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Le design pour… « inspirer demain »

Le 31 mars 2020

Si aujourd’hui, le terme « innovation » n’est plus tabou dans le secteur public, et apparaît même largement utilisé, celui d’« anticipation » traduit peut être mieux l’objectif que s’est fixé le pôle Innovation et dialogues de la Métropole européenne de Lille (MEL), dès sa création en 2015. Anticiper pour ne plus subir les impacts d’évolutions sociétales mal identifiées, anticiper pour proposer, à nos concitoyens, des politiques publiques plus en phase avec les réalités vécues, anticiper pour inspirer nos collègues et renforcer le sens donné à leur implication professionnelle. Enfin, anticiper pour (ré)ancrer l’acteur public dans une de ses fonctions premières : faire société. Dans cette belle aventure d’anticipation, une équipe dédiée, celle de la direction Recherche & développement (R&D), a naturellement croisé la route du design des politiques publiques. Une belle histoire, loin d’être clôturée.

Encore atypique, lors de sa création en 2015, la direction Recherche & développement (R&D) s’est vue dotée, au sein du pôle Innovation et dialogues piloté par Doriane Huart, directrice générale adjointe de la Métropole européenne de Lille (MEL), un objectif à la fois simple et ambitieux. Celui d’identifier, de défricher, d’expérimenter et de diffuser les concepts, initiatives ou modes de faire, considérés comme innovants et pouvant être pertinents pour la collectivité et son territoire. Face à ce vaste horizon, une petite équipe de pionniers, s’est attelée à la tâche. Loin des effets de mode ou des « révolutions gadgets », dans un contexte alors très orienté vers des concepts tels que la « smart city » où la technologie truste les questions d’innovation, l’équipe s’oriente vers une voie radicalement différente : celle de l’humain.

En explorant tout d’abord les modalités d’intraprenariat interne, visant à accompagner des agents dans l’incubation de leurs idées-projets, les méthodes d’intelligence collective s’imposent naturellement. Elles ont en effet l’avantage de coller à une volonté assumée de la stratégie d’innovation de la MEL : proposer des modes de faire facilement accessibles mais radicalement différents de ceux classiquement utilisés : ordre du jour, comité technique/comité de pilotage, compte-rendu, etc. Place désormais aux ice-breaker, aux débats mouvants ou aux personas. Et si aujourd’hui, l’objet « Post-it » caricature trop souvent ce type d’exercices, nul ne regrette ici, l’époque où la seule option possible en matière de gestion de projets, était la réunion en mode table en U et prise de parole millimétrée. Le développement de l’intelligence collective s’est ainsi concrétisé par la mise à disposition d’un lieu dédié aux ateliers : la créabox, d’un accompagnement personnalisé et de fiches-méthodes visant à autonomiser les collaborateurs. Ces derniers préparent désormais ces temps collectifs en fonction d’objectifs pré-définis : construire une vision partagée, libérer la créativité, générer des solutions ou prendre des décisions collectives.

Le pas de côté était fait. Ce signal fort, lancé par Bruno Cassette, directeur général des services, premier ambassadeur de ces techniques disruptives, ouvre la voie pour aller plus loin. En parallèle d’autres thématiques explorées puis déployées telles que la responsabilité sociale, comportant un important volet sur l’égalité femmes-hommes ; l’innovation managériale, pleinement relayée par la Culture interne et managériale (CIMAN), direction « sœur » du pôle ID ; ou l’open data, R&D enclenche en 2018 le défrichage d’un sujet obscur et souffrant d’un intitulé piège, « le design des politiques publiques ».

La méfiance face à l’apparition du design dans la sphère publique démontre notre difficulté collective à intégrer des méthodes non conventionnelles.

En effet, le constat est rapidement posé. Comme l’évoque Ronan Bouroullec, lors d’une intervention au tri postal à Lille en septembre 2018, pour bon nombre d’entre nous « le design, c’est une chaise en plastique transparent ». Dans ce cas, que viennent faire les politiques publiques là-dedans ?

Alors que le design a fait, depuis longtemps, ses preuves dans des secteurs tels que l’industrie, l’architecture, le textile et bien évidemment la communication, il reste encore très étranger au secteur public. Parfaite illustration des injonctions contradictoires souvent faites aux agents publics invités à exprimer leur créativité tout en restant dans des formats contraints et en proposant des solutions pas trop dérangeantes, la méfiance face à l’apparition du design dans la sphère publique démontre notre difficulté collective à intégrer des méthodes non conventionnelles. Face à ce constat, la stratégie adoptée est de passer vite à l’action pour ne pas s’enfermer dans le discours.

L’association La 27Région devient le partenaire privilégié de la MEL dans cette aventure. Le programme La Transfo est lancé en mars 2018. Expérience exceptionnelle vécue par une équipe de vingt ambassadeurs venus d’horizons métiers différents, La Transfo offre non seulement un temps et une dynamique dédiés aux méthodologies design au service des projets ; mais elle ancre également l’engagement de la collectivité dans l’appropriation de méthodes nouvelles, renouvelant et complétant la boîte à outils traditionnelle de l’agent public. L’apport du design se révèle rapidement évident. En proposant de requestionner l’angle de démarrage des projets, en favorisant des phases d’immersion, en se reconnectant concrètement et simplement aux usagers, en utilisant des outils tels que le dessin, la vidéo ou la maquette-carton, les changements de posture s’opèrent. Les agents reconsidèrent leur mode de travail, retrouvent du sens, s’approprient des leviers pour être plus efficaces.

Ce programme, amplifié par le succès de la MEL devenue Capitale mondiale du design 2020, se concrétise aujourd’hui par l’ouverture d’un laboratoire dédié, le recrutement d’un designer en interne et la constitution d’une équipe totalement impliquée dans l’accompagnement des projets.

À noter que le portage de plus de trente projets en mode design a pu être réalisé grâce à un marché public spécifique et ambitieux. En effet, alors que la commande publique est souvent pointée comme un frein à l’innovation, l’élaboration par nos collègues d’un accord-cadre contractualisé avec cinq groupements de designers indépendants, dote la MEL, de façon souple et adaptée, de compétences externes extrêmement précieuses.

La MEL prend également toute sa place dans la programmation de World design capital par l’animation d’une maison POC « Action publique » au sein de son nouveau siège : le Biotope.

Si la seule énumération de ce chapelet d’actions pourrait entièrement nous satisfaire, notre satisfaction profonde est pourtant ailleurs. Elle se porte sur une tendance, un mouvement de fond qui s’est enclenché au sein de cette collectivité d’ampleur, de plus de 3 000 agents (et même si beaucoup reste à faire, et que l’ensemble des agents ne se sent pas encore embarqué). Ce mouvement, est celui qui autorise une collectivité, les femmes et les hommes qui la font vivre dans leur diversité, à se reconsidérer comme un élement central des transitions et non seulement comme une administration servicielle à destination des usagers, mais également comme un acteur qui se doit d’accompagner sur les plans éthique, citoyen et culturel les mutations de son territoire, et plus encore, d’anticiper celles qu’il va inévitablement subir. Face aux défis des transitions écologique, numérique et démocratique, la nécessité de faire une culture commune, de proposer des futurs désirables et de réinventer un imaginaire collectif s’impose avec force.

C’est pourquoi la direction R&D, capitalisant sur un premier cycle de recherches, qui a fait notamment émerger le design des politiques publiques, s’est désormais orientée vers de nouveaux terrains de défrichage. Ce nouveau cycle ambitionne de détecter et d’expérimenter des leviers d’action inédits en réponse aux transitions. Pour cela nous investiguons les approches comportementales dans une visée de transition écologique et du nécessaire changement collectif de nos modes de vie. Nous ambitionnons également d’identifier des terrains sur lesquels, dans une perspective de communs, l’administration pourrait adopter une nouvelle posture et « accompagner mais laisser faire » au lieu de « faire à la place de ». Il s’agit également de gouverner les données, les valoriser, de penser et d’éprouver l’apport de l’intelligence artificielle dans nos process métiers. Ces nouveaux concepts, méthodes et techniques tissent le nouveau paysage de l’action publique. Ils sont les ingrédients d’un nouveau récit à imaginer collectivement. L’administration y joue un rôle primordial, le design l’y accompagne. Sur la forme, grâce notamment à des techniques de design fiction, mais plus encore sur le fond en nous remobilisant autour de ce qui fait le sens profond de l’action publique : celui de faire société.

Cette ambition, et les nombreuses questions et débats qui l’accompagnent, sera au cœur du programme de la Policy conference, événement totem de la World design organization (WDO), organisé à Lille les 25 et 26 juin 2020. La Policy conference questionnera le rapport « Design et politiques publiques » et se veut un temps fort de prospective et d’échanges internationaux. Durant ces deux jours, nous serons amenés « à voir plus loin », à appréhender le design moins comme un moyen, que comme une opportunité de questionner et de bousculer les modes de faire actuels tout en s’appuyant sur les réalités vécues.

Dans un contexte mondial, où le modèle démocratique est ébranlé, que les institutions nationales et européennes sont régulièrement taxées de déconnexion avec le réel, les territoires plus proches des citoyens apparaissent comme un trait d’union à re-consolider, à re-légitimer. Beaucoup appellent à une reconsidération de la parole citoyenne. Sous quelles modalités ? Comment recomposer cette contribution citoyenne ? Comment la rendre efficiente et résiliente ? Pour y répondre, nos schémas classiques d’élaboration de politiques publiques ne sont plus pertinents : il y a un besoin de construire de nouveaux modèles de société. Le changement doit être systémique. C’est pourquoi, la Policy conference se propose d’étudier le design comme un catalyseur permettant à nos systèmes de gouvernance, aux différentes échelles, de recréer un nouveau contrat avec les citoyens, notamment en potentialisant cette proximité que fait vivre au quotidien l’échelon territorial. En passant du « design thinking » au « design making ».

L’histoire n’est donc pas finie entre design et innovation publique au sein de la MEL. C’est au contraire désormais, un terreau dont d’autres terrains prospectifs vont pouvoir se nourrir, pour se développer et nourrir d’autres terrains à leur tour.

L’histoire n’est donc pas finie entre design et innovation publique au sein de la MEL. C’est au contraire désormais, un terreau dont d’autres terrains prospectifs vont pouvoir se nourrir, pour se développer et nourrir d’autres terrains à leur tour. Grâce à l’appropriation de ces méthodes et son état d’esprit, le design représente, en quelque sorte, ces « épaules de géants », sur lesquelles d’autres explorations vont pouvoir s’appuyer. Il nous permet de faire vivre la maxime que s’est appropriée la direction R&D : « Inspirer demain. »

Pour aller plus loin

Revue de la MEL : Inspiration(s), www.lillemetropole.fr/mediatheque/media/3916

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