La transformation numérique du Danemark, un modèle inspirant pour la France ?

Le 28 novembre 2019

C’est le titre du dernier cahier Digital exploration publié par le think tank Renaissance numérique. Alors que l’État français affiche l’ambition de passer à 100 % de services publics dématérialisés en 2022, le Danemark est déjà bien engagé dans cette voie. Quelles en sont les raisons et les facteurs clés ? Quels enseignements peut tirer l’État français pour parvenir à son objectif ? Autant de sujets débattus à l’occasion d’une rencontre organisée à la Maison du Danemark à Paris le 30 septembre 2019.

Le think tank a réuni plusieurs personnalités afin de passer en revue le modèle danois et de voir s’il peut inspirer la France : Torsten Andersen, vice-président de l’autorité danoise pour le commerce, Morten Elbaek Peterson, président de Sundhed. dk, Jean-Michel Mis, député de la Loire, représentant de l’Assemblée nationale au Conseil national du numérique et Sandra-Jeanne Lara-Golliot, directrice de projets à la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Longtemps premier au classement DESI (Digital Economy and Society Index) établi par la Commission européenne, le Danemark possède des atouts incontestables facilitant la transformation numérique comme le rappelle Philippe Régnard, directeur des affaires publiques de la branche numérique de La Poste.

Avec Amal Taleb, directrice des affaires publiques de SAP France, et une équipe du think tank Renaissance numérique, ils ont participé à un voyage d’étude en janvier 2019 et se sont entretenus avec une dizaine d’acteurs de l’écosystème numérique danois. Aujourd’hui, Renaissance numérique publie un cahier intitulé « Danemark : le volontarisme numérique ». Il liste notamment les dix facteurs clés de la transformation numérique du pays :

1. Numériser l’administration fonction par fonction

Le modèle danois repose sur une méthode modeste et efficace. On choisit un service donné, une administration particulière et l’on collabore avec les agents afin de comprendre leur manière de travailler avant d’envisager une transformation et d’intégrer les outils numériques soutenant leur action.

2. Ancrer le numérique de manière volontariste, le « digital by default policy »

Le Parlement danois a adopté en 2015 une loi visant à rendre obligatoire l’usage du numérique pour les communications entre les citoyens, les collectivités et l’État. En parallèle des outils numériques facilitant ces échanges ont été mis en place. Citons notamment l’e-Boxs, une sorte de coffre-fort numérique (mail, coffre-fort et système de paiement sécurisé) et NemID, une solution d’identité numérique unique pour accéder à la quasi-totalité des services administratifs. « Cette politique a bien fonctionné au Danemark car elle s’est faite de façon progressive et accompagnée », selon Philippe Régnard.

3. Soutenir avec constance le déploiement du numérique dans l’administration

Depuis plus de vingt ans, l’État danois considère la transformation numérique comme une priorité qui figure dans ses budgets pluriannuels. L’utilisation des services dématérialisés devenue une norme est aussi une obligation. « Les plans pluriannuels sont certes modestes mais ils concernent toutes les couches administratives. L’un d’entre eux visait, par exemple, l’adoption de la signature électronique et la communication entre citoyens et autorités publiques par email », précise Philippe Régnard.

4. Utiliser les données pour améliorer l’efficience des politiques publiques

La cartographie et l’exploitation des données permettent de moderniser l’administration tout en respectant la sécurité et la vie privée des citoyens.

5. Adopter une politique numérique « agile »

Prendre en compte ce qui fonctionne, se donner le droit à l’erreur et à la progression, ces aspects font partie intégrante de processus de transformation numérique de l’État danois. Pour améliorer les services administratifs, il prend également en compte les retours des utilisateurs.

6. Numériser les services de bout en bout

La transformation numérique de l’État danois s’envisage comme un continuum allant du citoyen à l’agent public. Elle concerne donc le « front desk » utilisé par le citoyen tout comme le « back office » destiné aux agents publics tout en respectant la tradition administrative des services et des métiers. « Tous les échelons administratifs, des petites villes aux plus grandes régions et à l’administration centrale sont embarqués simultanément. L’agence danoise du numérique pilote ce travail », ajoute Philippe Régnard.

7. Responsabiliser chaque niveau de gouvernance

Les municipalités, les régions et les ministères, responsables de l’application et de l’utilisation des services en ligne, participent au comité de pilotage pour la transformation numérique de l’État.

8. Favoriser la coopération public/privé

Pour transformer l’État, les autorités publiques s’appuient sur l’expertise du secteur privé et notamment celui de l’innovation numérique. Pour Philippe Régnard, l’administration danoise a toujours eu la certitude de pouvoir se transformer, sans que pour autant cela ne devienne un dogme. Cela se fait à travers des agences hyper agiles comptant des acteurs publics et privés, ce qui enclenche un mouvement de grande valeur ajoutée. Un constat que partage Torsten Andersen « Parmi les facteurs de succès on peut citer les plans pluriannuels dotés d’objectifs précis et l’approche pragmatique. Le Danemark a une administration orientée business. »

9. Accompagner et former les citoyens

L’éducation au numérique constitue un prérequis à la dématérialisation des services publics. Au-delà de l’utilisation des services publics numérisés (impôts, autorisations administratives, etc.) l’accompagnement vise aussi à obtenir des retours des citoyens sur les services proposés. « La numérisation de certains services a permis de redéployer certains agents administratifs et notamment de réinvestir des lieux d’accueil destinés aux citoyens éloignés des services publics », explique Amal Taleb

10. Conserver la confiance des citoyens

La transformation numérique de l’État est gérée par une agence publique dédiée ce que les Danois considèrent comme un gage de confiance. Cette dernière accorde une place essentielle à la protection des données et de la vie privée des citoyens.

Un modèle pour la France ?

Le modèle danois s’est donc appuyé sur une forte volonté du législateur. Selon Jean-Michel Mis, député de la Loire, représentant de l’Assemblée nationale au Conseil national du numérique, en France, le citoyen a l’habitude des lois. La difficulté consiste à ne pas faire de loi ou à établir des lois plus larges accordant aux collectivités territoriales un droit à l’expérimentation. Il faudrait associer d’avantage les collectivités territoriales et les usagers à la transformation numérique. Cela suppose d’adopter une logique managériale, d’accompagner et de former les personnels de l’administration ; pour les usagers, de leur permettre de s’approprier les outils et ensuite d’obtenir leurs retours sur ces outils. Concernant l’identité numérique actuellement en discussion, la France a fait le choix d’avoir un support physique, ce qui comporte l’avantage d’avoir une identité forte et l’inconvénient de nécessiter un changement de puce électronique tous les quatre ans pour des raisons de sécurité. Le député rappelle que seul un tiers des Français fait confiance aux outils numériques. À cela s’ajoute la défiance des administrations vis-à-vis du numérique. Si le Danemark a fait le choix de nommer un ambassadeur du numérique, selon Jean-Michel Mis, en France, la vision de la souveraineté nationale ne passe pas par l’externalisation des relations avec les GAFA. En revanche les parlementaires les rencontrent souvent et la France se doit d’exercer un autre niveau de diplomatie (sanctions infligées aux GAFA). Pour Sandra-Jeanne Lara-Golliot, directrice de projets à la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), la création de la DITP en 2017 est un indicateur important. D’ailleurs on ne parle plus de « modernisation » mais de « transformation » de l’État. « L’ambition de la DITP est forte. Elle regroupe 80 personnes, fonctionnaires et personnes provenant du secteur privé dans le but de suivre et de piloter l’ensemble de la transformation publique. » Elle rappelle les quatre axes d’intervention de cette direction ; le pilotage de plans de transformation ministérielle et de simplification, l’investissement dans des projets ambitieux de transformation publique, la communication sur les bonnes pratiques et moins bonnes, l’accompagnement des administrations d’État et publiques.

La rencontre au septième étage de la Maison du Danemark sur les Champs-Elysées.
©Crédit photo : Renaissance numérique

Interrogée sur le retard conséquent de l’administration française en matière de transformation numérique, Sandra-Jeanne Lara-Golliot ne partage pas le constat. Elle souligne que l’Hexagone coche plusieurs des dix items danois : la transparence, la confiance, l’administration inclusive. « Nous faisons travailler des designers, nous sensibilisons les administrations à l’importance d’écouter la voix de l’usager, ajoute-t-elle. Nous avons lancé en 2019 “Vox usager”, un nouveau dispositif pour recueillir la parole de l’usager afin de tirer des enseignements et d’améliorer les services rendus. Quant à notre organisme de formation, Le Campus, il propose des parcours de formation sur-mesure à l’ensemble des agents administratifs. »

La plateforme publique de santé danoise Sundhed,
un exemple de réussite

En 2004, l’État danois lance une plateforme de e-santé financée à 100 % par le secteur public, dont 80 % par les régions. Cette plateforme permet de partager les données existantes entre patients et professionnels de santé afin de faciliter le suivi médical. Préférant adopter une politique des petits pas, dans un premier temps, il s’agit de faciliter le service au client pour engager la transformation et non de construire un plan de gestion prédictive de la santé. Les citoyens et les professionnels de santé trouvent deux types d’informations sur Sundhed. D’une part des données « ouvertes », des informations générales sur les maladies, des informations mises en ligne par des laboratoires ou des manuels médicaux. De l’autre chaque citoyen ainsi que ses médecins accèdent à une page personnelle Myhealth. dk avec les données du patient, ses antécédents médicaux et ses résultats d’examens.

Aujourd’hui un Danois sur trois utilise la plateforme, au moins une fois par mois, grâce à un identifiant unique NemID pour tous les services administratifs. Le système de Sundhed repose sur une politique de protection des données allant au-delà des préconisations de l’agence de cyber-sécurité nationale danoise avec notamment deux contrôles techniques effectués par an. Approchée par des chercheurs issus du milieu de l’assurance ou de la pharmacie Sundhed a toujours refusé de partager ses données. Elle considère la protection des données comme une condition impérative de la confiance des citoyens et du bon fonctionnement de la plateforme. Aujourd’hui, Sundhed affiche deux objectifs majeurs. Elle souhaite tout d’abord devenir un outil de médecine prédictive permettant de réduire les taux de maladies, les recours aux soins et les coûts induits pour le système de santé danois. Puis, elle ambitionne de proposer un accompagnement personnalisé pour les procédures médicales comme le remboursement des soins.

 

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