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Retours sur la première édition des États généraux de l’innovation publique

Etats généraux de l'innovation publique
Le 24 mars 2020

La Métropole européenne de Lille (MEL) a organisé les 3 et 4 février 2020 les États généraux de l’innovation publique. Objectifs : réunir l’ensemble des administrations francophones engagées dans de véritables démarches d’innovation publique pour dresser l’état des lieux de l’innovation publique, identifier les défis à relever pour l’avenir et faire émerger des idées et propositions innovantes pour l’administration de demain. Un événement qui s’inscrit dans le cadre de Lille Métropole 2020, Capitale mondiale du design dont la MEL anime le volet « Design des politiques publiques ».

Les 3 et 4 février 2020, la Métropole européenne de Lille (MEL) a initié les premiers États généraux de l’innovation publique. Organisés à Sciences Po Lille, et destinés aux collectivités déjà embarquées dans des démarches d’innovation, ces deux jours avaient pour objectif de proposer à ces différents acteurs un temps d’échanges, de prise de recul et de mise en perspective de leurs pratiques d’innovation publique. Environ soixante collectivités locales ont été invitées à participer à ce temps de réflexion, telles que Nantes Métropole, le département de la Mayenne, le laboratoire d’innovation Eurométropole de Strasbourg, le département de Seine-Saint-Denis, Bordeaux Métropole, la Communauté urbaine de Dunkerque, ou Angers Loire Métropole.

L’idée, durant ces deux jours, était bien de se mettre à distance de sa pratique quotidienne, car même en matière d’innovation, la « tête dans le guidon » et le poids des habitudes constituent un piège très prégnant. Aussi, l’exigence de toujours devoir se re-questionner, d’aller plus loin, de ne pas s’estimer « innovant » par la simple obtention d’un label ou par l’ouverture de son lab, a été au cœur des discussions.

Car, qu’est-ce que l’innovation publique, aujourd’hui, au sein des collectivités françaises ? Un simple guide de bonnes pratiques à dérouler autour d’un triptyque « télétravail, lab et baby-foot » ou est-ce l’adoption d’une posture radicalement différente pour l’acteur public ? Ce mouvement, qui a pris corps encore récemment dans les collectivités, et qui reste somme toute fragile (comme des droits fondamentaux qui semblent acquis mais qui, si on n’y prend pas garde, sont remis en cause par certains), a-t-il atteint son effet palier ? Peut-il se considérer mature et massivement enclenché dans les territoires ?

La réponse lors de ces États généraux de l’innovation publique a été clairement « non ».

Non, car ce mouvement a profondément besoin d’une structuration à l’échelle des territoires, de la constitution de réseaux professionnels transversaux qui le portent et qui l’animent.

Non, car nos territoires sont soumis en permanence, et depuis toujours, à des sollicitations constantes auxquelles ils doivent s’adapter pour répondre au plus près aux besoins de nos concitoyens dans leur diversité.

Non, car les transitions majeures sont enclenchées, et que l’acteur public, au-delà des services quotidiens qu’il rend à l’usager, doit savoir prendre cette hauteur nécessaire pour emmener collectivement nos concitoyens à « prendre la vague » de ces transitions.

Non enfin, car le pire obstacle à l’innovation serait son propre contentement.

Ces États généraux de l’innovation publique ont été rythmés par trois temps différents : un temps d’échanges et de débats – sans tabou – entre acteurs publics, une conférence inspirante donnée par Pascal Picq1, et un dernier temps de design fiction avec les étudiants de Sciences Po Lille. De nature différente, ces travaux ont néanmoins convergé vers un constat commun et partagé : une exigence forte d’adaptabilité.

Face à l’effondrement des grands récits qui ont façonné nos représentations du monde, à l’émergence d’une société multiple intégrant algorithmes, plateformes et identités mixtes, aux revendications montantes d’une jeunesse qui convoque « l’ancien monde » au tribunal des générations futures, l’acteur public doit développer sa propre « théorie de l’évolution », et s’autoriser à bousculer ses fondamentaux. Pour cela, l’administration doit savoir s’ouvrir à des profils plus variés et représentatifs de notre société, assumer les moyens nécessaires en termes financiers et humains que ces transitions imposent et faire place aux jeunes générations pour construire la vision de demain.

Camille Serrisier : « Adopter une démarche de design, c’est rebattre les cartes pour agir autrement »

Étudiante à Sciences Po Lille, Camille Serrisier a participé à la première édition des États généraux de l’innovation publique, elle nous livre son témoignage.

En ce début d’année 2020, les enjeux de transitions sont plus que jamais au cœur de nos préoccupations étudiantes. S’intéresser aux transitions, c’est interroger l’avenir écologique, démocratique, numérique, soulever des défis abyssaux, entrelacés et souvent contradictoires. Par exemple, comment développer le numérique, qui facilite nombre de nos usages quotidiens, tout en assurant à toutes et tous l’égalité d’accès au service, la sécurité de leurs informations, tout en limitant notre empreinte carbone ? Mettre en place de nouveaux modes de consultation, réunir une pluralité d’acteurs pour envisager une pluralité d’actions, permettrait aux collectivités de faire face à ces défis pluriels et complexes. À cet égard, les méthodologies de design peuvent se révéler très utiles. Tout en conservant les savoir-faire des spécialistes de l’action publique, une place est faite aux citoyens et à leur expertise d’usage. Nous en avons fait l’expérience le 4 février 2020 où étudiants et professionnels de l’action publique étaient réunis à Sciences Po Lille. Le plus formateur n’était pas le contenu des situations imaginées en 2040, mais le fait de changer de mode de faire. Adopter une démarche de design, c’est rebattre les cartes pour agir autrement. En faisant abstraction des statuts de chacun, la parole s’est libérée, les idées ont fusé et abouti à des propositions très différentes : plus originales et concrètes qu’habituellement. Restaurer du collectif et de la coopération entre les administrateurs et les administrés nous a paru essentiel. Accorder de la légitimité à l’expertise d’usage l’est tout autant si l’on veut susciter l’intérêt et mobiliser la société autour de l’action publique.

  1. Paléoanthropologue et maître de conférences au Collège de France. 
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