enjeu est tout aussi fort. Derrière c’est des dépenses de fonctionnements qui vont diminuer car il y aura moins de consommation énergétique.

L’étalement urbain est également un sujet. À Rennes, nous avons mis en place de la préservation d’espaces sur la ceinture verte de la métropole. Il faut préserver les terrains agricoles. Il y a ensuite un enjeu de densification de la ville centre et de la première couronne pour éviter cet étalement urbain. Il faut un plan local de l’habitat (PLH) ambitieux sur l’accueil des populations mais aussi sur la densification. Sur la transition, les habitants sont prêts à faire des efforts s’ils comprennent le sens des efforts à faire. Nous devons leur montrer ce qu’ils ont à gagner, dans tous les sens du terme. Il n’y a pas que le gain financier, il faut évoquer le gain en qualité de vie mais aussi le lien avec les générations futures. Pour cela, l’administration doit avoir un rôle pédagogique mais il faut aller au-delà. Il y a une dimension d’accompagnement, de financement, et il y a le volet réglementaire pour être ambitieux dans la norme.

5 - La digitalisation

Il y a un mouvement de fond en faveur de la digitalisation et de la dématérialisation des relations avec les usagers au sein des administrations. Cela va clairement dans le bon sens. Mais il faut se poser des questions sur la généralisation et les limites. Nous constatons qu’il y a des personnes qui se retrouvent fragilisées par une digitalisation accrue des procédures. Il faut garder en tête qu’il y a 17 % de la population qui ne sait pas forcément utiliser Internet. Cela peut être de l’illectronisme ou ce que l’on appelle « l’inhabilité numérique ». Ces gens doivent être accompagnés pour leur faciliter la vie avec les administrations. L’usager est demandeur de plus de personnalisation de son traitement et d’une individualisation. Il souhaite des conditions d’accès facilitées. C’est en ça que la dématérialisation peut aider même s’il faut prendre en compte les limites de la digitalisation. Il faut mettre la préoccupation des usagers au cœur de nos fonctionnements.

Une administration ne peut pas tout déléguer au privé, sinon elle perd son savoir-faire. Elle ne pourra alors plus contrôler les opérateurs privés ou les prestataires. Il y a toujours un juste milieu à trouver.

La digitalisation a pour principe de base l’égalité d’accès au service public. Il ne faut pas que la numérisation se traduise par une nouvelle inégalité. C’est en ça que les politiques de médiation et d’inclusion numérique sont essentielles. Pour y arriver, il ne faut pas dématérialiser pour réduire les coûts et supprimer la présence humaine. Le maintien de guichet peut avoir des vertus. Car sinon, plus tard, il faudra faire de nouveaux programmes pour ajouter des personnes au contact de la population. La digitalisation ne doit pas être synonyme de non-recours à des droits. Cela serait la remise en cause du principe fondamental de l’égalité devant le service public. À Rennes, nous nous appliquons un principe : quand on dématérialise, on ne met pas nécessairement fin à une relation humaine avec les usagers. Cela ne se substitue pas. Si un usager souhaite venir chercher puis déposer un dossier, il doit pouvoir le faire dans les services de la ville ou de la métropole.

Nous menons également des programmes d’inclusion numérique dans nos bibliothèques et espaces sociaux. Cela nous a sensibilisé à cette question. Souvent, l’illectronisme est combiné à des situations de fragilité sociale avec des questions complexes. La digitalisation contraint à entrer dans des cases. Ces personnes ne sont pas toujours des « cas type ».

6 - Les enjeux de la campagne présidentielle

Il y a aujourd’hui des annonces de la part de candidats déclarés et de candidats à la candidature sur des centaines de milliers de suppressions de postes de fonctionnaires. J’observe la même entrée en campagne qu’en 2017 où François Fillon déclarait vouloir 500 000 suppressions de postes de fonctionnaires. Emmanuel Macron en promettait 120 000. Fixer des objectifs chiffrés n’a absolument aucun sens. Il faut réfléchir au périmètre du service public, à ses missions et son maillage territorial. Aujourd’hui, des territoires sont éloignés physiquement des services publics et cela pose question. Avoir une entrée chiffrée n’a absolument aucun sens. Le mandat qui se termine le montre bien. Sur l’objectif du président de la République, seul 1 250 postes auront été supprimés.

Le débat sur le service public que nous voulons en France est lui intéressant. C’est le vrai débat que nous devrions avoir. Oui ou non pour tel service. Faut-il le privatiser ? Oui ou non pour restreindre tels droits sociaux. Une fois que l’on a choisi, le débat sur le recrutement ou la diminution du nombre de fonctionnaires peut intervenir. Le think tank ne se positionnera pas sur les services publics. C’est aux élus politiques d’avoir ce débat. C’est un choix de la Nation. Les Français peuvent décider s’ils souhaitent renoncer à des services publics. Il faut aussi faire attention quand il y a une externalisation. Supprimer un poste de fonctionnaire pour externaliser des prestations faisables en régie ça ne marche pas toujours et ça coûte souvent plus cher. C’est un vrai sujet. Le curseur doit posément se réfléchir. Une administration ne peut pas tout déléguer au privé, sinon elle perd son savoir-faire. Elle ne pourra alors plus contrôler les opérateurs privés ou les prestataires. Il y a toujours un juste milieu à trouver.

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